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(J. Rictus, Le Cœur populaire, v. 1900.)

Rouler un patin

Le patin m’a toujours paru une forme pour ainsi dire exagérée de la simple langue fourrée ; un baiser superlatif et enfiévré, accentué de roulements de tête qui accompagnent les mouvements giratoires de la langue autour de la langue de l’autre. Mais peut-être que je me trompe…

L’expression rouler un patin est signalée par G. Esnault comme apparaissant pour la première fois dans le milieu des voyous, en 1927. Elle semble ne s’être réellement popularisée parmi la jeunesse qu’à la fin de la guerre de 39–45, après avoir circulé intensément dans le monde des prisons ; c’est sans doute pourquoi on la trouve dès 1947 sous la plume de Jean Genet, lui-même ancien voyou, frais émoulu des Maisons d’arrêt : « Il se pencha sur le visage du gosse et le prit dans ses mains :

— Ah ! si je la tenais comme je te tiens. Tu parles d’un patin que j’y roulerais. » (J. Genet, Querelle de Brest, 1947, in Cellard.)

Ces considérations n’aident guère à élucider le mystère de l’origine de cette locution incongrue : pourquoi un patin ?… L’idée de patiner — au sens artistique, ou au sens érotique ? — dans la bouche du, ou de la partenaire ? Sans doute c’est ce que sent l’usager actuel, et ce qui a fait le succès de l’expression, ce n’est pas nécessairement une marque d’origine. Jacques Cellard fait remarquer que : « Le mot n’apparaît qu’en association avec “rouler”, et à l’époque de la vogue du “patin à roulettes » (D.F.N.C.) Ce rapprochement recouvre assurément plus qu’une coïncidence, et il doit bien avoir existé un rapport de cause à effet — lequel ? C’est une autre paire de manches !…

Rouler un palot

Le palot qui circulait beaucoup dans les années 50, paraît tout aussi mystérieux que le patin. La seule chose qui semble certaine c’est que, comme les autres variantes qui suivent, rouler un palot s’est forgé à l’imitation de rouler un patin dont il est un équivalent pur et simple, sans autre nuance particulière. Le palot diminutif de « patin » est assez improbable, malgré le rapprochement que crée la première syllabe identique. Cependant il pourrait dériver de « palette » que l’on trouve au sens de langue dans les années 30 ; la difficulté est que nul n’a entendu parler de « rouler une palette. »

« Presque à la fin du tournage, je roule un palot à un mec de chez Renault. Sur les lieux du tournage. Horreur ! » (Canard enchaîné, 1977, in Cellard.)

Rouler une pelle

La même chose que le précédent. Rouler une pelle paraît une création assez récente — années 60 ? Elle constitue une variante rigolote et fantaisiste de « rouler un pâlot », avec peut-être quelque chose de plus accentué dans la vulgarité voulue, dans l’exagération. Une pelle, c’est tout de même immense, disproportionné, voire un tantinet agressif. « (Elle se tourne vers sa copine :) Oh ! Madame est occupée. Pardon.

Les deux autres sont encore en train de se rouler des pelles. Je vois qu’il a sa main sur un genou. » (Berroyer, Je vieillis bien, 1983.)

Rouler une galoche

De création encore plus récente, semble-t-il (vers la fin des années 60), rouler une galoche s’est formé comme une variante outrancière de rouler « un patin » — celui-ci étant compris comme une « chaussure » un peu distinguée. Pourquoi une galoche et pas un sabot, une espadrille ou un brodequin ?… Probablement parce que le mot, dépréciatif, à connotation rurale, fait résonance avec « le menton en galoche », imposant une image plausible fournie par la position qu’occasionne ce baiser la bouche ouverte. Il y a dans l’expression une volonté de lourdeur et de trivialité :

« Il semblait en baver pour elle, l’amoureux… Tous les dix mètres il lui roulait une galoche, et c’est qu’elle ne crachait pas dessus. » (C. Jacquin, Les Caramels à 1 franc, 1976, in Cellard.)

Se sucer la pomme

L’expression était déjà de mode au XIXe siècle, et relevée par Delvau en 1866 : « Se sucer la pomme. S’embrasser, se bécoter. On dit aussi — ajoute-t-il — se sucer le trognon. »

La « pomme » étant la tête, l’expression a duré jusqu’à aujourd’hui au sens de bécotage prolongé et incessant ; elle évoque des amoureux qui n’arrêtent pas de se lécher. « Le fait est que c’était des estomaquants aussi, ses voisins ! Prenaient tous leurs repas au lit. Se levaient seulement parfois, au milieu de la nuit, en grand tralala et sortaient. Le reste du temps, demeuraient pagés, à se sucer la pomme. » (R. Guérin, L’Apprenti, 1946.)

ACTE VÉNÉRIEN

Foutre !

Le verbe foutre, du latin futuere, est de nos jours si banal au sens de « faire » que le grand public en a oublié qu’il est le père du coït. À peine si on l’éprouve comme un peu familier, ce mot jadis parfaitement tabou : on ne sait plus que « foutre », c’est baiser… Dans son excellente étude du Dictionnaire du français non conventionnel, Jacques Cellard résume ainsi pertinemment la situation : « Le verbe français a directement succédé au latin dans le même sens (fotre, XIIIe siècle). C’est le plus ancien, le plus général, et jusqu’à une époque récente le plus usuel sinon le seul des verbes nommant le coït. De ce fait, il est resté, des origines de la langue à la fin du XIXe siècle, le mot tabou par excellence. »

C’est vrai, foutre a si complètement été éliminé par « baiser » au cours de ce siècle, dans les dernières décennies en particulier, que la quasi-totalité des jeunes générations actuelles l’ignorent tout à fait. Les jeunes filles de notre temps tendent ainsi la main par-dessus les siècles, c’est très touchant, aux pucelles du temps jadis qui n’en savaient goutte parce que le mot était si odieux qu’on le leur cachait. On pourrait reproduire aujourd’hui cette historiette du XVIIe siècle que conte Tallemant des Réaux :

« Un procureur, las de toutes les interrogations que sa femme faisait à une servante qu’elle voulait prendre, en lui demandant : “Savez-vous ceci, savez-vous cela”, dit : “Savez-vous foutre ?” La fille, qui ne savait pas ce que cela voulait dire, répondit : “Monsieur, pour peu qu’on me le montre, je l’aurai bientôt appris.” » (Tal. des R. Historiettes, v. 1660.)

Il est bien malaisé, sinon impossible de savoir à quel moment le verbe foutre s’est employé dans des locutions indépendantes, privées de leur connotation sexuelle. Ce fut probablement un cheminement incertain, au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, dépendant des communautés d’usage, des circonstances ; il semble qu’il se soit d’abord détaché de son sens premier dans certaines tournures du langage le plus populaire, alors que les classes instruites et aisées ont joué beaucoup plus longtemps sur l’ambiguïté des valeurs. Je ne ferai qu’évoquer ici deux ou trois évolutions à la lumière de ce qui demeure des éléments de documentation épars.