Выбрать главу
Ah qu’on est fier d’être Français Quand on regarde la Colonne !

Cette colonne Vendôme, donc, préfiguration érectionnelle de la tour Eiffel, fut tout de suite comparée à un phallus géant. La colonne fut ainsi pendant un siècle le désignatif privilégié du pénis : « Le membre viril, que nous sommes bien plus fiers de regarder ou de montrer à une femme que d’être français. » (Delvau, 1864.) Mérimée écrivait à Stendhal en 1832 : « Je voudrais pouvoir la mettre à votre disposition (une fille), elle vous apprendrait le régletage des colonnes et le casse-noisettes, inventions qu’on ne saurait trop louer. »

Dans ces conditions s’astiquer la colonne, ou se la polir, allait de soi-même — si j’ose dire.

Se taper la colonne

Se taper apparaît dans le supplément du Dictionnaire de la langue verte, de Delvau, en 1883 : « Se voir refuser quelque chose ; s’en passer. — Se masturber. » Il est probable que le geste ait été pour quelque chose dans l’utilisation du mot, plus violent que « polir » ou « astiquer » ; l’idée de frustration par absence de sexe, de privation, a dû en découler. Cet emploi ambivalent apparaît bien dans ces vers de Jehan Rictus, en 1897 — où la Colonne joue son rôle :

Or pour s’offrir eun’ fill’ de joie Ce soir… n’a fallu s’cotiser ! […] Un seul couch’ra… hein, quel succès ! Les aut’s y s’tap’ront… sans personne (Ah ! qu’on est fier d’être Français Quand on regarde la Colonne !)
(Les Soliloques du pauvre.)

L’expression prend ainsi un tour plus « étymologique » avec sur : « Un frère ce Péruvien ! Dans toute la force du terme, comme disait le Mammouth, son prof d’histoire au Lycée de Portville, qui chantonnait en parlant et appuyait sur certains mots. Savoir s’il se tapait aussi sur la colonne, le Péruvien ? Et le Mammouth ? Ce qu’il avait des yeux vicieux ! » (R. Guérin, L’Apprenti, 1946.)

Se taper une pignole

Une pignole, diminutif de pigne, est dans le domaine occitan une pine… de pin. C’est donc là une version polie de se taper une queue. « M. Hermès et elles restèrent seuls dans la chambre. Ça l’embêtait un peu, parce que, l’avant-veille, il s’était justement tapé une pignole. Il avait peur de ne pas être en forme. » (R. Guérin, L’Apprenti, 1946.)

Se taper un rassis

La forme première de cette expression aujourd’hui fort courante est se coller un rassis, variation probable de « se coller une douce. » Pourquoi un rassis ? L’utilisateur moderne voit sans doute une action qui a trop tardé, la compensation d’une frustration prolongée, qui libère une semence qui n’est plus « fraîche »… Cette interprétation rend mal compte de l’origine possible de l’emploi d’un tel mot, exclusivement appliqué au pain dans l’usage ordinaire. Que ce soit, comme le suggère J. Cellard, « le substantif dérivé de se rasseoir, au sens de “se calmer” (cf. un esprit rassis) », supposerait à mon avis une démarche beaucoup trop littéraire pour une construction éminemment populaire, voire vulgaire dans son intention, et me paraît hautement invraisemblable. L’origine de ce mot, qu’on ne trouve par ailleurs nulle part en argot, demeure donc plutôt énigmatique.

Si l’on en juge par une indication fournie par l’ancien légionnaire Antoine Sylvère l’expression pourrait avoir pris naissance dans les armées d’Afrique du début du siècle ; ainsi dans ces conseils d’un ancien à la jeune recrue de 1906 : « D’abord, y faut être un homme. Y faut te rappeler toujours que t’en as une paire — pour ce qui est de t’en servir, à la Légion tu te l’accrocheras dans les grands prix ; c’est pas avec ton sou par jour, qu’y te faut rien que pour te payer ton savon, que tu pourras te payer des odalisques. T’en seras quitte pour te “coller un rassis” quand ça te démangera trop. » (Le Légionnaire Flutsch, rédigé dans les années 50 sur des souvenirs de 1906.)

La forme se taper un rassis, construite par attraction des autres « se taper » usuels, apparaît dès les années 30 : « Aussitôt qu’elle était partie, ça manquait jamais, je bondissais aux gogs, au troisième, me taper un violent rassis. (Céline, Mort à crédit, 1936.)

HOMO

Être de la pédale

Cette expression fameuse et contemporaine de l’homosexualité est construite sur la vieille tournure être de la jaquette, en usage depuis le XIXe siècle, laquelle paraît à son tour provenir de la reconstruction de l’encore plus ancienne formule être de la manchette. « L’ordre de la manchette, précise Delvau, a précédé celui de la rosette… Affaire de mode. » (1864.) Car on parlait aussi dans les salons des « chevaliers de la rosette. »

Il est à remarquer que l’appartenance à ces ordres et à ces clubs a donné de bonne heure la forme elliptique en être, toujours en usage. Vidocq note en 1836, dans Les Voleurs : « En être : aimer la pédérastie. »

Être de la pédale constitue une façon de parler sibylline qui ne peut avoir pris naissance, d’une manière ou d’une autre, qu’en relation avec le monde de la bicyclette, en pleine extension après la Première Guerre mondiale. Il est certain aussi que l’assonance des deux premières syllabes avec l’injure « pédé ! » — pédéraste — a assuré le succès de l’expression, que l’on relève pour la première fois par écrit en 1935.

Malgré la grande méfiance qu’il faut avoir à l’égard des explications « anecdotiques » des expressions populaires, je donnerai ici la proposition d’un lecteur, sous réserve, parce qu’elle me paraît possible, voire vraisemblable, et que les dates correspondent parfaitement. M. Rodolphe Rebour, de Neufchâtel-en-Bray, fut longtemps dessinateur publicitaire et mêlé au monde du cyclisme ; il est le frère de Daniel Rebour, journaliste technique mondialement connu dans le monde cycliste, duquel il tient ses informations de première main. Il m’écrit : « C’est André Ledur, vainqueur des Tours de France 1930 et 1932, qui a révélé à mon frère cette origine peu connue (celle de “pédale”, pour pédéraste). Vers 1924, ce champion encore amateur appartenait au Vélo-club-Levallois dirigé par le grand meneur d’hommes Paul Ruinart ; il serait trop long d’énumérer les médailles olympiques, les titres de champion du monde et de France, bref tous les succès d’hommes comme Blanchonnet, Archambaud, Ledur, Speicher, Wambst, Souchard, Lapébie, etc. Très en marge de l’équipe première existait un groupe de garçons, coureurs de très modeste niveau et d’un genre très “spécial”. Je vous redis que le V. C. Levallois était dirigé par Paul Ruinart, entraîneur de grand talent… mais sensible au charme de ces “mignons”. Les vrais coureurs, virils comme il se doit, et champions aux pédales bien huilées, méprisaient ces jeunes gens et les qualifiaient de “Pédales qui craquent” Seul est resté le mot “Pédales” ! »