Prendre son pinglot
Il est naturel que les équivalents du pied — celui de la jambe — donnent lieu à des variantes fréquentes ou occasionnelles : prendre son panard, son pinceau, et pourquoi pas son ripaton… Le pinglot, dérivé de « pingot », altération de « pinceau », apporte lui aussi son image brutale : « Prépare-toi à prendre ton pinglot ; aujourd’hui, j’ai envie de t’enculer en te tirant les oreilles, je sais que tu adores ça. » (Berroyer, J’ai beaucoup souffert, 1981.)
La masturbation a toujours été à l’honneur des satisfactions intimes, bien qu’elle ait été un plaisir caché ; « Masturbons-nous, c’est le plaisir des dieux ! », dit une chanson leste du XIXe. Il s’agit du reste presque exclusivement de la masturbation masculine, plus évidente, plus triomphante et extériorisée, et qui a donné lieu à toute une floraison d’images plus ou moins mouvantes qui se sont succédé au fil des siècles. Je citerai parmi ces expressions tombées dans l’oubli : Se polluer le dard, qui comporte un jugement moral, se balancer le chinois, ou se polir le chinois, à cause que le vit a la tête chauve, et aussi le joli se coller une douce, dont Delvau affirme que « c’est une bien douce chose tout de même. »
Se branler
Le vieux verbe branler, si usuel dans l’ancienne langue, au sens de bouger, remuer, agiter, s’est vu écarté de l’usage ordinaire grandement à cause de sa signification érotique qui a fini par l’emporter sur toutes les autres ; « branler », c’est aujourd’hui « masturber », et les vieilles locutions qui demeurent des anciens temps et s’emploient encore, telles que « branler le chef », remuer la tête, « branler dans le manche », être irrésolu, on « se mettre en branle », en mouvement, prennent involontairement une légère teinte égrillarde.
Branler était déjà établi au début du XVIIe siècle dans son acception masturbatoire, avec une double entente sur l’expression branler la pique, qui signifiait au sens propre « faire le maniement » de cette arme de combat. Témoin ce passage sans aucune ambiguïté du Cabinet Satyrique de 1618 :
La connotation sexuelle de ce verbe est si peu équivoque à l’époque qu’Oudin le relève intransitivement en 1640 : « Bransler, faire l’acte charnel. » Les meilleurs auteurs l’ont employé à la forme réfléchie et masturbatoire au XVIIIe et au XIXe siècle : « Elle m’a avoué que sa position devenait affreuse vers onze heures du soir. Je lui ai conseillé de résister le plus longtemps qu’elle pourrait, mais si elle était forcée dans ses derniers retranchements de tendre une main secourable à Ancillus et de le débarrasser de son superflu. Je veux dire de le branler. Je ne sais pourquoi je m’amuse à chercher des périphrases pour une chose aussi simple. » (Mérimée, Lettre à Stendhal, 1er décembre 1831.)
Se branler, terme générique du plaisir solitaire, était courant et bien établi à la même époque : « Je n’avais que quatre ans et je couchais avec elle : elle était belle alors, et je voyais à mon aise ses beaux tétons, son beau cul, son beau con. Je ne sais si malgré son état ce dernier la démangeait souvent, mais je crus m’apercevoir qu’elle se le grattait chaque matin en y mettant son doigt, comme nous pourrions faire à notre oreille. Cela me donna l’habitude de me branler et je la conserve encore. » (Le Bossu Mayeux, 1832.)
La veuve Poignet
La vieille allégorie de la veuve Poignet, autrement dit la propre main du branleur solitaire, fit florès au XIXe siècle. « La première maîtresse des jeunes gens, comme le médius est le premier amant de toutes les femmes », écrit Delvau en 1864, citant à l’appui une chanson anonyme :
Cette veuve secourable est bien difficile à interpréter. L’idée du veuf « privé de sa femme », qui est, selon Jacques Cellard, « un masturbateur habituel » ne paraît pas convaincante. Se pourrait-il qu’il y eût à l’origine de l’expression — vers le début du XIXe ou la fin du XVIIIe — un jeu de mots avec la « veuve », la guillotine, parce qu’elle « décalotte » le vit ?… On peut penser aussi que la convoitise traditionnelle des jeunes veuves pour les adolescents ou les célibataires libres d’entraves conjugales a suffi à créer la plaisanterie : la veuve Machin étant absente, on a toujours le recours possible de la veuve « Poignet. »
En tout cas cette personne, appelée parfois Mme Poignet (Fini, Mam’ Poignet et ses leurres / Solitaires et clandestins — Jehan Rictus, 1897), est une bien bonne âme, une maîtresse idéale avec laquelle on ne se dispute jamais. C’est ainsi que la conçoit un légionnaire de 1906, célibataire endurci :
« Ça manquait un peu de femmes ? observa Doche.
— T’en fais pas pour ça, vieux Charles. Les femmes m’ont jamais manqué. J’avais juste douze ans quand je m’suis marié avec la veuve Poignet. J’lai tellement trouvée à mon goût qu’on s’est jamais quittés depuis, nous deux. Tu parles d’une mariée qui est bath ! vieux Charles. On s’est pas seulement disputé une fois depuis qu’on est ensemble et pour la mettre en chantier, allez, pas d’histoires ! Vas-y Léon… » (Antoine Sylvère, Le Légionnaire Flutsch.)
S’astiquer la colonne
On a oublié le rôle symbolique que la colonne Vendôme, à Paris, a joué pendant tout le XIXe siècle. Ce monument inauguré en 1810 à la gloire des armées napoléoniennes, et dont le bronze qui l’entoure provenait des 1200 canons pris à l’ennemi durant la campagne d’Austerlitz de 1805, frappa tout de suite l’imagination des Français. Sous la Restauration elle devint le symbole de la grandeur de la France et de l’Empereur déchu ; l’une des chansons les plus célèbres d’Émile Debraux, écrite en 1818, dont le succès ne s’est pas tari jusqu’au début de ce siècle, se termine au refrain par ces vers qui furent une véritable scie :