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Ma foi je n’en sais rien, et je lève mon verre à la santé de Sherlock Holmes !

Porter un toste

Boire à la santé du voisin est sans doute la plus ancienne forme de Sécurité sociale ! Selon Rabelais c’est le géant Gabara, ancêtre de Gargantua, qui fut le premier inventeur de la coutume. En réalité les Grecs présentaient déjà la coupe à leurs amis en disant : « Voici pour toi ! » — probablement par imitation et parodie des offrandes sacrées à leurs dieux. Les Romains épelaient galamment le nom de leur maîtresse en avalant d’un trait à chaque lettre un verre rempli à ras bord.

Ces professionnels de l’orgie récitaient aussi une curieuse formule : Bene vos, bene nos, bene te, bene me, bene nostrum etiam Stephanium, que cite Plaute et que je transcris non pas pour faire savant, mais parce qu’elle doit être à l’origine de notre « À la bonne vôtre » (Bene vos), et sans doute aussi par le canal des anciens collèges classiques et la rime aidant, du familier et néanmoins surprenant : « À la tienne Étienne, à la tienne mon vieux ! » (Stephanium). Je ne serais pas surpris qu’elle ait aidé à fournir également par les mêmes beuveries interposées le fameux petit jeu mimé, dérision de la sainte messe : « Au frontibus, au nasibus, au mentibus, et à la bouche, et glou, et glou… » ad libitum, qui force les culs secs des fins de goguette !

Quant au toste, qu’il est bien inutile d’écrire « toast », il nous vient d’Angleterre après emprunt au français. Le mot désigne avant tout une rôtie de pain et il n’est que l’adaptation britannique de notre vieux mot tostée qui signifie la même chose : une tranche de pain grillée que l’on mangeait en buvant. « Fais servir ma dame de tostées à l’hypocras blanc », dit un texte du XVe siècle. Mais ce sont les Anglais qui ont transmis le plus longtemps cette habitude du Moyen Âge de « pain trempé dans du vin », au moins dans la bonne société car elle s’est aussi conservée ici et là dans les campagnes.

Toujours est-il qu’au XVIIe siècle, quand les Britanniques portaient la santé à une dame, la chope qui passait de convive en convive contenait effectivement un morceau de pain grillé, devenu le symbole de la dame elle-même. L’auteur du vœu la mangeait en dernier ressort !… Le mot, sinon l’usage, fut importé par les visiteurs français au XVIIIe siècle. Voltaire, après son séjour, explique : « Les Anglais, qui se sont piqués de renouveler plusieurs coutumes de l’Antiquité, boivent à l’honneur des dames : c’est ce qu’ils appellent toster ; et c’est parmi eux un grand sujet de dispute si une femme est tostable ou non, si elle est digne qu’on la toste. »

C’est toujours une grosse question !

LA CUISINE

La cuisine d’un restaurant a toujours un petit air magique avec ces commandes que l’on y transmet par le canal du passe-plat :

— Une escalope et un tournedos !

— Ça marche ! crie une voix implacable.

— Faites marcher la suite du trois !

— Elle marche !…

Tout marche là-bas derrière ! On imagine une déambulation fabuleuse de steaks saignants, de soles meunières, de langues de bœuf qui évoluent précipitamment sous la baguette de celui qu’on nomme respectueusement le Chef. On le voit, cet homme en blanc et en toque, découvrir d’énormes fait-tout, brandir des louches géantes, saisir en maître la queue de vastes poêles… Un maître queux, précisément !…

Un maître queux

On croit donc communément que c’est là la cause de cette appellation flatteuse, orthographe mise à part : le maître des queues. Eh bien non. Queux est l’ancien nom désignant le cuisinier, dérivé tout droit du latin coquus, de qoquere : cuire. Il est de la même famille que le coq, non pas la volaille, mais le cuisinier sur un navire.

Li keu firent la venoison destrousser, si la portent cuire

au retour de la chasse, dans Guillaume de Dole. Charles d’Orléans conseille ce régime en rondeau :

Chauds morceaux faits de bon queux Faut en froid temps, voire, voire, En chaud, froide pomme ou poire.

Le maître queux est donc celui qui, selon l’ancienne législation, avait fourni la preuve de sa maîtrise et acquis le droit de s’installer, comme n’importe quel maître maçon ou maître menuisier. « Le maître queux — dit un ancien texte — se tenait sur une chaise élevée entre le buffet et la cheminée » — à la manière d’un arbitre sur un court de tennis. Celui-là au moins ne marchait pas !

Le mot avait déjà vieilli au XVIIe siècle et avait pris le caractère d’une spécialité : « Il n’est plus en usage que dans la Maison du Roi — dit Furetière — où il y a sur l’état des Maîtres Queux dont la fonction particulière est de faire les ragoûts, entrées et entremets ; de même qu’il appartient aux Potagers de faire les potages, aux Hâteurs de fournir le rôt, aux Pâtissiers la pâtisserie, etc. »

Si l’on comprend bien, n’importe qui ne touchait pas à n’importe quoi dans les royales cuisines ! Il a existé jusqu’à la Révolution un Grand Queux de France, officier de la maison du roi, qui commandait à tous les officiers de bouche.

Tenir la queue de la poêle

Le sens de l’expression est clair. Il est tout à fait explicite dans ce proverbe antérieur au XVe siècle :

Qui tient la queue de la poelle Il la tourne là où il veut.

Il semble que la locution se soit spécialisée assez tôt dans le domaine de la cuisine gouvernementale si l’on en croit Furetière : « On dit, il n’y en a point de plus empêchez que ceux qui tiennent la queue de la poêle ; pour dire, qu’il est plus difficile de gouverner, que de raisonner sur le gouvernement. » De son côté Le Père Peinard s’interrogeait en 1889 : « Au fait, tous ces tristes sires qui tiennent la queue de la poêle gouvernementale, tous ces dirigeants de la république en pincent-ils réellement pour la “forme républicaine” ? »

Faire ses choux gras

Pendant tout le Moyen Âge, et même plus tard, les légumes ont constitué le plat du pauvre, de tous ceux qui ne pouvaient s’offrir de la viande, l’alimentation noble. On cultivait les pois, les fèves, les poireaux, les « panais » devenus carottes, les navets, les raves, et le plus commun de tous, le plus abondant, sur qui on peut toujours compter en cas de disette : le chou. Le chou pommé, vert, vivace, qui ne craint pas la gelée, au contraire qui se rit du mauvais temps, a donné lieu à nombre de locutions qui vont de « bête comme un chou » — forte tête mais peu pensante ! — à « aller planter ses choux », symbole du jardinage forcé, par déception.