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Fin d’une légende tenace sur le mauvais esprit des écoliers.

Faire la bête à deux dos

Parmi toutes les façons anciennes de désigner plus ou moins gaillardement l’acte sexuel, la bête à deux dos est certainement une des plus constantes. À peine un euphémisme, qui évoque à mon avis, non pas tant la bestialité de la chose qu’une idée d’« union » très intime, et de bonne santé, et surtout la surprise de celui qui par inadvertance découvre la scène, au coin d’un bois ou au détour d’une haie vive !

Le Varlet à louer à tout faire du XVe siècle s’annonce ainsi :

Je fais bien la bête à deux dos Quand je trouve compagne à point.

Au XVIe siècle, Rabelais qui aime aussi l’idée de « frotter son lard », présente ainsi la lune de miel de Grantgouzier, père de Gargantua : « En son eage virile, espousa Gargamelle, fille du roy des Parpaillos, belle gouge et bonne troigne ; et faisoient eulx deux souvent ensemble la beste à deux douz, joieussement se frotans leur lard, tant qu’elle engroissa d’un beau filz et le porta jusques à l’unziesme mois. » (Gargantua, chap. 3.)

Au début du XVIIe siècle l’expression s’écrivait encore couramment. Dans Les Caquets de l’accouchée deux maris trompés « entrèrent à l’hostellerie où se passaient les affaires, et d’une chambre proche, qu’une simple cloison séparait de la leur, ils entendirent faire la feste à la façon de la bête à deux dos. »

Puis le siècle entra dans des voluptés plus chafouines : ce furent les feux, les flammes, les ardeurs, les cœurs saignants, la boucherie… On joua officiellement la passion de sainte nitouche. La bête à deux dos n’entra plus dans les salons, elle voyagea désormais dans les chemins creux. Plus tard Littré ne l’indique ni à bête ni à dos. Il cite cependant Coquillart : « Jehanne fait la bête à deux dos », sans aucun commentaire.

Bien qu’assez désuète aujourd’hui, l’expression est encore comprise — c’est la force des images : « Les tenants de la morale naturelle en amour sont des inconscients ou des sauvages. Ou c’est l’enfer, ou la saillie saisonnière, la bête à deux dos ponctuellement procréante. » (J.-L. Bory, Ma moitié d’orange, 1973.)

Voir la feuille à l’envers

Dans la même série à tendance champêtre, on peut citer aussi voir la feuille à l’envers. L’expression, d’origine plutôt lutteuse, ne semble s’être développée dans un sens érotique que vers le début du XVIIIe siècle ; en 1690, Furetière, pourtant malin, n’y mettait encore aucune cochonceté : « On dit aussi, qu’on fera voir à quelqu’un la feuille à l’envers, pour dire qu’on le reversera sur l’herbe dans un bois. » Il est vrai qu’il n’y avait qu’un pas à franchir pour l’appliquer à une fille, à cause de la position de base ; en 1752, Le Roux note dans son Dictionnaire comique : « Faire voir les feuilles à l’envers. Manière de parler qui signifie embrasser une femme charnellement. On s’en sert ordinairement pour exprimer en termes honnêtes le gros mot. »

Ces termes honnêtes eurent un certain succès ; la chose était fort entendue au cours du XIXe siècle, comme dans ce passage nullement romantique du Bossu Mayeux : « Nous fîmes mille bêtises qui aboutirent à foutre encore deux fois, nous nous levâmes à la brune pour aller danser à Montmartre, mais y étant arrivés, il fallut aller visiter un petit bois, où elle me dit qu’on serait très bien pour voir la feuille à l’envers : je ne me fis pas prier pour lui procurer ce spectacle gratis, et je crois que, quoiqu’il fût presque nuit, elle s’amusa à les compter, car ses mains qu’elle appuyait fortement sur ma bosse, ses jambes dont elle avait entortillé les miennes me tinrent au moins une demi-heure dans la même position, et à chaque feuille c’était un mouvement de cul très prononcé, qui ne laissait pas que d’être agréable. » (Le Bossu Mayeux, 1832, attribué à E. Debraux.)

Faire des folies de son corps

L’expression, qui est très ancienne, s’appliquait à l’origine aux débordements du sexe, aussi bien chez les hommes que chez les femmes.

Je ne sçay se c’est oit de paour (peur) Qu’il ne feist follye de son corps.

dit Coquillart au XVe siècle. Au XVIIe encore Oudin donne cette série : « Il a fait la folie.i. la faute — elle a fait la folie.i. elle s’est laissé embrasser, vulgaire — elle n’a pas encore fait folie de son corps.i. elle est pucelle. Item, se dit des choses qui n’ont pas encore servi. »

Plus tard l’expression devint graduellement féminine, au point de prendre une allure désobligeante. En 1680 Richelet écrit : « Faire folie de son corps. Cette façon de parler se dit des femmes, et veut dire se prostituer. »

Heureusement on peut de nouveau s’offrir des folies gratuites.

Coucher avec quelqu’un

C’est là une façon d’opérer qui est assurément vieille comme le monde. Elle évoque la quiétude d’un lit, mais s’emploie depuis fort longtemps dans un cadre plus large : « Quatre fois le jour il se couchait avec elle, et quelquefois au milieu d’un bois », raconte Tallemant des Réaux aux environs de 1660. Il conte par ailleurs cette historiette : « Une fille d’Orléans avait de la peine à se résoudre à épouser un certain garçon. On lui dit : “Allez, vous l’aimerez quand vous aurez couché ensemble.” Au bout de quelque temps on lui demande : “Hé bien ? — Vous aviez raison, dit-elle, le couchage y fait.” »

Sacrifier à Vénus

Malgré ses airs bon-chic-bon-genre et son allusion classico-ringarde à la déesse de l’Amour, cet euphémisme est apparu dans le langage populaire, et il ne date guère que des années 1920. On connaissait depuis longtemps « le coup de pied de Vénus », au sens de maladie vénérienne, et c’est sans doute par ce biais que fut inventé cet agréable sacrifice. « Parmi les habitudes que j’ai prises dans ma vie de Paris, enserré peu à peu entre les rets sans pouvoir dire au juste comment cela s’est fait, il y a celle, comme le veut la périphrase vulgaire, de “sacrifier à Vénus” le dimanche dans la matinée. » (M. Leiris, Biffures, 1948.)

L’expression, bien commode pour la presse de bon ton qui tient à modérer son style, n’est pas tombée en désuétude. Ainsi cet appel que relève le Canard Enchaîné du 5 mai 1982 : « Affolée d’avoir sacrifié à Vénus, la veille, elle demande votre secours pour en éviter la conséquence obstétricale. Donnez-lui deux solutions immédiates. » « La foutre dehors », répond le Canard.