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Or, lorsque l’on atteignit l’entrée de la villa Ségurane, la grille était largement ouverte et un coupé élégant stationnait non loin des marches du perron que gardaient plusieurs agents en uniforme.

— Ben !…, V’là aut’chose ! souffla Graziani désorienté.

CHAPITRE XIII

LE DERNIER ACTE

Le spectacle qui attendait les arrivants, dans le grand salon gothique dont un maître d’hôtel affolé venait de tenter en vain de leur défendre l’entrée, se révéla plutôt surprenant. Surtout pour Orchidée car, au-delà des grandes portes ornées de vitraux, elle découvrit, debout l’une en face de l’autre, la maîtresse de maison et la générale Lecourt dans une attitude évoquant celle des coqs de combat. Sur un canapé, le plus jeune des frères Leca, visiblement ivre mort, ronflait sous la garde d’un jeune homme qui avait l’air d’un policier en civil. Un agent en uniforme surveillait Orso, l’aîné, assis sur un escabeau. Enfin deux hommes à peu près du même âge se tenaient debout près de la cheminée : l’un était le commissaire Langevin avec sa mine des mauvais jours et un regard chargé de nuages qui n’annonçait rien de bon. Son compagnon n’avait pas l’air plus avenant.

Pour la première fois depuis plus de trente ans, Adélaïde Blanchard et sa cousine se rencontraient et, de toute évidence, ces retrouvailles n’avaient rien de familial. En pénétrant dans le salon, Orchidée put entendre Agathe Lecourt s’écrier :

— Tu m’entendras, que cela te plaise ou non ! Je suis venue te demander compte de la vie de mon fils, Édouard, assassiné par tes valets sur l’ordre de ton fils Étienne…

— Tu as toujours été un peu folle, ma pauvre Agathe, et l’âge ne t’a pas améliorée : tu l’es plus que jamais. Édouard, ton fils en vérité ? Alors que tu n’as jamais été capable de donner le jour ? Mais qu’est-ce qui nous arrive là ? Que signifie, Sosthène ?

— Encore de la police, Madame ! Je n’ai rien pu faire, gémit le maître d’hôtel au bord des larmes.

Déjà, d’ailleurs, l’inspecteur Graziani se précipitait vers le compagnon de Langevin qui n’était autre que le commissaire Rossetti :

— Ah, vous êtes là, patron ? Ça me soulage drôlement : ces gens qui m’accompagnent m’ont obligé à venir jusqu’ici mais, dans un sens, c’est une bonne chose ; vous allez pouvoir leur faire entendre raison.

— Qu’est-ce que vous venez faire ici ?

Ce fut Pinson qui se chargea de la réponse en désignant Orso Leca :

— Nous recherchons cet homme. Selon toutes prévisions, il vient d’assassiner Étienne Blanchard de la même manière qu’il avait tué son frère…

— Ce n’est pas vrai ! glapit Graziani. La coupable, la voilà ! Nous l’avons trouvée évanouie près du cadavre…

— Orchidée ! s’écria la Générale qui courut prendre la jeune femme sous sa protection en l’embrassant. Ma pauvre petite ! Qu’êtes-vous venue faire dans cette ville impossible ?

Orchidée n’eut pas le temps de répondre. Adélaïde se jetait sur elle, toutes griffes dehors et les yeux fous :

— Tu as tué mon Étienne, espèce de sale Chinoise, tu l’as tué comme tu avais déjà tué mon Édouard !… Je vais t’étrangler…

Elle l’eût peut-être fait si Pinson et Lartigue ne l’avaient ceinturée et maîtrisée en dépit des menaces qu’elle ne cessait de hurler. Le visage convulsé de cette femme encore belle suait la haine et la fureur. Entre les mains des deux hommes, elle se débattait comme une furie, essayant même de mordre les mains qui l’emprisonnaient. Pétrifiée d’horreur et de dégoût, Orchidée, accrochée au bras de Mme Lecourt, regardait en frissonnant cette femme possédée par tous les démons de la rage. Elle n’aurait jamais cru être à ce point exécrée.

Le combat aurait sans doute duré si la Générale, après avoir fait asseoir Orchidée, ne s’en était mêlée. Elle marcha vers le groupe tumultueux, se déganta et gifla vigoureusement sa cousine dont les cris s’arrêtèrent net :

— Mettez-la dans un fauteuil, conseilla-t-elle, et trouvez-lui un verre de quelque chose de fort ! Après tout, elle vient d’apprendre la mort de son fils et il convient d’en tenir compte.

Elle fut obéie. Profitant du répit accordé, le commissaire niçois ordonna à son subordonné de lui faire son rapport. Trop heureux d’avoir un tel auditoire, Graziani s’y employa avec un zèle qu’à plusieurs reprises Lartigue et Pinson essayèrent de tempérer, mais l’inspecteur était lancé et force fut aux deux autres d’attendre qu’il eût fini. Pour sa part, Langevin ne disait rien.

— À présent, messieurs, je vous écoute, dit Rossetti après un coup d’œil à son collègue parisien. L’un après l’autre s’il vous plaît.

Le récit de Pinson fut rapide. Par contre, celui du journaliste prit plus de temps car il s’efforça de ne laisser dans l’ombre aucun détail. Néanmoins, lorsqu’il ajouta que, pour lui, la culpabilité d’Orso Leca ne faisait aucun doute, le commissaire le pria de s’en tenir aux faits, ce qui n’empêcha pas Lartigue de déclarer :

— Je ne dois pas être le seul à le penser, sinon pourquoi se trouve-t-il en ce moment sous la surveillance d’un policier ? Je suppose que vous l’avez arrêté au moment où il rentrait ici ?

— Vous n’avez pas non plus à supposer. À présent, je souhaiterais entendre cette jeune dame et surtout sa version de ce qui vient de se passer… Et d’abord, Madame, je veux savoir qui vous êtes.

Mme Lecourt, qui s’était assise auprès d’Orchidée, posa vivement sa main sur elle comme pour indiquer qu’elle se trouvait sous sa protection.

— Étant donné l’accusation portée par l’inspecteur… ici présent, vous êtes en droit de ne répondre qu’en présence d’un avocat, ma chère petite. Un commissaire n’est pas un juge d’instruction…

— Sans doute, mais quand on refuse de lui répondre, c’est le meilleur moyen de se retrouver en face dudit juge, fit Rossetti. Et je crois pouvoir tout de même demander que cette dame veuille bien me confier son identité ?

— Je vais répondre, dit Orchidée qu’un grand calme venait d’envahir. Aussi bien, je n’ai aucune raison de mentir puisqu’il y a ici au moins trois personnes qui me connaissent. Avant de rencontrer Édouard Blanchard, j’appartenais à la famille des empereurs mandchous, j’étais… princesse et notre souveraine occupait dans mon cœur la place d’une seconde mère. À présent, je suis seulement la veuve d’Édouard Blanchard…

— Dont vous étiez initialement soupçonnée d’être aussi la meurtrière. N’est-ce pas ?

— En effet.

— Cette accusation, le commissaire Langevin ici présent en a prouvé la fausseté, donc nous n’en parlerons plus. Cependant, votre conduite par la suite s’est révélée pour le moins bizarre. Vous êtes venue ici, à Nice, sous une fausse identité ?

— C’est exact.

— Pourquoi ?

Il y eut un instant de silence. Les yeux d’Orchidée cherchèrent tour à tour le regard de Lartigue, de Pinson, de Langevin qui semblait se désintéresser de la question, enfin d’Agathe Lecourt qui lui sourit et lui pressa la main :

— C’est simple. J’ai acquis la certitude que mon époux a été victime de la jalousie et de l’avidité de son jeune frère… J’entendais lui faire payer le prix du sang selon le code d’honneur de mon pays.

— Autrement dit, vous vouliez le tuer ? C’est bien cela ?

— C’est bien cela… Seulement je ne l’ai pas tué…

— Il est mort cependant.

— Pas de ma main. Il avait cessé de vivre lorsque je suis arrivée dans la vieille maison.

— Cette maison appartenait au comte Alfieri et c’est lui, en réalité, que vous alliez rejoindre.