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S’en foutre

Se foutre de quelque chose, s’en moquer, non au sens de la raillerie, mais à celui de l’indifférence totale — je m’en fous, comme aujourd’hui « je m’en branle, je m’en tape, je m’en balance, ça m’est parfaitement égal » — apparaît de bonne heure dans l’usage. J. Cellard relève cet emploi dès les années 1660 :

Jupin, là-haut, comme un pourceau, Outre sa sœur et son oiseau, Se fout de tous, tant que nous sommes.
(C. Le Petit, v. 1660.)
Qu’une vierge soit la mère D’un Sauveur ressuscité, Et que l’esprit en colombe Descende comme une bombe, Je me fous de leurs destins Pourvu que j’aie du vin.
(Les Libertins, v. 1665.)

Se foutre du qu’en-dira-t-on apparaît dans la première moitié du XVIIIe siècle. Le langage dialectal semble avoir assimilé s’en foutre sans aucune connotation sexuelle dès la même époque, témoin ce passage du Coup d’œil purin, long poème en normand de Rouen, qui date de 1773 :

« M’zenfans, ça que j’fais, c’est pour vous. » Pour nous dà ? mille sacrelottes ! Et pi qu’chétoit du s’en fout, Ch’est pou li ça que j’fais étout. (« Mes enfants, ce que je fais, c’est pour vous. » Pour nous vraiment ? mille saperlottes ! Eh bien puisque c’était de la « foutaise », C’est pour lui ce que je fais itou.)

Quelque vingt ans plus tard un dialogue révolutionnaire donne la locution avec une valeur tout aussi moderne et dé-sexuée : « Je m’en fous ben de tous ces ennemis-là, moi ; ce n’est que de la gueusasse. » (Le Drapeau rouge, 1792.) On aboutit ainsi à l’emploi relevé par Cellard dans Rétif de la Bretonne : « Ho ! que les Puristes ont dû se récrier au Chapitre précédent !… Hé bien, Puristes, je m’en fous. (L’Anti-Justine, 1797.)

Le XIXe utilisa l’expression tout du long, en large et en travers : « Vous me demandez un remède contre le choléra. Sachez qu’il n’y en a point. L’important pour l’éviter est de s’en foutre carrément, de ne pas forniquer après dîner et de se tenir le ventre chaud. Item, garder le lit aussitôt que l’on a la courante. » (Mérimée, Lettre à Stendhal du 26 mai 1833.)

Le compère s’en ficher.

On n’a pas fini de discuter pour savoir si ficher est réellement à l’origine un euphémisme de foutre dans ses acceptions figurées. Il semble effectivement l’avoir été dans certains cas, et pas dans d’autres. J’ai trouvé cette forme sans doute adoucie de l’indifférence dans Caylus, au milieu du XVIIIe : « Il y a bien apparence que la tante de mamselle Godiche lui aura chanté le te Deon raboteux ; mais il paraît qu’elle s’est fichée de ça ; car je l’ai vue, depuis, sur le pied français, et je l’ai menée bien souvent avec des plumets galonnés. » (Caylus, Mémoires de M. Guillaume, v. 1740.)

À l’inverse, un superlatif rare, s’en chier, tendrait à indiquer que « s’en foutre » s’était peut-être déjà banalisé dès le XVIIIe dans la partie la plus mal embouchée du « bas peuple » de Paris.

— En as-tu assez ? Et tu n’auras pas encore le pagnier.

— J’ m’en chie ; j’ons acheté des cornettes et je r’commencerons à nous r’licher des plus belles.

(Le Panier de Maquereaux, 1764.)

Je t’en fous !

Cette façon de protester en envoyant son interlocuteur sur les roses n’avait déjà plus rien de sexuel en 1750.

Nos riboteurs veulent payer (…) — Mais, dit Nicole, à votre avis Combien avons-je de dépense Monsieur ? Lisez-nous cte sentence… — Le total ? — Oui… — Cinquante sous… — Cinquante sous ! je vous en fous, C’est trop cher…
(Vadé, La Pipe cassée, 1755.)

Son euphémisme je t’en fiche lui fait escorte aussitôt :

Dans tout cha, tu crairois pet’être Que l’Rouai songe à nous, je t’en fichis ! Nan’pus qu’si j’étiommes dans st’Aître. (Dans tout ça tu croirais peut-être Que le Roi pense à nous, je t’en fiche, Non plus que si j’étais dans ce cimetière.)
(Le Coup d’œil purin, 1773.)

Ce qui indique ici que c’est « foutre » qui est senti derrière, c’est cet autre glissement euphémistique « je t’en fouille », qui est demeuré dans l’usage assez longtemps.