Faire la bombe, une bombe à tout casser, c’est donc comme un superlatif : la bombance éclatée, les cris, les éclats des bouchons de champagne sautant au plafond dans les rires et le vacarme des fins de banquet.
Sabler le champagne
dit Voltaire, ironiquement. À propos, pourquoi ce curieux « sablage » ? On n’a nullement l’impression en portant sa coupe aux lèvres de se livrer à une opération technique particulière…
On emploie cette expression depuis le début du XVIIIe siècle. Elle signifie simplement avaler d’un trait le contenu de son verre, autrement dit faire « cul-sec. » L’explication traditionnelle veut que l’on compare ainsi le vin pétillant à un métal en fusion que l’on coule en une fois dans un moule de sable, opération qui s’appelle proprement sabler.
J’aime assez toutefois cette tradition des buveurs du XVIIIe que rapporte Littré, selon laquelle on saupoudrait préalablement de sucre fin la flûte à champagne après l’avoir embuée d’un souffle. Cela faisait, paraît-il, mousser le vin davantage. Il fallait l’avaler d’un seul trait. Il est à noter que les deux explications ne s’excluent nullement et que l’on peut aisément vérifier l’exactitude de la seconde…
Beaucoup moins courante est l’expression sabrer le champagne, parce qu’elle se réfère à une pratique apparemment peu connue, quoique joliment spectaculaire. En effet au lieu d’installer un suspense douteux avec le fameux bouchon en forme de cèpe qui n’en finit pas de se décoller, il existe une méthode originale de débouchage pour gens pressés. Il suffit de décrocher tranquillement un sabre de cavalerie, d’en poser la lame bien à plat sur le fil de la bouteille et de la faire glisser d’un vigoureux coup de poignet. L’extrémité du goulot casse net, emportant collerette, fil de fer et bouchon !… Il ne reste plus qu’à sabler vivement.
J’ignore d’où vient exactement ce geste de cosaque. Je croirais volontiers qu’il est né spontanément dans les caves crayeuses de Champagne au cours des célèbres pillages qui ont accompagné les diverses invasions de cette partie de la France. 1815 ? 1870 ? 1914 ?… On a le choix.
En tout cas le champagne doit être frais. Et si par hasard vous n’aviez pas un sabre sous la main lors de votre prochaine célébration, sachez qu’un fort couteau de cuisine fera parfaitement l’affaire !
À tire-larigot
Notre société de consommation ne saurait se priver, au moins pour quelque temps encore, d’une telle expression. Elle s’appliquait autrefois uniquement à la boisson. Comme dans Rabelais : « Et pour l’apaiser lui donnèrent à boire à tire-larigot. »
Son origine est obscure et controversée (voir à ce sujet l’histoire de la cloche de Rouen ainsi que l’article de Furetière, p. 15). Parmi les choses certaines on sait que « à tire » dans l’ancienne langue signifiait « sans arrêt, d’un seul coup » : « Vingt et quatre ans trestout a tire. » (Chr. de Troyes.) « Boire à tire » pourrait donc être, à la rigueur : vider une succession de gobelets… Mais larigot ?
Le mot désigne une sorte de flûte rustique, ou flageolet, dont le sens demeure dans le registre des orgues : le jeu de larigot. Il apparaît dans le refrain d’une chanson de Christine de Pisan en 1403 :
Ronsard l’emploie dans des vers célèbres au sujet de Margot
Certains ont pensé qu’un tire-larigot était le flûtiste lui-même et que boire comme lui n’était pas une mince affaire, d’autant que les joueurs de flûte ont depuis l’Antiquité une solide réputation de soiffards, comme c’est le cas pour tous ceux qui usent beaucoup de salive. Cette acception pourrait trouver appui dans l’alternative « en tire-larigot » : « Il humait du pyot [vin] en tire-larigot » (XVe), que l’on peut rapprocher de « flûter », ou « flûter pour le bourgeois » qui veut dire aussi : boire comme un trou.
Ce qui est sûr en tout cas c’est que ce petit instrument a aussi donné lieu à des tas de sous-entendus paillards, comme d’ailleurs la flûte en général, et de nos jours la clarinette ; par exemple dans les XV Joies « quant vient la nuit, le gallant s’en vient », et qu’il se couche auprès de la « pauvre famme seule », eh bien… « Ils accordent leur chalumeaulx et entreprennent de leur donner de bon temps. » C’est le « sens un peu trop libre » dont parle Furetière à propos du vers de Saint-Amant : « Danser le double branle au son du larigot. »
Il n’y a pas que Saint-Amant. C’est de ce point de vue grivois qu’il faut lire ces vers du XVe siècle du Varlet à louer à tout faire, lequel, entre autres choses, sait bien faire « la bête à deux dos / Quant [il] trouve compagne à point » :
Au cas où il faudrait mettre les points sur les « i », je signale que la « cornemuse » a un sac, elle aussi, une poche ; et que « réveiller Margot » veut dire réveiller ses sens, la faire s’agiter, car il était trouvé regrettable à l’époque qu’une femme ne participe pas activement à l’acte sexuel et laisse le bonhomme se fatiguer tout seul — « par trop endormie » — ce n’étaient pas de bonnes manières.
Les anciens aimaient beaucoup les doubles sens, les métaphores paillardes, les jeux de mots, les parodies. C’est un trait banal de l’ancienne littérature. Je me demande si le curieux refrain de Christine de Pisan n’est pas de cette eau-là… Qu’est-ce que ça veut dire au juste : « Larigot va, larigot / Mari, tu n’aimes mie ? » Et même pour la Margot de Ronsard : quels sont ces « bœufs » bizarres qui sautent aussi gaillardement ? Une « paire » de bœufs ou une paire de fesses ?…
Il y a peut-être dans la formation de « à tire » ou « en tire-larigot » — au XIVe siècle, avant que le mot soit attesté ? — des restes de gauloiserie qui nous échappent. Pourquoi avoir fait un sort, si tel est le cas, au joueur de cette petite flûte agreste qui n’est même pas un instrument de musique important, plutôt une sorte de sifflet, au point d’en faire une spécialité ? Pourquoi pas aussi un tire-aveine, un tire-pipeau ?… À cause de la gaieté du mot lui-même, sans doute. Mais peut-être aussi à cause d’un jeu de mots entre le musicien au gosier sec et le joueur de flûte en braguette ! On tire le larigot comme on tire l’épée ?… Ça donne encore plus soif ?…