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— Grimpez ! Je vais vous ouvrir !

Il s’éclipsa aussi vite qu’il était arrivé et revint au bout d’un instant flanqué de deux agents que l’inspecteur Pinson suivait de près.

— Encore vous ? fit Orchidée en le voyant. Est-ce qu’il vous arrive de dormir quelquefois ? Où étiez-vous ?

— Chez le concierge du musée où je campe depuis que vous êtes revenue ici. C’est la fameuse Pivoine ?

Orchidée approuva de la tête et l’inspecteur se mit en devoir de remplacer le Cadeau Précieux par une solide paire de menottes et de débarrasser la prisonnière de son embrasse de rideau ainsi que de son voile de fauteuil. En même temps, il interrogeait Lartigue sur la raison de sa présence, sur les circonstances de cette arrestation mouvementée et aussi sur la façon dont il s’était procuré un sifflet de police.

— Je l’ai trouvé dans la rue, mentit l’autre en souriant d’un air trop angélique pour que Pinson en fût dupe.

En fait, le journaliste, toujours en quête d’outils intéressants, avait purement et simplement « piqué » le sifflet dans la poche d’un collègue de l’inspecteur.

— Vous auriez dû le rapporter. Je passe l’éponge pour cette fois mais rendez-le-moi !

— Pas question ! Ça peut vous sauver la vie ces petites choses-là. Si vous m’obligez à vous le rendre, vous trouverez dans mon journal, demain matin, le récit de la façon dont j’ai arrêté héroïquement une dangereuse criminelle pendant que la police jouait les œuvres d’art dans un musée. Par contre, si vous vous montrez amical… je crois que vous serez content de moi.

— C’est du chantage !

— Tout à fait. Mais avouez que c’est d’un petit esprit qu’en faire tout un plat pour un malheureux bout de ferraille quand on reçoit un cadeau aussi royal !

— Ça va ! On n’en parle plus ! Si vous voulez me suivre, Madame ?

Depuis qu’elle était aux mains de la police, Pivoine gardait un silence méprisant mais, au moment de quitter le salon, elle se retourna et braqua sur Orchidée un regard flambant de fureur impuissante :

— Ne chante pas victoire ! Tu n’es pas sauvée pour autant. Je saurai bien te retrouver…

— Possible ! admit Pinson, mais alors ça sera dans très, très longtemps. Si même vous n’écopez pas de perpète !

Et il emmena son monde rejoindre le « panier à salade » qui arrivait. Les habitants de l’avenue qui avaient mis le nez à la fenêtre en dépit du froid purent l’entendre siffler le Temps des cerises avec la vigueur d’un merle installé sur une branche chargée des mêmes fruits.

— J’aurai vu une fois dans ma vie un flic heureux ! commenta Lartigue en refermant la croisée d’où il avait suivi le départ.

Un moment plus tard, assis de part et d’autre de la table de la cuisine, Orchidée et le journaliste mangeaient force jambon, œufs brouillés et tartines de beurre arrosés d’un bon beaujolais, sans oublier un reste de crème au chocolat. Louisette, que le bruit avait fait dégringoler de son étage, avait été gentiment renvoyée se coucher et Lartigue officiait aux casseroles. Il en était à confectionner un café à l’arôme puissant quand il remarqua :

— Je ne sais pas ce que vous comptez faire mais si j’étais vous je quitterais Paris pour quelques jours.

— Pourquoi puisque, grâce à vous, mon ennemie vient d’être arrêtée ?

— Je ne crois pas que ce soit la seule. La femme aux chocolats de la Salpêtrière n’était pas chinoise et l’assassin de votre mari n’est pas encore sous les verrous.

— Qui vous a parlé de ça ?

— Mon petit doigt ! Je sais toujours tout ce que j’ai besoin de savoir et l’information est l’unique intérêt de mon existence. Croyez-moi : partez d’ici !

Par-dessus le bord de son bol de café, Orchidée considéra cet ami tombé du ciel. Sans qu’elle sût pourquoi, il lui inspirait confiance et même elle se sentait bien en sa compagnie. Mieux encore : pour la première fois depuis des jours, elle éprouvait une extraordinaire envie de vivre, de goûter aux petits plaisirs simples comme de manger des œufs brouillés en compagnie d’un garçon sympathique poursuivant d’autres buts que de la séduire ou de l’envoyer de vie à trépas.

— Je vais peut-être suivre votre conseil ! soupira-t-elle en tartinant négligemment du chocolat sur du pain grillé.

— Bravo ! Et où pensez-vous aller ?

— Que diriez-vous de Nice ?

— Ah !

Il y eut un petit silence puis Lartigue demanda :

— Cette idée-là vous est venue toute seule ?

— Est-ce tellement extraordinaire ? C’est agréable Nice en hiver. À ce que l’on dit tout au moins car je n’y suis jamais allée.

— Pour une femme en grand deuil ce n’est peut-être pas le meilleur moment. Vous allez tomber en plein carnaval.

— Quelle importance ? Tout le monde n’est pas obligé, j’imagine, de se mettre un masque en carton sur la figure et d’aller gambader dans la rue ?

— Non… et même, quand on y réfléchit, le masque en carton peut avoir du bon… Où descendriez-vous ?

— Aucune idée ! Je vous l’ai dit : je ne connais pas !

Le journaliste réfléchit un moment, engloutit une énorme tartine de beurre agrémentée de confiture de framboises pêchée dans un buffet puis rendit sa sentence :

— L’Excelsior Regina ! C’est sur une hauteur, dans un grand parc, très bien fréquenté et relativement paisible. Un hôtel que la reine Victoria a lancé : c’est tout dire ! Quand partez-vous ?

— Je ne sais pas… Après demain peut-être. Je voudrais faire quelques achats…

— C’est bien long et si c’est une question d’achats de dernière minute, vous trouverez là-bas…

— Il ne s’agit pas uniquement de cela. J’en ai un peu assez des départs précipités… et puis je n’ai pas du tout l’intention d’annoncer celui-ci au commissaire Langevin…

— … et, selon toute vraisemblance, il va vous tomber dessus demain matin entre le café et les croissants du petit déjeuner.

— Vous pouvez comprendre que j’aie envie d’échapper un peu à sa surveillance ?

— Mmmm… oui ! fit Lartigue après avoir examiné un instant la question. De toute façon, après l’affaire de cette nuit, on devrait vous laisser un peu tranquille. Par contre, j’aimerais bien que vous ne voyagiez pas seule.

— Avec qui voulez-vous que je parte ?

— Pourquoi pas cette petite qui nous est tombée dessus tout à l’heure en jupon, camisole et bigoudis ?

— Louisette ?

— Bien sûr. Vous devriez savoir qu’une dame qui se respecte ne saurait voyager sans sa femme de chambre. Ne serait-ce que pour éloigner les importuns… En attendant, faites donc coucher Louisette dans l’appartement et barricadez vos portes : je serai plus tranquille. Moi je vais retenir votre spleeping.

— Je préférerais m’en charger. Vous comptiez, je pense, donner le nom de Blanchard et moi j’aimerais mieux voyager et séjourner là-bas sous une autre identité.

— Ah !

Le journaliste réfléchit un instant puis prit dans sa poche un carnet et un crayon.

— Dites-moi comment s’écrit votre nom de jeune fille ! Seulement je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée : un nom chinois vous signalera au moins autant à l’attention de mes chers confrères et si vous voulez les éviter…

Le crayon en arrêt, il examina un instant le visage de la jeune femme :

— Vous n’êtes pas très « typée », au fond, et vous pourriez passer pour une aristocrate du sud de la Russie : une Circassienne, une Turkmène ou quelque chose d’approchant. Je peux aussi vous trouver un passeport.