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En ce qui me concerne, j’ai entendu l’expression pour la première fois au mois de mars 1969, à Paris, dans le milieu du théâtre. Je l’ai rapportée d’abord intuitivement, et vaguement, à l’habitude d’inviter quelqu’un au cinéma, de lui acheter un ticket… C’était sans doute une erreur, quoique Jacques Cellard l’interprète comme une « métaphore immédiate sur le droit d’entrée. » Le dictionnaire de G. Esnault signale pour ticket, le sens de « femme qui suscite le désir de la connaître », chez les voyous, en 1943, et aussi, dès 1950 : « Invite galante, marque d’intérêt de la part d’une personne du sexe opposé. » Il semble bien ainsi que le ticket dont il est question se réfère plutôt aux cartes d’alimentation en vigueur sous l’occupation allemande, objet de convoitise — la « femme qui suscite le désir de la connaître » était-elle, qu’on me pardonne, aussi enviable qu’un « ticket de viande » ?… Qui le sait ?

DRAGUE

Conter fleurette

Je sais, l’expression n’est plus guère de mise. Conter fleurette c’est nager dans le désuet ! Dans nos cités sans herbes folles les champs sont loin, les parcs gardés ; pour la qualité de la vie amoureuse chacun voit fleur à son balcon. Et puis, comme le chantait Boris Vian :

Autrefois pour faire leur cour Ils parlaient d’amour Pour mieux prouver leur ardeur Ils offraient leur cœur. Maintenant c’est plus pareil Ça change, ça change…

Fleurette, ou florette, c’est l’expression d’une société agreste, d’une civilisation de bosquets et de jardinets. Pendant des siècles les roucoulements des amoureux ont été associés aux fleurs, au printemps, au joli mois de mai. C’est le vrai réveil de tout :

Quand pointe la pâquerette Quand fleurit la primevère C’est l’heure à conter fleurette À sa bergère.

Au Moyen Âge filles et garçons jouaient beaucoup avec les fleurs. Ils folâtraient par bandes dans leurs tenues unisexe (voir p. 386) — aux bois, aux prés, cueillant les roses, le muguet, la violette. Ils se couvraient de fleurs. Le Roman de la Rose, celui de Jean de Meung, vers 1280, parle de ces joyeuses virées horticoles :

toutes herbes, toutes floretes que valletons [9] et pucelettes vont au printans es gauz [10] cueillir que florir voient et feuillir.

Le grand jeu d’ailleurs consistait à se tresser mutuellement des couronnes autour de la tête, des diadèmes de roses que l’on appelait « chapeaux », ou en diminutif « chapelets. » (C’est l’habitude d’orner aussi les statues de la Vierge de ces « rosaires » qui a fini par transformer le « chapelet » en outil à prières !)

Je veuil cueillir la rose en may Et porter chappeaux de florettes De fleurs d’amours et violettes

dit un autre auteur du XIVe, Jean Renart, en 1228, vantait le charme de :

… Ces puceles en cendez[11], a chapelez entrelardez de biaux oisiaux et de floretes, lor genz cors [12] et lor mameletes les font proisier [13] de ne s’ai quanz.

C’était mignon comme tout ! Il n’est resté de ces temps héroïques que la banale « fleur au chapeau », et aussi pendant longtemps « la plus belle rose de son chapeau », laquelle se réfère à ces joyeux diadèmes et non au feutre ou au canotier. « On dit [qu’une personne] a perdu la plus belle rose de son chapeau ; pour dire qu’elle a fait quelque perte considérable, sur tout en ce qui regarde l’appui, la protection », dit Furetière.

Il en est aussi demeuré un mot : fleurette. « Se dit au figuré de certains petits ornements du langage, ou des galanteries, & des termes doucereux dont on se sert ordinairement pour cajoler les femmes… Il conte fleurettes à cette Dame ; c’est-à-dire il luy fait l’amour » (Furetière). Cependant l’expression a dû pendant une certaine période au moins se prêter à un jeu de mots facile. Au XVe siècle « florette » était aussi une « pièce de monnaie frappée sous le règne de Charles VI, pesant vingt deniers tournois ou seize deniers parisis, et sur laquelle des fleurs de lys étaient empreintes » (Godefroy). On a donc pu « conter » et « compter. » C’est peut-être par une allusion encore sensible au XVIIe siècle que La Fontaine dit avec sa franchise habituelle :

Gratis est mort, plus d’amour sans payer ; En beaux louïs se content les fleurettes.

Le petit flirt

Il y a le flirt verbal, tout en caquet et minauderie, et l’autre. L’autre, si l’on peut dire, met la main à la pâte, la bouche partout, et le cœur aux abois. Ce que l’on avait fini par appeler « flirt », avant que ce mot ne régresse quelque peu dans l’usage de la dernière décennie, c’était toutes les relations amoureuses entre un garçon et une fille, baisers et caresses inclus, qui n’allaient pas jusqu’à l’acte final, le coït.

C’est dans la seconde moitié du XIXe siècle que l’anglomanie post-romantique a répandu le flirt (prononcé flirt et non fleurt), ainsi que le verbe flirter — et ce n’est qu’une coïncidence qui a fait croire que ce mot anglais venait de « fleurette » et de « fleureter » ; il n’en est rien. Ce flirt de la première époque semble avoir été purement verbal : « Les plus avenantes, les seules promenades souvent des grandes villes (en Syrie) sont leurs champs des morts ; on y cause, on y mange, on y fume, on y flirte. » (Melchior de Vogüé, 1875, in Littré.) Flirter prenait alors la place du vieux mot classique coqueter : « se plaire à cageoler, ou à être cajolée, faire l’amour en divers endroits — dit Furetière. Les jeunes fénéants, les femmes galantes, ne font autre chose que coqueter » (1690).

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9

Jeunes gens.

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11

Étoffe de soie légère.

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12

Leurs beaux corps.

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13

Priser.