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Jehan Rictus confie dans son journal (inédit) du 22 octobre 1898 : « Deux ou trois fois (…) j’ai sans le vouloir ému le cœur de jeunes filles pauvres, vierges et jolies. Je les ai toujours respectées, consolées fraternellement et découragées de m’aimer — sans flirter, loyalement, et même brutalement. »

Faire du plat

Faire du plat, c’est « mener auprès d’une femme une entreprise de séduction par la parole » (Cellard). L’expression, qui semble être née dans le dernier tiers du XIXe siècle, s’est popularisée dans la langue argotique autour des années 1880 au sens de « faire la cour d’une manière insistante. » « Julie ne fut pas insensible au plat que lui faisait l’ouvrier. Elle avait passé la trentaine, il fallait se ranger », écrit Aristide Bruant dans Les Bas-fonds de Paris (1885–1890). Jehan Rictus, pour sa part, en 1897 :

Ah ! les maqu’reaux y sont pas d’bois, Et par meut’s entières aux z‘abois, En chapelets d’chipolata, Y s’tordent, y gueul’nt, y /font du plat Et jouent un jeu qui les enflamme.

Les Soliloques du Pauvre

Les lexicologues rapportent avec ensemble « faire du plat » à la vieille locution « donner du plat de la langue », adresser de belles paroles, dont ils en font l’aboutissement. Cette dernière expression, forgée à partir du XVIe siècle sur le modèle du « plat de l’épée » — sans doute à cause du rapprochement traditionnel des « coups de langue » et des « coups de lance », ou « d’épée » — ne paraît pourtant pas avoir été furieusement en usage au XIXe siècle, et le passage pourrait ne pas être aussi évident qu’il semble… En revanche il existait dans l’argot de l’époque la platine, qui désignait d’abord la langue, puis signifia « faconde, éloquence gasconne » — selon la précision de Delvau, qui note en 1866 : « Avoir une fière platine. Parler longtemps ; mentir avec assurance. » Le mot était si répandu que Littré lui-même le relève : « Terme populaire. Avoir une bonne platine, parler beaucoup et avec assurance. » Il se trouve aussi sous la plume de Balzac : « Fastueux, aimant à bien faire les choses, il se donnait pour un homme coulant, et il semblait d’autant moins dangereux qu’il avait gardé la platine de son ancien métier (acteur), pour employer son expression, en la doublant de l’argot des coulisses. » (Le cousin Pons, 1847.) Faire du plat serait-il une spécialisation de cette « platine » tournée vers la menterie dragueuse des bas-fonds ?… Le passage n’est pas plus évident, mais il aurait le mérite de s’être opéré dans le même monde.

Faire du gringue

C’est une autre façon de dire la même chose ; le mot, obscur, ne date que du début du siècle, et l’expression n’a pris de la vogue que dans l’entre-deux-guerres. « Une petite blonde, elle s’était installée chez moi, elle zézéyait un peu, elle avait la folie du quinquina. Enfin, quoi, Nanette. J’avais cru m’apercevoir que tu lui faisais du gringue. » (M. Aymé, Le vin de Paris, 1947.)

Chanter la pomme

Dans un sens équivalent à conter fleurette, les Québécois disent « chanter la pomme à une fille. » Expression énigmatique. Quelle pomme ? On pense immédiatement à la pomme biblico-légendaire qui fut échangée entre Ève et Adam… Mais dans ce geste inspiré par le serpent il s’agissait d’une initiative féminine, et catastrophique de surcroît ! On voit mal comment cette anecdote issue de la misogynie médiévale aurait pu être détournée en expression galante.

Une autre piste paraît plus riche. R.-L. Séguin, historien québécois, étudiant les traditions du folklore, décrit le manège amoureux clandestin qui se pratiquait autrefois au cours des « danses carrées. » Il a relevé notamment plus d’une douzaine de façons différentes de se tenir ou se toucher la main entre cavalier et cavalière, lesquelles constituaient un véritable code érotique allant du simple effleurement des doigts à des pressions plus soutenues, et destiné à prévoir l’après-danse et à organiser des rendez-vous sans qu’une parole soit dite. L’un des signes de ce discours muet consistait pour le garçon à presser d’une façon particulière la paume de la fille.

A-t-il pu se produire, dans ce contexte musical des danses folkloriques, un glissement vocalique : chanter la paume — chanter la pomme ? C’est une hypothèse qui est loin d’être négligeable, compte tenu des variations phonétiques du québécois.

Faire les yeux doux

On disait jadis, faire les « doux yeux », comme à l’inverse on fait les « gros » yeux à un enfant. « Il y a longtemps que ce jeune homme fait la cour à cette veuve, qu’il lui fait les doux yeux. » (Furetière, 1690.) C’est sans doute la plus vieille façon de conquérir !

Les « yeux doux » semblent s’être fixés, dans cet ordre, au début du XIXe siècle : « Une autre Louise la remplaça immédiatement : c’était une cuisinière de la rue du Caire. Chaque fois qu’elle passait devant l’endroit où je travaillais, elle me faisait les yeux doux. » (Le Bossu Mayeux, texte anonyme de 1832 qui peut être attribué à Émile Debraux[14].)

Les échanges de regards étant bien sûr toujours de mise, nous avons dans ce monde changeant enfin une expression stable : « Comme il est touchant, Gérard ! Il a pris la main de la fille et lui fait les yeux doux. Les yeux doux, mais avec un peu de défi tout de même. » (Berroyer, Je vieillis bien, 1983.)

Faire des yeux de merlan frit

Faire des yeux de merlan frit — dit le Larousse dans son édition de 1898 : « Lever les yeux au ciel, d’une manière ridicule, de sorte qu’on n’en voit plus que le blanc. »

C’est là une gestuelle de cinéma muet, qui, accompagnée des soupirs énamourés de rigueur, n’a guère plus cours chez les amants… L’expression est pourtant demeurée en usage depuis le dernier quart du XIXe où elle est apparue, reprenant une notion d’œil blanc qui était jusque-là l’apanage de la carpe.

C’est en effet la carpe, poisson d’eau douce autrefois fort commun sur toutes les tables, qui a fourni le prototype de cette image culinaire de la pâmoison amoureuse, réelle ou rêvée.

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14

Cf. Cl. Duneton, La goguette et la gloire, Le Pré aux Clercs, 1984.