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Cette expression très claire en apparence — la lampe, on la remplit aussi, pour qu’elle éclaire, et inversement il vient un moment, hélas ! dans notre brève existence, où « il n’y a plus d’huile dans la lampe » — est probablement le résultat soit d’un jeu de mots, soit d’une méprise. En effet il existe un ancien mot « lampas » qui signifie la gorge, le gosier ; il nous en reste une « lampée », une grosse gorgée. On disait autrefois « humecter le lampas. » Littré donne le mot pour « vieilli et populaire » à son époque, mais aussi cette citation de La Fontaine :

… Ah ! ah ! sire Grégoire, Vous avez soif ! je crois qu’en vos repas Vous humectez volontiers le lampas.

Il a donc dû se produire quelque part un glissement du lampas vers la lampe !

À gogo

Dès le XVe siècle on trouve la curieuse locution dans ces vers de Charles d’Orléans :

Mieux aimassent à gogo Gésirs sur mols coussinets.

Gracieux, non ?… Cela suggère une idée d’aise et de bon temps pris, qui est présente aussi chez Scarron, lequel contemple une très jolie fille :

Mais je vis bien à gogo, comme on dit, Celle de qui tant de rumeur on fit Quand elle fut des filles de la Reyne…

« À gogo, se dit des choses plaisantes & agréables qu’on a en abondance — dit Furetière. Les gens riches vivent à gogo. Il a de l’argent à gogo, tout son saoul. Ce mot est bas… »

Gogo est une altération par redoublement de gogue, qui signifiait « plaisanterie, divertissement » — il a donné « goguenard. » « Et ne disoit jamais une parole, puisqu’il estoit en gogues, qu’elle n’apportast avec elle son ris [rire], » (Louis XI.) « Être dans les gogues » c’est être dans la joie, la bonne humeur et le plaisir — autrement dit : être en goguette, son diminutif naturel. « J’ai appointé un poussin et une belle pièce de mouton dont nous ferons goguettes » (le même Louis XI).

Que dire en tout cas de ces alexandrins qui ont l’air de sortir d’une pièce de Boulevard contemporaine, et qui sont pourtant du très classique Thomas Corneille, petit frère de l’auteur du Cid :

Ne parlons que de joie, et jusqu’au conjungo Laissez-moi, s’il vous plaît, m’en donner à gogo.

Une franche lippée

La lippe, c’est la lèvre. On dit « faire la lippe » pour faire la moue, et on parle d’une bouche lippue, qui a des grosses lèvres. Une lippée… eh bien c’est « ce qu’on peut prendre avec la lippe. » Une « franche lippée » — franc ayant le sens de « exempt de charge », comme dans « franc de port » ou « franchise postale » — est un repas gratuit. « Un chercheur de franches lippées ; pour dire un écornifleur, qui cherche des repas qui ne coûtent rien », explique Furetière.

Scarron, qui a toujours une vision des choses un peu plus directe que celle des grands saxophonistes de son siècle, commente ainsi le chagrin de Ninon de Lenclos, sa voisine, à l’enterrement de sa mère :

Combien de pleurs la pauvre Jouvencelle A respandus, quand sa mère, sans elle, Cierges bruslans et portans escussons, Prestres chantans leurs funebres chansons, Voulut aller, de linge enveloppée, Servir aux vers d’une franche lippée.

Faire la bombe

Depuis qu’une certaine bombe mit l’énorme point final que l’on sait aux hostilités de 1939–1945, la joyeuse expression « faire la bombe », semble avoir pris comme un coup de vieux chez les fêtards… La bombe, aujourd’hui, ce sont les grandes puissances qui la font. Pourtant, du temps où les bombes n’avaient pas encore d’alphabet, pas de champignons, pas de billes, la locution a eu ses jours de gloire, et aussi ses nuits.

Faire la bombe s’est greffé au siècle dernier, par jeu et par interaction, sur le vieux faire bombance, témoin de ripailles et de beuveries. Ce qui est curieux c’est que le mot « bombance » avait lui-même autrefois subi l’influence de bombe. L’ancienne forme était bobance, féminin de bobant qui signifiait jactance, « parole forte et orgueilleuse. » « Li cris enforce car fort est li bobans [jactance] », dit un texte du XIIe siècle où l’on trouve également « l’orgoil, le pris et la bobance, E la très sorfaite arrogance Del siecle. » Au XIIIe un mari furieux du Roman de la Rose se lamente de la frivolité de sa femme :

Chascun set bien que vos mantez. Por moi ! Las doulereus, por moi ! […] Por moi menez tel rigolage ! Por moi menez vos tel bobant ! Qui cuidez vos aler lobant ?

(Qui croyez-vous être en train de tromper ?) Ce bobant est peut-être aussi — ce n’est pas prouvé — l’ancêtre de nos « bobards. »

Puis, au XVe siècle, avec l’intervention de la « bombarde » et peut-être de la poudre de canon, le mot commença à s’altérer en bombant et bombance, toujours avec son sens de propos tonitruant et de fanfaronnade. Plus tard Ronsard hésite encore sur le mot : « Ne crains-tu point, gourmand, qu’après telle boubance, Ta main ne soit en si grande indigence… » — mais le sens de festin est en route.

Au début du XVIIe bombance a gardé quelque chose de l’orgueil de son origine. Dans Les Caquets de l’accouchée (1622) il est employé dans le sens de « vaniteuse prétention » par les femmes qui se plaignent de la cherté des temps, au point que « l’on a tant de peine à marier les filles et pourvoir les garçons. » « Ce qui est cause en partie de ce désordre — dit l’une d’elles — je recognois que ce sont les bombances d’aucuns : car, moy qui suis marchande, je le cognais à la vente. »

Cinquante ans plus tard, La Fontaine ne retient que la fête :

… maints rats assemblés Faisaient, aux frais de l’hôte, une entière bombance.