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Il comprit vite qu’il n’y avait pas grand-chose à faire de ce côté. L’inspecteur l’accueillit avec un large sourire satisfait et poussa l’amabilité jusqu’à l’inviter à l’accompagner dans la mission qu’il allait accomplir un peu plus tard. Invitation que le peintre, très inquiet cette fois, se hâta d’accepter :

— Vous savez où elle est ?

— Oui, et vous n’allez pas tarder à le savoir aussi. Ce soir, elle reprendra avec moi le train pour Paris !

Lorsque, un peu avant l’heure indiquée par miss Price, la voiture de police s’arrêta devant la demeure de Mme Lecourt, il se traita d’imbécile. Il aurait dû deviner que la dame en question se jouait de lui bien qu’il ne parvînt pas à comprendre pour quelle raison elle cachait Orchidée. Un vague – et stupide ! – espoir lui restait qu’il y eût erreur. Malheureusement, lorsqu’il vit les trois femmes sortir de la maison et remonter en voiture, il sut qu’il n’y avait pas d’erreur possible. La tournure de Mme Blanchard était inimitable et, en outre, il l’avait déjà vue avec les vêtements qu’elle portait. Tout ce qui lui restait à faire était de rentrer avec elle et d’essayer de l’aider de tout son pouvoir.

Ce qui suivit fut rapide. Dès que le coupé sortit du jardin, Pinson, les bras en croix, obligea le cocher à retenir ses chevaux puis, tandis que les deux agents prenaient sa place, il alla ouvrir la portière et se pencha à l’intérieur mais n’eut pas à prononcer la moindre parole officielle : Orchidée l’avait déjà reconnu :

— Vous êtes plus habile que je ne le supposais,.. Monsieur le Policier, dit-elle avec un faible sourire. J’espère seulement… que je ne vous ai pas fait trop mal l’autre jour ?

— J’en ai vu d’autres, Madame. Voulez-vous descendre ? La jeune femme n’eut pas le temps de répondre : Mme Lecourt s’interposait :

— Un instant ! Elle est dans ma voiture, donc chez moi. Où prétendez-vous l’emmener ?

— Dans cette autre voiture, Madame, afin de la conduire à l’hôtel de Police puis à la gare pour prendre le train de Paris. Quant à vous, je souhaiterais… vous poser quelques questions. Votre bonne foi a dû être surprise et vous ne serez pas inquiétée.

— Pas inquiétée alors que je nage déjà en pleine inquiétude ? Quant à vos questions, nous aurons tout le temps dans le train : car, bien entendu, j’accompagne Mme Blanchard… Par contre, j’aimerais bien savoir comment vous avez pu arriver jusqu’ici ? Qui vous a prévenu ?

Son regard chargé d’orage et de soupçons tourna brusquement et atteignit miss Price qui devint ponceau mais, à cet instant, poussé par le besoin de réconforter son amie, Antoine vint à son tour s’encadrer dans la portière ouverte, les mains tendues :

— Soyez sans inquiétude, mon amie. On ne vous gardera sûrement pas longtemps et je veillerai sur vous.

Le coup lui arriva dessus sans qu’il l’eût vu venir. Persuadée d’avoir trouvé le traître qui l’avait dénoncée, la Générale venait de brandir son fidèle parapluie et le lui assenait sur la tête.

— J’aurais dû me douter, tout à l’heure, qu’avec vos paroles mielleuses vous n’étiez qu’un fichu espion ! glapit-elle, mais je n’aurais tout de même jamais imaginé que vous oseriez amener la police chez moi !

On eut beaucoup de mal à la calmer. Après quoi Pinson, magnanime, accepta que la prisonnière fît le trajet dans la voiture de sa bienfaitrice et emmena Antoine. Miss Price, que Mme Lecourt avait un peu perdue de vue dans la chaleur du combat, apprit avec quelque soulagement qu’on lui confiait la mission de prévenir le capitaine du Monte-Cristo, puis de revenir garder la maison. Elle allait certainement mourir de peur dans cette grande bâtisse malgré la présence des domestiques, mais elle aimait encore mieux ça que suivre dans cette nouvelle aventure une femme dont elle connaissait l’esprit vif et l’œil scrutateur. Une fois « la Chinoise » en prison, il faudrait bien que la Générale rentre chez elle et alors elle pourrait, en toute sérénité, lui apprendre quel signalé service elle venait de lui rendre…

Deuxième partie

LES VISITEURS DE LA NUIT

CHAPITRE VI

FUNÉRAILLES À SAINT-AUGUSTIN…

Si le commissaire Langevin éprouva quelque satisfaction en voyant Pinson entrer dans son bureau en compagnie de Mme Blanchard, ce ne fut qu’un instant bien fugitif : d’abord l’inspecteur arborait la mine suffisante de l’empereur Aurélien traînant après son char la reine de Palmyre enchaînée d’or, et Langevin avait horreur du triomphalisme. Ensuite on le surprenait en train de remplacer les tulipes fanées de son vase par de candides œillets blancs dont il respirait le parfum poivré avec délices, et il n’aimait pas être pris en flagrant délit de romantisme. Enfin les nouveaux venus n’étaient pas seuls : une petite dame ronde et apparemment irascible les accompagnait et, à son allure, on pouvait se douter qu’il ne s’agissait pas de n’importe qui… Néanmoins, le commissaire prit sa mine la plus revêche pour aboyer :

— Qu’est-ce qui vous prend, Pinson, d’entrer chez moi comme une bombe ? Vous ne pouvez pas frapper avant d’entrer ?

— Pardonnez-moi, patron ! J’avoue que je me suis laissé emporter par l’enthousiasme. Vous voyez : je l’ai eue tout de même !

— Quel langage ! s’insurgea Mme Lecourt. En voilà une façon de parler d’une dame ? D’ailleurs cet homme est une vraie brute et je ne manquerai pas de laisser entendre à mon ami, le préfet Lépine, ce que je pense des manières de sa police…

Elle tombait bien celle-là avec ses grands airs ! Langevin dirigea sur elle le feu de sa mauvaise humeur et commença par aller rouvrir sa porte :

— Je vous en prie, Madame, ne vous gênez pas !

— Pas avant de savoir ce que vous allez faire de cette enfant. Je suis la Générale Lecourt, née Bégon, et s’il est une chose que j’ai en horreur, c’est le déni de justice.

— Moi aussi. Et vous êtes quoi au juste pour Mme Blanchard ? Je serais étonné que vous soyez sa mère ou sa tante ?

— Je suis sa cousine issue de germaine par alliance ! déclara la Générale avec solennité. J’explique, ajouta-t-elle voyant une lueur d’incompréhension passer dans l’œil gris du policier : Ma mère et celle de sa belle-mère étaient sœurs. Vous y êtes ?

— Tout à fait. Dès l’instant où vous êtes de la famille, je peux comprendre votre… nervosité. Voulez-vous vous asseoir ou bien préférez-vous… aller voir M. Lépine ?

— Chaque chose en son temps !…

— Je ne vous le fais pas dire ! Alors, si vous le voulez bien, je vais d’abord entendre le rapport de l’inspecteur Pinson. Ensuite… nous causerons.

Le ton, bien que courtois, était assez ferme pour que la bouillante Agathe comprît qu’il valait mieux ne pas insister. Les dames installées chacune sur une chaise, Pinson entreprit de raconter comment, alors qu’il n’était à Marseille que depuis peu d’heures, une information tout à fait intéressante était arrivée au bureau du commissaire Perrin touchant le lieu où pouvait se trouver « la meurtrière ». Le terme fit bondir la Générale et arracha à Langevin la petite torsion des lèvres qui, chez lui, tenait lieu de sourire :

— Le terme est impropre, Pinson. Madame n’a même pas encore droit au titre de prévenue. Je vous remercie de votre rapport. À présent, vous pouvez disposer !

— Mais…

— Je vous rappellerai tout à l’heure. Pour l’instant, je désire entendre de Mme Blanchard le récit de son odyssée. Et d’abord pourquoi elle a jugé bon de vous fausser compagnie et de quitter Paris si précipitamment ?