Выбрать главу

Peut-être aussi annoncer la couleur, mais ce n’est pas certain, non plus que son abrégé argotique être à la coule ; il s’agit plutôt là d’un chevauchement. Il semble également que mettre au rancart n’ait aucun rapport avec les cartes, contrairement à ce que l’on a prétendu. Bloch & Wartburg y voient une altération du normand « mettre au récart » avec le sens de « répandre du fumier, éparpiller. »

LES ÉCHECS

Inventé en Inde au VIe siècle, le jeu d’échecs pénétra en Iran où les Arabes le trouvèrent vers l’an 651 à la faveur d’une invasion, et l’adoptèrent. Par eux il se répandit à la suite de l’« étendard du Prophète », dès le haut Moyen Âge, dans tout le Bassin méditerranéen et la chrétienté. « Haroun al-Raschid aurait offert à Charlemagne un jeu dont la Bibliothèque nationale conserve dix-sept pièces[83]. » Les échecs furent très en usage dans la société médiévale. Ils étaient particulièrement adaptés aux mœurs de la chevalerie dont ils sont une sorte de reflet, et constituèrent la distraction favorite après souper des princes et des chevaliers du Moyen Âge. En 1316 le Roman du comte d’Anjou de Jehan Maillart commence par une fatale partie d’échecs entre le comte et sa fille, excellente joueuse, au cours de laquelle le père est pris d’un tel éblouissement devant la beauté de la pucelle qu’il lui propose séance tenante d’aller l’attendre — ô Freud ! — dans sa chambre !… Au moment, en plus, où elle allait gagner :

Et elle avoit, si je ne ment, Chevalier, auffin, roc et fierce Qui fut de paonnez lui tierce, Et pour lui tout’part desconfire Vouloit eschec pour le roc dire.

Chevalier, auffin (ou alfin), roc, fierce (ou fers) sont les anciens noms des pièces qui deviendront dès le XVe siècle, respectivement : le cavalier, le fou, la tour et la dame.

Les paonnez (ou péons) sont les pions — c’est-à-dire les « piétons », ces soldats à pied armés de crocs et de piques qui protégeaient les chevaliers à la guerre et aux tournois. Si, hors de l’échiquier, cette « piétaille » était rarement couverte de gloire, elle n’en était pas moins habitée : je dirai pour l’amusement des curieux que le célèbre morpion est étymologiquement un « mors pion », une vermine qui s’attaque de préférence au pubis du fantassin !

Damer le pion

Contrairement à une idée répandue cette expression ne signifie pas que l’on « prend un pion » à son adversaire, mais que l’on acquiert sur lui un avantage soudain et décisif, au point de lui souffler brusquement une victoire que tout lui laissait prévoir. C’est le battre « sur le poteau », et cela vient d’une règle particulière du jeu d’échecs : « Lorsqu’il arrive sur une case de la huitième rangée (à partir de son camp), c’est-à-dire à l’extrémité d’une colonne, un pion doit se transformer obligatoirement et immédiatement en une figure de son camp, sauf un roi. On dit que le pion “va à dame”, et, quand il arrive à sa huitième case, qu’il “dame”. Cette expression tient au fait qu’il y a — sauf exceptions — toujours intérêt à le transformer en une dame, plutôt qu’en des figures moins puissantes », explique F. Le Lionnais[84].

En effet, cette pièce mineure brusquement anoblie confère un avantage décisif, qui, même si l’adversaire occupait jusque-là une position de force, permet de renverser totalement la situation. Qui parvient à « damer un pion » a toutes les chances de gagner la partie dans les plus brefs délais. D’autant qu’il peut en damer plusieurs : « On connaît quelques rares parties où l’un des joueurs a eu jusqu’à trois dames simultanément. » L’expression s’emploie aussi par analogie lorsqu’on « va à dame » au jeu bien connu du même nom.

Voltaire jouait aux échecs avec un jésuite qu’il avait invité chez lui, ce qui attira l’inquiétude de son ami d’Alembert : « Je crains — écrivait-il — que le prêtre ne joue quelque mauvais tour au philosophe et ne finisse par lui damer le pion, et peut-être le faire échec et mat. »

L’échec et mat, qui termine une partie par le blocage du roi, vient du persan ’shah mat qui signifie « le roi est mort. » « Être mat » a très tôt voulu dire être vaincu. Au XIIIe siècle le Roman de la Rose joue déjà sur les mots :

D’estre mat n’avoient-ils garde puisque sans roi se combattoient.
LE JEU DE PAUME

Le jeu de paume, cet ancêtre direct du tennis et de la pelote basque, était à nos aïeux ce que sont aujourd’hui le football, le rugby, et tous les autres jeux de ballon réunis : dans certains cas, un culte. Périodiquement, on essayait de l’interdire, quand la ferveur populaire passait les bornes, et que les ouvriers, qui n’avaient pas les mêmes droits aux loisirs que leurs maîtres, quittaient leurs ateliers pour s’y rendre !

La paume — longue lorsqu’elle était jouée en plein air, courte lorsqu’elle était jouée en salle — s’organisa à la fin du XIVe siècle, au moment où la raquette, oubliée depuis l’Antiquité, refit son apparition. Jusque-là on renvoyait la balle avec la paume de la main, d’où son nom. Elle fut à son apogée en France aux XVIe et XVIIe siècles et dura jusqu’au début du XIXe. Le dernier jeu de paume fut fermé à Paris en 1837.

J’emprunte au Grand Larousse l’essentiel de la description d’une de ces salles qui jusqu’au début du XVIIIe siècle s’appelaient des tripots : « On joue à la paume dans un espace clos et couvert. L’emplacement doit avoir au moins 28,50 m sur la longueur et 9,50 m sur la largeur. Le sol est ordinairement pavé de carreaux unis ou cimentés. Une galerie se trouve sur un des côtés et aux extrémités de l’emplacement, galerie qui est couverte d’un toit en pente de 45°, fait de planches unies et jointives. Ce toit — nommé toit de service [car la balle devait le toucher avant de rebondir dans l’aire de jeu] — est soutenu par des piliers qui s’appuient sur un petit mur élevé de 1,15 m. Les ouvertures entre les piliers le long de la galerie transversale et au-dessus des murs de batterie, munies de grilles pour empêcher les spectateurs de recevoir les balles, se nomment les ouverts. En face le filet, soutenu par une corde à 0,92 m’au centre et à 1,20 m’aux extrémités, qui divise le jeu en deux parties, se trouve la porte où se tient le marqueur. »

Amuser la galerie

C’est aux spectateurs enclos dans cette galerie, et passablement excités j’imagine, que se réfèrent des expressions telles que jouer pour la galerie. « On dit aussi la galerie, pour dire les spectateurs qui sont dans la galerie. La galerie ne lui est pas favorable. » (Dictionnaire de Trévoux, 1710.)

вернуться

83

R. Caillois, op. cit.

вернуться

84

R. Caillois, op. cit.