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CONNERIE

Faire le con

Dans la grande floraison du langage érotique de tous les temps, le sexe de la femme, comme celui de l’homme, a naturellement une place de choix. P. Guiraud donne une liste, non exhaustive, de 435 mots le désignant[30]. Du Moyen Âge à nos jours le mot con constitue évidemment la base, le vit étant le pénis. Pour ceux qui croiraient que les anciens n’usaient que de miel et de métaphores, voici la description très technique de l’acte sexuel dans un fabliau du XIIIe siècle, Boivin de Provins :

[Boivin] l’estraint De la pointe du vit la point ; El [31] con li met jusq’a la coille, Dont li bat le cul et rooille [32] Tant, ce m’est vis [33] , qu’il ot foutu.

Parmi les innombrables substituts du con (du latin connus), terme générique, l’un d’eux a été privilégié pendant des siècles : c’est le connil, ou connin (du latin coniculum), l’ancien nom du lapin — cela à la fois à cause du jeu de mots évident et par un rapprochement facile. Pendant tout le Moyen Âge et jusqu’au XVIe siècle, on disait le « connil » comme aujourd’hui la « chatte » — encore que le « chat » remonte dans ce sens également au XVIe. Question de pelage. On disait couramment « chasser au connil » et même « conniller » tout simplement, offert ici par ces vers de Ronsard :

Japant à la porte fermée De la chambre où ma mieux aymée Me dorlottait entre ses bras, Connillant de jour dans les draps.

C’est au point que dès le XVe siècle le pauvre petit quadrupède avait un nom imprononçable, et qu’il fallut lui en trouver un autre. On l’appela « lapin », ce qui d’ailleurs lui allait bien. Néanmoins le connil, animal, avait eu le temps de léguer au connil, sexe, toute sa fâcheuse réputation de niaiserie, de lâcheté (Ha ! connil, tu as peur ?), voire de manque de cervelle — on disait « avoir une mémoire de connil », etc. Il semble bien qu’au travers de diminutifs tels que connaud, coniche ou conart, « pleutre et ballot », quelque chose de cette réputation lamentable soit passé sur le « con » moderne : le parfait imbécile, avec toutes ses variantes, grand, vieux, pauvre, etc.

Ce con-là — si j’ose dire — était déjà bien connu dans la langue vigoureuse au XVIIIe siècle. J. Cellard, qui est allé sur ses traces, cite un vers du cher Alexis Piron, qui mourut en 1773 : « Pour un Docteur, tu parles comme un con » — il faut en convenir, c’est là un visage de la poésie qui n’a pas pris une ride en deux cents ans. Le mot devait être d’un usage courant, quoique grossier, dans les couches populaires les plus mal embouchées du début du XIXe ; il faut noter du reste que les classes sociales avaient alors si peu de contact entre elles que Stendhal se croyait, de bonne ou de mauvaise foi, l’inventeur du terme, comme en témoigne la phrase célèbre que lui écrivait Mérimée le 31 mars 1831 : « Ainsi ne me croyez pas trop con. Cette expression dont vous êtes l’inventeur me plaît. »

Faire le con apparaît à la même époque au sens de « faire l’imbécile, faire la bête », avec une nuance de veulerie, peut-être un soupçon de lâcheté, comme le laisse entendre ce premier exemple emprunté aux Mémoires de Vidocq, en 1828. Il s’agit de deux criminels qui sont sur le point d’être conduits à la guillotine, et tâchent de se composer une attitude digne : « On entend un bruit de voiture : les deux condamnés pâlissent.

Raoul. Il est bon d’être repentant, mais est-ce que je vas faire le con, par hasard ? Oh ! non, pas de bravades comme il y en a d’aucuns, mais soyons fermes.

Court. C’est cela : fermes et contrits. »

Trois ans plus tard, dans la lettre citée de Mérimée à Stendhal, l’expression semble comporter également l’idée d’une sotte capitulation : « “Vous êtes un sot. J’ai voulu me moquer de votre fatuité. Vous m’avez deviné, prouvez-le-moi en ne reparaissant plus chez moi.” Cela ressemblait tellement à une marquise de 1765 et si peu à Mme Sypas que je ne savais plus où j’en étais. Je compris qu’il ne fallait pas faire le con. Je ripostai sur-le-champ par une lettre où je mis des noms en abrégé et où je faisais allusion à des choses incompréhensibles, pour faire croire à l’auteur des lettres que ce n’était pas elle à qui j’avais pensé. » (31 mars 1831.)

Le roi des cons

Cela dit, si faire le con ne remonte guère qu’au siècle dernier, du moins dans ses traces écrites, l’idée, je dirai l’archétype de la chose, est vieille comme un chemin ! La notion apparaît avec tous ses détails dans une des branches du Roman de Renart, datant de la première moitié du XIIIe siècle, où est également présenté de façon surprenante l’ancêtre du roi des cons, le « roi Connin », dont le métier consiste, en toute simplicité, à faire des cons !

Renart trouve le roi Connin occupé à sa tâche favorite, mais il juge que cet « imbécile » s’y prend on ne peut plus mal :

Li rois une beche tenoit, qui d’autre mestier [34] ne servoit que de cons feire seulement, mais nais [35] fesoit ni bel ni gent que, quand la ploie avoit fandue de la beche grant et molue [36] si remenoit [37] hideuse et grant, ne ja ne reclousit nul tens [38] que demi aune a grant mesure ne parut bien la fandeüre.
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30

P. Guiraud, Dictionnaire érotique, Éd. Payot, 1978.

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32

Le frappe.

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35

Ne les.

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36

Tranchante.

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37

Demeurait.

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38

Ne se refermait point.