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— J’aime à mener moi-même, fit-il, mais rassurez-vous, je n’irai pas vite.

Après quoi, il s’installa sur le siège. Le Sikh prit respectueusement place auprès de lui et l’on partit à travers la ville brillamment éclairée.

Tandis que la machine pétaradait allègrement sur la route de Cimiez, Orchidée pensait que sa bonne action tournait bien mal : au lieu d’apporter un réconfort au pauvre Grigori, cette soirée lui valait un duel. Quant à elle-même, non seulement elle n’avait eu droit qu’à la moitié d’un dîner – et elle avait encore faim ! – mais en plus, le Tcherkesse semblait l’avoir complètement oubliée. Le dernier coup d’œil qu’elle lui avait jeté le montrait à nouveau rivé au bras de la belle Lydia qu’il couvait d’un regard passionné. Cependant elle n’arrivait pas à lui en vouloir : c’était un personnage extrêmement distrayant. Au fond, elle lui était même plutôt reconnaissante : sans lui elle n’aurait jamais rencontré ce curieux comte Alfieri dont la personnalité faisait naître dans son esprit toute une série de points d’interrogation…

Elle en était à penser que, dès le matin, elle enverrait un billet chez le cousin de Robert Lartigue, car seul le journaliste lui paraissait capable de résoudre ce mystère, quand la voiture s’arrêta devant l’entrée de l’Excelsior Regina. Lord Sherwood sauta à bas de sa machine, tout en se dépouillant de sa peau de bique, tandis que la jeune femme se déballait elle-même, et vint l’aider à mettre pied à terre.

— J’aurais été fort heureux, Madame, de vous offrir une plus agréable fin de soirée, dit-il, mais je dois rentrer à bord pour recevoir les témoins des adversaires.

— Je vous en prie, ne vous excusez pas ! Vous m’avez tirée d’une situation pénible et je vous en remercie. Puis-je, néanmoins, vous demander une grâce ?

— Je suis à votre service. Laquelle ?

— Celle de ce pauvre prince Kholanchine. Renoncez, je vous en prie, à le… boxer ? C’est bien ça ?

— C’est tout à fait ça ! approuva le lord. Il le mérite amplement.

— Non, car j’avais accepté de dîner avec lui avec la seule pensée de l’aider à passer quelques-unes des heures difficiles que lui fait éprouver un amour, mal placé peut-être, mais très sincère. Quand il a vu celle qu’il ne cesse de regretter il a tout oublié.

— Même vous ?

— Même moi et je ne peux vraiment pas lui en vouloir. J’ai de la sympathie pour lui.

L’ombre d’un sourire passa sur le visage un rien empesé de l’Anglais. Il s’inclina légèrement :

— Il sera fait selon vos désirs, Madame. Où dois-je dire… princesse ?

Apparemment il possédait d’excellentes oreilles. Orchidée sourit :

— Je l’étais mais ne suis plus que la baronne Arnold. Bonne nuit, lord Sherwood, et encore merci !

— Encore un mot, baronne !… Me feriez-vous l’honheur et le plaisir de venir demain déjeuner à bord du Robin Hood ? Vous pourrez ainsi connaître l’issue du combat. En outre j’y recevrai des amis désireux d’assister d’un peu loin au début du Carnaval en évitant ainsi d’être couverts de plâtre. Viendrez-vous ?

Orchidée accepta sans hésiter mais refusa qu’on lui envoie « Abdul Singh et la voiture ». Celle que l’hôtel mettait à sa disposition ferait tout à fait l’affaire et l’idée de respirer des odeurs de pétrole avant le déjeuner lui donnait mal au cœur.

Rentrée dans son appartement, elle griffonna hâtivement quelques mots puis sonna la femme de chambre, lui remit la lettre en insistant pour qu’elle soit portée tôt le matin, demanda qu’on lui serve du thé et des petits gâteaux puis se fit déshabiller et se coucha mais fut longue à trouver le sommeil : le visage moustachu du comte Alfieri la hantait. Était-elle victime d’une illusion ou bien s’agissait-il vraiment de l’homme dont elle avait juré la mort ?

CHAPITRE XI

À BORD DU ROBIN HOOD…

Robert Lartigue se mit à fourrager à pleines mains dans ses boucles blondes puis tira de sa poche un carnet et le porte-plume à réservoir Waterman dont il était si fier.

— Alfieri ? fit-il. Vous êtes bien sûre que c’est ce nom-là ?

De sous le bord de son grand chapeau bergère, Orchidée regarda le journaliste avec sévérité.

— Vous avez quelque chose contre ?

— N… on mais je trouve ça incroyable. Vous êtes bien sûre de la ressemblance ? Il peut s’agir d’un sosie ? Il paraît que nous en avons tous un…

— Je ne dis pas le contraire mais, en général, les différences sont plus marquées. Ici, il s’agit uniquement d’une moustache.

— Rien de plus facile à imiter ! Et la voix ?

— C’est la même. J’en jurerais !

— Évidemment !

Lartigue prit quelques notes, visiblement sans grand enthousiasme. Il semblait tracassé :

— Naturellement, vous n’avez pas son adresse ?

— Du comte Alfieri ? Non. Pas encore mais je peux peut-être l’obtenir. Tout à l’heure je déjeune sur le yacht de lord Sherwood. Il a dirigé le duel… J’essaierai de savoir…

— Et ce duel, vous n’en connaissez pas l’issue ?

Orchidée se leva, fit quelques pas sur la terrasse où elle avait choisi de recevoir le journaliste.

— Non mais je suppose qu’il n’a pas dû causer beaucoup de mal. Si je vous emmenais dans mon appartement vous verriez qu’il est rempli de fleurs. Vers le milieu de la matinée on m’a apporté d’énormes brassées d’œillets, de mimosas, de violettes, de gardénias et, que sais-je encore ? : le contenu d’une boutique de fleuriste tout entière accompagné d’un mot du prince Kholanchine.

Elle tendit à Lartigue le bristol armorié sur lequel une main appliquée avait écrit : « Merci et pardon, parfaite amie ! Grigori n’oubliera jamais. »

— Il n’est pas rentré à l’hôtel ?

— Non. Igor, son domestique, et les serviteurs d’une dame dont je n’ai pas retenu le nom sont venus chercher ses bagages et payer la note, j’imagine.

— Une chose est certaine : il n’est pas mort. Reste à savoir ce qu’il est advenu de son adversaire. Vous vous avancez beaucoup en disant que le duel n’a pas dû faire beaucoup de dégâts : le cosaque est bien capable d’avoir embroché l’Italien ?

— J’espère le savoir tout à l’heure. En attendant, j’aimerais que vous vous renseigniez sur cet Alfieri. Que ce soit auprès des journaux ou même de la police, un journaliste de votre force doit être capable d’apprendre bien des choses ?…

— Quand on se bat, on n’y mêle pas la police mais après un pareil esclandre elle a bien dû entendre quelques échos…

Visiblement, il répondait machinalement et son esprit était ailleurs. Orchidée murmura :

— Vous ne croyez pas qu’Étienne Blanchard et cet Alfieri puissent n’être qu’une seule et même personne ?

— Non, je l’avoue. C’est tellement invraisemblable ! Pour quelle raison un homme appartenant à l’une des familles les plus huppées de la ville, donc assez connu tout de même, aurait-il l’idée de se fabriquer une fausse identité pour mener une double vie dans cette même ville ? À Paris ça pourrait passer mais ici ?…

— Dans le voyage que vous venez de faire, avez-vous trouvé la trace d’Étienne Blanchard ?

— Pas la moindre. Je ne sais pas pourquoi on m’a parlé de la Riviera italienne. J’ai fait tous les hôtels convenables entre Bordighera et Gênes. Il n’a été inscrit nulle part. Il doit être allé beaucoup plus loin : quand on veut avoir la paix ce n’est pas très malin de donner son adresse… Bon ! À présent, je vais vous laisser mais, si vous le permettez, je reviendrai ce soir en espérant que vous aurez appris quelque chose chez votre Anglais…