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Ce système de la mouillette était le seul au Moyen Âge. On trempait aussi la « soupe » dans la sauce ou le jus de viande. Dans Le Roman du comte d’Anjou, lorsque la pauvre pucelle au papa concupiscent, fuyant avec sa copine, se restaure chichement dans une chaumière, son amie affamée se résout à tremper un peu de mauvais pain dans l’eau :

Toutefois d’une piececte De pain fist une soupelecte En l’iaue et manjut a grant paine, Car grant famine la demaine.

Au XVIe siècle c’est encore la tranche de pain trempée dans une sauce qui est le seul usage ; on parle de « soupes de prime » — celles du premier déjeuner. Elles étaient grasses et passaient pour les délices des moines gourmands.

Ainsi Panurge, ayant jeûné la veille, dit à frère Jan, dans le Tiers Livre de Rabelais : « Mon stomach abboye de maie faim comme un chien. Jectons luy force souppes de prime : plus me plaisent les souppes de levrier [avec viande], associées de quelque piece de laboureur sallé à neuf leçons [pièce de bœuf cuit longtemps]. »

Là, décidément, ça n’était plus de la soupe, mais du rata !

Être tout sucre tout miel

« La volupté est bien plus sucrée quand elle cuit », a dit Montaigne qui s’y connaissait ! Dès le début de son apparition, vers le XIe siècle, le sucre (dont le nom nous est venu par l’intermédiaire de l’arabe soukkar), a constamment été associé au miel comme un symbole de douceur. Au XIIe siècle l’Amour en usait comme d’un baume : « Mais de çon sucre et de ses bresches (rayons de miel) li radoucit nouvelles amours », écrit Chrétien de Troyes.

Être tout sucre tout miel s’est employé dès le XVIIe, époque où la précieuse substance, loin d’être servie à discrétion sur les tables, était encore un produit rare que l’on ne trouvait guère que chez les apothicaires, et n’était quasiment délivré que « sur ordonnance. » Mme de Sévigné écrivait le 31 mars 1687 : « Je ne m’étonne pas que la belle Madelonne soit un peu chagrine de son procès ; il faut être né tout sucre tout miel pour n’être pas Pimbêche quand on plaide. »

Faire la sucrée

C’est faire la douce, la mijaurée. L’expression est utilisée depuis le XVe siècle. En 1640, Oudin donne pour équivalent : « Faire la sucrée, la modeste, la retenue. »

La variante faire sa sucrée n’avait guère évolué dans le langage populaire du siècle dernier, où Delvau définit ainsi la chose : « Se choquer des discours les plus innocents comme s’ils étaient égrillards, et des actions les plus simples comme si elles étaient indécentes. L’expression est vieille — comme l’hypocrisie » (1867).

Casser du sucre sur le dos

Casser du sucre sur le dos de quelqu’un, c’est dire de lui tout le mal possible en son absence. Cette expression d’allure baroque, toujours en usage, évoque aujourd’hui l’image des pains de sucre que l’on devait jadis réellement briser au marteau avant de pouvoir mettre les morceaux dans sa tasse. Elle est en fait composée de deux locutions associées bout à bout : « casser du sucre », dire des ragots, et « sur le dos », « sur le compte », au sens où l’on met une action sur le dos d’une personne, on lui en fait porter la responsabilité.

L’idée de « casser du sucre », pour dire du mal, remonte au moins aux premières années du XIXe siècle, comme en témoigne ce conseil de Mérimée à Stendhal en 1831, sous une forme allégorique et emberlificotée : « Partie non officielle : Tenez-vous bien, ne parlez pas à Airelau de M. de l’Être dont il est fort entiché, et ne vous servez pas en dînant chez lui de la guillotine portative avec laquelle vous guillotinez ordinairement votre sucre avant de prendre votre café. » (Mérimée, Lettre du 31 mars 1831.) Pourquoi cette image ?… Étant donné l’extrême rareté du sucre, produit de luxe, sur les tables populaires, il est peu probable qu’elle soit née dans le langage des bas quartiers, ce qui exclurait, à mon avis, l’interprétation de « casser » par manger, son sens argotique ancien qui est demeuré dans « casser le morceau » : dénoncer. En revanche on trouve au XVIIe siècle : « se sucrer de quelqu’un » pour « le prendre pour un imbécile », que rapporte la langue de bonne tenue du Dictionnaire de Trévoux (1752 et 1771). On peut rapprocher cette idée de la vieille locution « casser du grés » à quelqu’un : le considérer comme négligeable. Il est possible que les deux expressions se soient croisées en chemin, il est possible aussi qu’une image ait engendré l’autre, car si l’on veut « se sucrer » il faut bien « casser du sucre. »

Ce qui est certain c’est que l’expression est relevée par Delvau en 1867, comme appartenant au langage des coulisses : « Casser du sucre, faire des cancans — dans l’argot des cabotins. » Dans le même temps elle était employée dans le monde des voleurs au sens de « dénoncer », peut-être sous l’influence de « casser le morceau. » « Il en est qui, pour amoindrir leur peine, cassent du sucre sur leurs camarades. » (Stamir, 1867, in L. Larchey.)

C’est à peu près à la même époque que s’est ajoutée la précision « sur le dos », (1868 selon Wartburg). L’idée de dénonciation demeure associée à celle de médisance dans les rapports des recrues des régiments disciplinaires d’Afrique de la fin du XIXe : « À part cinq ou six anciens, il n’y a ici que des jeunes, des nouveaux arrivés, un troupeau de vaches qui ne demandent qu’à se mettre bien dans les papiers des pieds-de-banc. Pour ça, vois-tu, ils feraient tout. Ils se dénoncent réciproquement ; ils se cassent du sucre sur le dos les uns des autres. Ils vendraient leur père. » (G. Darien, Biribi, 1888.)

L’expression s’est largement étendue dans l’usage familier pendant la première moitié de ce siècle, souvent teinté d’une nuance de rancune, voire de lâche vengeance. « Elle savait bien que Greluche la laissait tomber. Elle se mit à lui casser du sucre sur le dos. Et c’était un ceci. Et c’était un cela. M. Hermès ne savait quelle contenance prendre. Il n’avait pas prévu ça. Mais ça n’aurait pas été chic d’abonder dans son sens, de dire du mal de Greluche. » (R. Guérin, L’Apprenti, 1946.)

Trié sur le volet

On parle beaucoup de sélection. C’est la furie de l’époque. On sélectionne les pommes, les pêches, les arbres, les chevaux, les veaux et les étudiants. Partout on recherche la fine fleur de toutes choses, on n’accepte des mains d’experts sourcilleux qu’êtres et marchandises dûment triés sur le volet…