Выбрать главу
Quand un Rouai zest benn cas et ras I crait qu’tout l’monde l’est, oui j’t’en… fouille. (Quand un roi est bien chauffé et rassasié Il croit que tout le monde l’est, oui, je t’en… fouille.) (Idem.)

Ficher le camp — foutre le camp

Les hypothèses formulées jusqu’à présent sur cette expression curieuse demeurent toutes insatisfaisantes. C’est en reprenant les dates, et guidé par les suggestions de J. Cellard, que je propose à mon tour la mienne. « En dépit de l’opinion reçue — dit Cellard — il ne nous paraît pas certain que fiche, ou ficher soit historiquement une atténuation de foutre dans les emplois non sexuels de celui-ci. (…) Ficher le camp a pu signifier d’abord : jeter bas les tentes, avec précipitation, pour s’enfuir. »

En tout cas c’est bien cette première expression qui apparaît d’abord par écrit, dans l’état actuel de la documentation, vers le milieu du XVIIIe siècle. Ainsi dans ce passage de la célèbre Pipe cassée, de 1755 :

L’heure de retourner au gîte Venant pour eux un peu trop vite, Il fallut payer sur le champ, Et, comme on dit, ficher le camp : C’est sans adieu, ce qu’ils firent, Et de très-bonne humeur sortirent.

L’accompagnement ici, « comme on dit », et l’explication : « c’est sans dire adieu », indiquent que l’expression n’était pas encore d’un usage absolument banal au moment où Vadé l’écrivait ; d’autre part ces notations rendent des plus douteuses l’existence d’une expression « foutre le camp » extrêmement courante, et si connue qu’elle n’en serait que la forme adoucie. Ficher le camp me paraît ici être employée pour elle-même, et pas du tout comme un euphémisme de « foutre le camp », qui, peut-être, n’existait pas encore à cette date. Du reste, un peu plus tard dans le texte, l’expression est reprise en dialogue, avec les élisions qui la situent au niveau du parler populaire, sur le ton le plus rude :

D’abord l’oncle des mariés S’oppose à leur effronterie. — Vous n’êtes d’la copagnie, Dit-il, fichez l’camp sans fracas…

Si l’on veut bien trouver acceptable que ce soit là, en effet, la forme première de l’expression, on peut se demander ce que « ficher » peut venir faire dans ce camp — camp militaire à n’en pas douter. Or ce verbe a conservé jusque dans les premières décennies du XVIIIe siècle, époque probable de création de la locution, son sens propre de « enfoncer par la pointe », autrement dit « planter. » Des sens figurés se sont développés, témoin ce que dit Furetière en 1690 : « Ficher se dit quelquefois, mais bassement, (c’est-à-dire dans le langage du peuple) en parlant des personnes qui sont debout et immobiles. Qui est-ce qui vous a fiché en cet endroit-là ? On dit aussi : Il est toujours fiché dans cette maison, pour dire, il y est perpétuellement. »

On remarque que ces acceptions sont précisément celles où l’on emploierait aujourd’hui plus communément « planter » — Qui vous a planté en cet endroit ? Il est toujours planté dans cette maison, etc. Or, planter avait également à l’époque un sens similaire, en particulier dans l’expression courante « planter pour reverdir », qui a donné « rester planté. » « Me voilà bien planté pour reverdir, pour dire, on m’a abandonné en un lieu où je ne sais que devenir », dit Furetière. Il ajoute, parlant d’une femme, ou d’une maîtresse : « On dit aussi quand on la quitte, quand on l’abandonne, qu’on l’a planté là » (sic).

Rien n’interdit de penser que, dans certains cas, l’on ait : « fiché » le camp, ou plus justement et vulgairement « fichu » le camp, pour dire qu’on l’a « planté là », qu’on l’a abandonné… Je vois bien l’expression prenant naissance dans le cas des déserteurs, nombreux dans les dernières années misérables du règne de Louis XIV : « planter le camp », pour reverdir ou autrement, soit ficher le camp, déguerpir en douce, sans dire adieu, filer à l’anglaise ! C’est une façon précipitée de « laisser tout en plan », de quitter l’armée de manière clandestine, par opposition à « lever le camp », ou « rompre le camp » qui étaient les usages officiels des régiments pliant bagage pour d’autres lieux.

Si cette hypothèse est fondée, foutre le camp serait venu par la suite, comme renforcement de ficher le camp, à cause du parallèle qui existait par ailleurs entre se foutre et se ficher, pour donner une violence accrue à une expression rapidement mal interprétée. C’est en effet vers la fin du siècle seulement que l’on atteste la forme foutre le camp, dans ce passage de L’Anti-Justine : « Guaë l’entendit. Il vint à luy, le saisit à l’étouffer. « Tu manques à nos conventions (lui dit-il) ; je ne les tiendrai pas non plus ; fous-moy le camp, Malhonnête-homme ! » (R. de la Bretonne, 1797.)

Être foutu

C’est foutu, c’est-à-dire détruit, bousillé, hors d’usage, semble remonter à l’époque de la Révolution de 1789. L’apparition de cette locution apporte aussi de l’eau au moulin de la préexistence, dans certains cas, de « ficher » sur « foutre. » Le participe passé fichu, doublet populaire de fiché était d’usage courant et dépréciatif au XVIIe. « Il est bien fichu : mal fait, mal bâti. Vulgaire », écrit Oudin en 1640. Quant à Furetière : « Fichu. Terme bas et populaire, qui se dit par mépris des choses et des personnes mal faites et mal ordonnées » (1690).

En revanche, un pamphlet de quelques pages, intitulé La Bouillie pour les chats, et paru au mois d’août 1790, laisse entendre que l’expression c’est foutu avait alors fort peu de bouteille. Cet écrit qui prend précisément le terme foutu comme thème de sa dissertation, indique clairement que le terme était relativement nouveau et faisait un tantinet scandale : « Après tout, vous qui criez tant sur cette expression, c’est foutu, peut-être ne l’entendez-vous pas dans son vrai sens. C’est foutu veut dire que c’est fini, que tout est dit, que c’est rasé, qu’on a fait de la bouillie pour les chats. »