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dont li ostex ert bien gamiz, et bons conins [68] , poulez lardez (de ce es toit granz la plentez [69] ) et poires et fromages viez [70]

Les poires et le fromage (abondant au Moyen Âge : on le faisait sécher au soleil pour le vieillir et le conserver) constituaient donc le dessert traditionnel de ces agapes et le régal des gourmets. Autre proverbe ancien :

Oncque [71] Dieu ne fist tel mariage Comme de poires et de fromage.

De ces usages il nous est resté l’expression familière « entre la poire et le fromage » : au moment où la panse pleine et le cœur réjoui on a le temps et l’envie de causer, voire de se laisser aller à la confidence. Au début du XVIIe siècle un personnage de Sorel à qui on a demandé d’expliquer un rêve répond : « … Nous en parlerons à souppé entre la poire et le fromage. »

Ne pas être dans son assiette

Naturellement on mangea très longtemps à même le plat commun posé sur la table. Cela jusqu’à une époque tout à fait récente dans les classes les plus pauvres de la société. L’assiette individuelle ne date que du début du XVIe siècle, d’abord chez les grands, puis chez les bourgeois. Quant à la fourchette, qui existait déjà mais pour des emplois rares, elle fut mise en usage quelque temps plus tard à la cour d’Henri III et de ses mignons, dont on connaît le raffinement…

Son départ ainsi chez les homosexuels ne fit d’ailleurs pas bonne impression et freina quelque peu son lancement. Un contemporain les trouvait grotesques, ces efféminés : « Premièrement ils ne touchaient jamais la viande avec les mains, mais avec des fourchettes, ils la portaient jusque dans leur bouche, en allongeant le col et le corps sur leur assiette. » (L’Isle des Hermaphrodites.) Comique et dégoûtant !… Outre la difficulté qu’il y a à se servir d’un tel instrument, ce parrainage ne lui donna pas bonne réputation et la fourchette eut du mal, si j’ose dire, à s’implanter. On lui préféra longtemps celle du « père Adam » !

Donc, avant d’être cette « vaisselle plate » dans laquelle on sert la nourriture, assiette signifiait seulement « position, manière d’être posé. » « Ce malade ne peut tenir longtemps dans la même assiette », dit Littré qui n’était pas anthropophage. C’est là le sens propre et ancien du terme, dérivé du même mot latin que « asseoir » et « assise », celui que l’on emploie encore lorsqu’on parle de la « bonne assiette d’un cavalier sur sa selle » — ou d’un pilote qui corrige l’« assiette de son avion » — sa position horizontale. Le mot désignait dans le même esprit la situation, l’emplacement d’un bâtiment ou d’une place forte : « Ma maison est telle qu’on ne la peut forcer sans canon ; elle est très avantageuse d’assiette et bien flanquée. » (Cyrano de Bergerac.)

En matière de repas l’assiette désigna donc d’abord la position des convives autour d’une table. Au XIVe siècle : « Deux maistres d’hostel pour faire laver, et ordonner l’assiette des personnes » (leur place). Par extension on appela ainsi le service qu’ils avaient devant eux, et enfin le petit plat d’argent, d’étain, de porcelaine, qui remplaça chez les riches la vieille écuelle à potage.

Mais les deux acceptions du terme coexistèrent, avec aussi le sens figuré de « disposition, état d’esprit. » « Garde au sein du tumulte une assiette tranquille », conseille Boileau, tandis que La Bruyère fait cette constatation blasée : « Les hommes commencent par l’amour, finissent par l’ambition, et ne trouvent une assiette plus tranquille que lorsqu’ils meurent. » C’est de cette disposition qu’il s’agit lorsque nous ne sommes pas « dans notre assiette » — dans notre meilleure forme.

Pourtant, à mesure que se répandaient la faïence et la porcelaine, la confrontation des mots finissait par produire des effets cocasses. Par exemple dans cette phrase de Massillon, un prédicateur du XVIIIe, qui dans un éloge funèbre rend hommage à la sérénité du disparu : « Jamais un de ces moments de vivacité qui ait pu marquer que sa grande âme était sortie de son assiette… » Ça aurait fini par faire des salades, il était temps qu’un des deux sens se retirât. Ce fut la vaisselle qui l’emporta.

Mettre le couvert

Si l’on ne met plus la table au sens littéral, ou rarement, on continue bien sûr à mettre le couvert. Pourquoi ce mot banal pour désigner une assiette, un verre, un couteau et une fourchette ? À tous seigneurs tous honneurs : ce furent d’abord les rois et les princes que l’on servit individuellement à table et qui eurent, de ce fait, droit à un récipient personnel.

Mais le pouvoir ne va pas sans danger ! Si nos dirigeants se font aujourd’hui accompagner de barbouzes et se gardent des explosifs et des tireurs d’élite, les puissants de jadis ne devaient pas moins s’entourer de sages précautions, quelquefois même à l’égard de leur propre famille. Les monarchies héréditaires ont ceci d’assommant qu’on ne peut compter sur aucune élection prochaine pour s’asseoir un jour sur un trône. Ça pousse au crime, forcément. Dans les temps anciens et sous toutes les latitudes le poison a constitué une arme de choix des candidats monarques et de leurs hommes de main.

Donc, pour éviter toute déconvenue, et de crainte qu’une main, toujours scélérate, n’aille saupoudrer d’arsenic les excellentes viandes portées à la table du roi, ou qu’on ne verse quelques gouttes, toujours fatales, entre la cuisine et la salle à manger, on couvrait soigneusement les plats et les breuvages. On servait « à couvert », et dans les cas où la confiance régnait encore moins on allait jusqu’à goûter devant le prince les morceaux qu’il portait à sa royale mâchoire — on « faisait un essai. » « Quand madame la duchesse mangeait là où monsieur le Dauphin était, l’on ne la servait point à couvert, et ne faisait on pas d’essai devant elle, mais [elle] buvait en sa coupe sans couvrir », dit un chroniqueur du XVIe siècle.

C’est de ce « couvert », au sens propre, que nous est venu de proche en proche par une imitation assez ridicule — mais, je le rappelle, à l’intérieur d’une population francisante extrêmement réduite — le modeste attirail avec lequel nous prenons nos repas.

En toute sécurité ?… Ce n’est pas certain si l’on songe aux engrais, hormones, et autres colorants que l’on nous fait engloutir insidieusement. Ironie des mots et de l’histoire : à l’honneur qui nous est fait de nous servir tous d’une assiette s’ajoute désormais la crainte grandissante de nous empoisonner avec ce que nous mettons dedans !

Faire un pique-nique

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68

Lapins.

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69

L’abondance.

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71

Jamais.