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« Faire une pipe » est à l’origine la façon courante, dans le langage populaire des années 20 et 30, de dire « rouler une cigarette » ; avant l’usage pour tous des cigarettes « toutes cousues » — lequel ne remonte guère qu’aux années 60 — il était habituel sur tous les chantiers de faire une petite pause, le temps de « s’en rouler une », de « se faire une pipe », et de l’allumer. Comment le sens a-t-il pu glisser de cette action banale à l’autre, parmi les plaisanteries des douillettes maisons closes de papa ? — Sans que rien soit assuré, on peut assez facilement rapprocher les deux choses : non seulement le roulage du tabac entre les doigts, à gestes méticuleux, évoque assez bien le tripotage d’une pine, mais surtout vient ensuite le léchage précis et délicat, du bout de la langue, tout au long de la cigarette, qui produit à lui seul une image assez irrésistible pour qu’elle jaillisse naturellement dans la gouaille des pipeuses professionnelles. « Tu veux que je te fasse pareil à ta petite queue, mon mignon ?… »

Il est du reste remarquable que la tabagie ait toujours été plus ou moins associée au libertinage, aux lieux de débauche, et en général aux filles de mauvaise vie. Une femme qui, autrefois, s’exerçait à « culotter la pipe » d’un homme — même sans sous-entendu paillard — la vraie pipe en terre, se donnait fort mauvais genre. Je rapporterai ici le portrait de la « grue » au milieu du XIXe siècle, paru dans le Tintamarre, et dû à un chroniqueur anonyme que je soupçonne être Alfred Delvau soi-même : « Aujourd’hui la courtisane, c’est-à-dire la grue, est fille de portière ou de blanchisseuse. Elle a fait son éducation dans une échoppe de savetier, et s’est d’abord exercée à piquer des bottines en attendant le jour où elle piquera l’assiette à la Maison-d’Or. Ensuite, elle s’est abattue dans le caboulot, où on lui enseigne à culotter des pipes. Aussi, avec quelle élégance elle lance la fumée du cigare ! avec quelle dextérité elle lève la jambe à la hauteur de l’œil ! Sa conversation est au même niveau : “Je me la brise… C’est topique… As-tu du chien ?… Tu peux te fouiller.” C’est un catéchisme adorable. » (ln Pierre Larousse, t. 4, 1869.)

La variante qui tend aujourd’hui à remplacer « faire » : tailler des pipes, est directement modelée sur tailler une plume ; cela donne à cette expression un air absurde de bon aloi.

« J’avais quatorze ans, elle quinze. On faisait les caves des achélem. Je racolais dans les troquets du coin et j’tenais les comptes. Époque fructueuse, mais démoralisante pour Olga. Elle s’est fait un décrochement de mâchoires à force de tailler des pipes ! » (Fred Lasaygues, Vache noire…, 1985.)

Faire soixante-neuf (69)

Le XIXe siècle a bien connu le numéro de tête-bêche que figurent ces chiffres amusants.

Que fait Bacchus quand, accablé d’ivresse, Son vit mollit et sur le con s’endort ? Soixante-neuf… et son vit se redresse, Soixante-neuf ferait bander un mort.
(Parnasse satyrique, 18…)

L’expression de ces salacités s’est prolongée tant bien que mal jusqu’à nos jours, mais la connotation égrillarde du chiffre paraît moins forte que naguère. « Parfois, comme ça, quand il y avait un copain assez dessalé pour le demander à la sous-maîtresse, on se faisait faire une petite exhibition-maison dans une chambre. Ça les mettait en joie de voir deux morues, sur un matelas, qui se faisaient 69 ou une feuille de rose. » (R. Guérin, L’Apprenti, 1946.)

Faire une partie carrée

Contrairement à ce que l’on pense de nos jours, la notion de partie ne doit rien à l’anglais. Au XVIIe siècle le mot désignait de façon courante, parmi bien d’autres usages, une réunion de gens qui s’amusent : « se dit aussi de tous les autres divertissements où on engage certaines personnes, et à certains jours », dit Furetière. C’est ainsi que le mot fut compris jusqu’au siècle dernier : « Venez passer demain la journée avec moi, quelques-uns de mes voisins s’y rassembleront pour faire de la musique, il en demeurera peut-être un petit nombre à souper ; si la partie vous plaît vous les imiterez. » (Caylus, Les Manteaux, 1746.)

De même une partie carrée était alors simplement formée de quatre personnes : « On appelle une partie carrée, celle qui est faite entre deux hommes et deux femmes seulement pour quelque promenade, ou quelque repas. » (Furetière, 1690.) Ce sens a vécu sans sous-entendus paillards jusqu’au XIXe — du moins la paillardise n’était-elle pas nécessairement incluse dans les prémices : « Jacquemard monte dans la pièce où je me disposais à me mettre à table avec deux femmes. Un fourrier de recrutement, qui devait former partie carrée, n’était point encore arrivé. » (Vidocq, Mémoires, 1828.)

Cependant la notion de « partie carrée » spécifiquement prise au lit, — ce que l’on appelle plus volontiers aujourd’hui « échange de couples » — s’était introduite dans les chaumières dès la seconde moitié du XVIIIe ; il n’y a aucun doute sur les intentions dans ce passage du Paysan perverti, de 1775 : « Une grosse Louise était avec toi, au sortir d’un mauvais lieu. Tu lui as demandé si elle ne connaissait pas quelque amie pour faire partie carrée. » (R. de la B.)

L’expression est demeurée en grand usage jusque vers les années 50 ; elle paraît vieillotte aujourd’hui, et comme entachée d’indécence. On lui préfère son dérivé « partouze. » « Il y en avait aussi qui se mettaient à plusieurs pour faire l’amour. Georges y faisait de fréquentes allusions et je devinais bien qu’il aurait aimé qu’on fasse pareil, lui et moi. Mais pour ça, j’ai jamais voulu. Les parties carrées et les partouzes, très peu pour moi ! Je ne suis pas vicieuse. » (R. Guérin, La Peau dure, 1948.)

Faire une partouse

La partouse est aujourd’hui une « activité sexuelle collective », sans égard au nombre des participants — à partir de trois personnes, cela s’entend. Le mot s’emploie du reste assez librement par tout débordement sexuel, de préférence avec témoins, ces récréations étant en principe l’apanage des classes aisées de la société. Jacques Cellard fait apparaître cette acception vers 1925 :

« Figure-toi que les gens de la haute ont inventé un vice nouveau. Tous ces blasés ne prennent plus grand plaisir à faire ce que vous pensez ; le ragoût, pour eux, c’est de se le regarder faire entre eux. On appelle ça “La Partouze” ! » (Galtier-Boissière, La Bonne Vie, 1925, in Cellard.)

ORGASME