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Mais le problème avec les légumes c’est de les assaisonner. Du chou cuit à l’eau n’est pas ce qu’on pourrait appeler un régal. Aussi pauvre que l’on soit, il faut tout de même un bout de lard, un petit morceau de quelque chose — ce que rappelle le proverbe : « Ce n’est pas tout que des choux, il faut encore de la graisse ! » Il est donc naturel que faire ses choux gras soit devenu une proposition alléchante, le signe que tout va bien dans la marmite. Au XVe siècle l’expression avait le sens de se goberger :

Et aussi d’en faire ses choux gras, Ses grans chieres, ses ralias De gueulle… (Coquillart.)

Au XVIIe elle avait à peu près le sens actuel : « On dit qu’un homme fait ses choux gras de quelque chose, lorsqu’il fait bien ses affaires, qu’il fait de grands profits en quelque chose », dit Furetière. Simplement on a fini par s’apercevoir qu’il y avait toujours quelque abus dans les « bonnes affaires », et sous les grands « profits » des cuisines assez peu avouables ! Les fameux choux gras en ont pris un léger goût de scandale !

Les bonnes choses n’ont qu’un temps, comme le dit également le vieil adage : « Toujours n’aurez vous mie pèches moles, et raisins doux et noix nouvelles. »

La fin des haricots

Quand rien ne va plus c’est la fin des haricots ! L’expression paraît relativement récente. Maurice Rat en fournit l’explication que voici : « La fin de tout — les haricots étant une nourriture substantielle et fondamentale dans beaucoup de pensionnats, internats, collèges, séminaires, quand leur provision touchait à sa fin, on ne savait plus quoi donner à manger aux internes. » Il aurait pu ajouter les casernes et les prisons…

À l’origine le haricot n’était pas un légume mais un ragoût : le haricot de mouton — « fait avec du mouton coupé en morceaux, des pommes de terre et des navets. » En effet haricot vient du vieux verbe « harigoter » qui signifiait tailler en pièces, « mettre en lambeaux. » Au cas ou vous voudriez essayer une recette super-grand-mère, voici celle du XIVe siècle, donnée en 1393 par un brave homme à l’intention de sa jeune femme afin que celle-ci ne soit pas trop démunie lorsqu’il aurait quitté ce bas monde :

« Hericot de mouton (sic) : despeciez le par petites pieces, puis le mettez pouboulir une onde (un instant), puis le friziez en sain de lart, et frisiez avec des oignons menus minciés et cuis, et deffaitez du boullon de bœuf, et mettez avec macis [écorce de muscade], percil, ysope, et sauge, et faites boulir ensemble. » (Ménagier.)

Lorsque le légume, cette espèce de fève exotique venue du Mexique, fit son apparition en France vers le début du XVIIe siècle, on l’appela d’abord « fève de haricot », probablement parce qu’on s’était aperçu que cette nouvelle « fève blanche » était excellente avec le haricot de mouton. On abrégea peu à peu et la fève devient haricot tout court.

Ce qui trouble certains étymologistes c’est que le haricot acquérait ainsi un nom qui n’est pas sans rapport sonore avec son appellation aztèque d’origine : ayacotti, mais ce baptême au ragoût ne se fit qu’en français. En occitan par exemple, le nouveau légume se nomma favól, nom dérivé de celui de la fève ; en certaines régions il prit même le nom du pois — peso — lequel se trouva forcé de devenir alors « petit pois » — petiót peso. Toutes choses qui ne se seraient pas produites si le mot aztèque lui avait collé à la gousse !

L’expression c’est la fin des haricots s’est employée dès les années 20 ; plutôt que dans les collèges ou autres casernes, où, loin d’être synonyme de catastrophe, le tarissement de cette denrée maudite aurait provoqué des cris de soulagement, il faut peut-être chercher son origine dans la guerre des tranchées. En effet, on dit « la fin des haricots » lorsqu’on envisage une dernière avanie qui viendrait s’ajouter à des difficultés déjà existantes ; ce serait le cas précis des soldats dont les gamelles étaient souvent renversées par une attaque avant d’être consommées, et même plus radicalement dont les provisions étaient détruites par l’explosion d’un obus. Outre que l’expression était connue et employée par les anciens combattants de 1914–1918, c’est là une filiation qui, bien que non attestée, me paraît insuffisamment convaincante pour être proposée. La fin des haricots c’est la pire des situations : « Être commis du père Hubert, c’était vraiment la fin des haricots. Le vieux crabe gardait pour lui tous les fonds de bouteilles et tous les bons restes. » (R. Guérin, L’Apprenti, 1946.)

Mettre en capilotade

Autre mésaventure, autre ragoût. L’expression sort directement des fourneaux. Une capilotade est une « sausse qu’on fait à des restes de volailles & de pièces de rôt dépecées. » (Furetière.) Le mot a été emprunté au XVIe siècle à l’espagnol capirotada, « ragoût fait avec des œufs, du lait & d’autres ingrédients. » Dans sa jeunesse Gargantua déjeunait dès le matin « pour abattre la rozée et maulvais air : belles tripes frites, belles carbonnades, beaux jambons, belles cabirotades et force souppes de prime. » En 1626 Charles Sorel emploie déjà l’expression dans son sens agressif actuel : « Comment, coquins, estes vous bien si osez que de vous battre devant moy ?… Si j’entre en furie, je vous mettray tous deux en capilotade. »

Trois ans plus tôt le même Sorel gardait le mot plus près de la marmite, lorsque Francion raconte ses études, à une époque où les collèges n’étaient pas encore devenus des lieux de création tout en fleurs et poésie. Son professeur, le Régent, « estoit le plus grand asne qui jamais monta en chaire. Il ne nous contoit que des sornettes, et nous faisoit employer nostre temps en beaucoup de choses inutiles, nous commandant d’apprendre mille grimauderies les plus pédantesques du monde… S’il nous donnait à composer en Prose, nous nous aydions tout de mesme de quelques livres de mesme estoffe, dont nous tirions toutes sortes de pièces pour en faire une capilotade a la pedantesque : cela n’estoit il pas bien propre a former nostre esprit et ouvrir nostre jugement ? Quelle vilennie de voir qu’il n’y a plus que des barbares dans les Universitez pour enseigner la jeunesse ? Ne devraient-ils pas considérer, qu’il faut de bonne heure apprendre aux enfants à inventer quelque chose d’eux mesme, non pas de les r’envoyer a des recueils a quoy ils s’attendent, et s’engourdissent tandis » ?

Ces réflexions, trois siècles et demi plus tard, paraissent bien démodées !…

Trempé comme une soupe

Si l’on dit de celui qui ruisselle sous l’averse qu’il est trempé comme une soupe, c’est parce que, avant d’être un potage, la soupe était seulement une tranche de pain trempée dans du bouillon. « Soupe se dit aussi des tranches de pain fort déliées qu’on met au fond du plat, sur lesquelles on verse le bouillon. Donnez-moi une soupe de pain, pour dire une tranche », dit Furetière, preuve que le mot était encore distinct à son époque, mais sur le point d’être définitivement confondu. Il ajoute : « Dans les gargottes pour un sou l’on trempe la soupe. »