Citons également pour mémoire cette pratique du temps où les lampes de chevet n’existaient pas et où les soubrettes et les valets de pied (ça pourrait faire un jeu de mots !) étaient conviés par leurs maîtres ou par leurs maîtresses à tenir la chandelle pendant leurs ébats amoureux.
Être un as
L’as a beaucoup de prestige dans presque tous les jeux de cartes. Pourtant ce point unique n’a pas toujours été aussi bien considéré. Au jeu de dés, l’as, ou « un », du même mot latin désignant une unité de monnaie et de mesure, n’a jamais été un signe de gain ou de chance dans le maniement des petits cubes à six faces.
dit avec bon sens un auteur du XIIIe, tandis qu’un pessimiste calculateur de probabilités du XIIe nous avertissait ainsi des revers de fortune qui nous guettent tous :
Donc, ne pas valoir un as, dans l’ancienne langue, c’était moins que rien, quantité négligeable.
Le pire d’ailleurs est d’être fichu comme un as de pique. Celui-ci doit sa fâcheuse réputation au fait qu’il ressemble au croupion d’une volaille, que l’on appelle justement as de pique à cause de sa forme. « On s’en sert figurément pour injurier quelqu’un qu’on méprise », dit calmement Furetière. Oui, être traité d’as de pique équivaut à être traité de croupion, peut-être même de « trou du cul » !… L’as de trèfle n’avait guère meilleure presse, et l’on disait d’un nez gros et plat que c’était un « nez d’as de trèfle. »
Ce qui a tout changé c’est la guerre de 1914 ! On est devenu un as au cours de la Première Guerre mondiale, en particulier dans l’aviation naissante. Entre deux missions aériennes les aviateurs avaient du temps libre. À force de jouer à la manille (inventée à la fin du XVIIIe) où le dix vient juste avant l’as, ils voyaient des cartes partout. Ainsi, il paraît qu’un pilote qui avait mis dix avions ennemis à son tableau de chasse devenait un as par assimilation… On a vite extrapolé à toutes sortes d’exploits, mais Georges Guynemer demeura l’as des as avec ses cinquante-quatre victoires !
À présent, n’est-ce pas, tout est relatif : n’allez pas croire qu’il faille envoyer dix voitures « adverses » à la ferraille pour devenir un as du volant !
Être plein aux as
Encore une expression relativement récente puisqu’elle est tirée du poker, lequel date de la fin du siècle dernier, en Amérique. Un « plein » c’est un full, que l’on ne traduit plus, et un full aux as, composé d’un brelan d’as et d’une paire est un jeu avec lequel on peut voir venir — et parfois ramasser une forte somme !… Le jeu de mots sur avoir de l’argent « plein les poches » et « être plein aux as » est un de ceux qui parlent d’eux-mêmes.
Avoir à la bonne
Cette expression courante chez les employés de toutes les fabriques, mais qui à cause de cela a un arrière-ton argotique de basse consommation, est peut-être — je dis bien peut-être — de fastueuse origine. Elle pourrait venir du reversis, introduit en France au cours du XVIe siècle, et dans lequel « gagne celui qui fait le moins de levées et où le valet de cœur, appelé quinola, est la carte principale. » On a vu que Louis XIV en était friand : « Il trouve le temps — s’émerveille un contemporain — non seulement d’expédier les affaires de l’État, mais même de voler la pie [terme de chasse] et de jouer au reversis. » On sait aussi qu’à ce poker royal les mises n’étaient pas des haricots : « deux, trois, quatre cents pistoles s’y perdent fort aisément », confie Mme de Sévigné — disons autant de millions de centimes.
Donc à ce jeu la « bonne » est le « nom de différents payements. À la bonne se dit quand on place le quinola ou un as sur la dernière levée, afin de recevoir un double payement. » (Littré.)
L’expression s’est utilisée chez les argotiers dès le début du XIXe siècle, et sans doute avant dans les méandres du langage obscur. « Je peste contre le quart d’œil (le commissaire de mon quartier) qui ne m’a pas à la bonne (qui ne m’aime pas) », précise Vidocq dans ses Mémoires de 1828. À la fin du siècle c’était une tournure courante dans « l’argot du peuple », comme en témoigne le Père Peinard du 30 octobre 1898 : « Quoi de plus bizarre que de reluquer les gars d’attaque qui en ont plein le cul de la société actuelle, qui en ont soupé du parlementarisme et de toutes les formes de gouvernement, réduits à défendre la république actuelle ? Non pas que les bons bougres l’aient à la bonne. Nom de dieu, non ! Elle a été trop marâtre pour qu’on la gobe. »
Aujourd’hui, avoir quelqu’un à la bonne, c’est le considérer d’un œil bienveillant, et parfois le combler de petites faveurs. « Mon marchand de journaux est comme ça avec moi. Je suis un bon client, j’achète beaucoup de revues, de magazines. Il m’a à la bonne. Il me donne plein de “au plaisir”, “vous aussi”, “également”, et de “c’est moi qui vous remercie”. » (Berroyer, Je vieillis bien, 1983.)
Être à la bourre
Ces mots sont de plus en plus fréquents dans la bouche de nos contemporains pour qui le temps est toujours compté. Il est difficile de retracer l’origine exacte de cette expression que les textes ignorent. Pour ma part, je la crois tirée du jeu de cartes populaire appelé la bourre.
La bourre, à présent passée de mode, mais très en faveur à la campagne il y a trente et cinquante ans, se joue à deux, à trois ou à quatre, chacun pour soi, avec cinq cartes par joueur. L’ordre de valeur y est : roi, dame, valet, as, etc. Chacun mise une somme égale, décidée en commun, laquelle est partagée en fin de tour selon le nombre de levées que chacun a faites. Le joueur qui n’a pas fait un seul pli est « bourru », il doit mettre sur le tapis le double de la somme qui vient d’être partagée par ses adversaires. Il peut y avoir plusieurs perdants, plusieurs fois consécutives, et le pot atteint alors une certaine importance.
Si la malchance, ou la maladresse, persiste chez quelqu’un, il peut perdre un joli pécule dans la même soirée. C’est alors qu’il est véritablement « à la bourre » — probablement parce qu’il se retrouve « plumé », comme un pigeon auquel il ne reste que le duvet !
L’expression du parler parisien être en pleine bourre (en pleine forme) me paraît sans rapport. « Bourrer », par évolution argotique du sens très ancien (XIVe siècle) de maltraiter, a voulu dire « lutter, se concurrencer », qui ont donné la « bourre » au sens d’énergie et d’acharnement.