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On pouvait aussi, dans ce jeu aux règles précises et compliquées, se livrer à quelques extravagances, par exemple, pour montrer son adresse et sa décontraction, renvoyer la balle par-dessous la jambe. Comble de désinvolture ! Mais cela « amusait la galerie » !

Ces locutions sont passées dans la langue du théâtre, voici comment : à la scène on a dit longtemps pour un jeu à effets faciles ou des bons mots un peu lourds amuser le parterre. En effet, dans les anciennes salles de spectacle, le parterre — ou devant de la scène — n’avait pas de sièges à cause du suintement permanent des chandelles du plafonnier. L’emplacement était réservé, à prix réduit, au menu peuple qui se tenait là debout, attentif à la fois au jeu des acteurs et aux remarques des voisins, tâchant d’esquiver les gouttes de suif qui tombaient du plafond, et qui s’amusait bien quand même.

Avec l’installation de l’éclairage au gaz, peu de temps après la fermeture des derniers jeux de paume, les théâtres à l’italienne se réorganisèrent : le beau monde occupa le parterre devenu habitable, tandis que la piétaille gagnait les derniers balcons, la plus haute galerie. L’expression « amuser le parterre » n’étant plus de mise à cause de la gravité des nouveaux occupants, elle fut naturellement remplacée par « amuser la galerie », qui justement était libre, et trouvait désormais, avec une justification nouvelle, une nouvelle vie. Un échange en somme. Si l’on songe que jusqu’au milieu du XVIIe siècle les pièces de théâtre se jouaient dans les jeux de paume, c’était même un prêté pour un rendu !

Pour la curiosité j’ajouterai qu’il existait autrefois une autre sorte de « gallerie. » On appelait ainsi — du vieux verbe « galler », s’amuser (qui a donné « galant ») — une partie de plaisir, ou une joyeuse compagnie. Ainsi les assemblées de femmes qui festoyaient jadis pendant plusieurs semaines au chevet d’une accouchée pour la distraire pendant ses relevailles. Dans Les XV Joies de mariage (XVe siècle) il en est fait un commentaire avaricieux : « Les commeres viennent et se font les levailles belles et grandes. [Elles] s’esbatent en la meson de l’une d’elles pour galler et parler de leurs chouses (…) et confondent plus de biens a celle gallerie que le bon homme n’eust pas en huit jours pour tout son mesnage. »

Faire faux bond

On ne peut pas toujours compter sur ses amis, certains ont l’habitude, sans être particulièrement légers, de faire faux bond. Furetière explique pourquoi : « Se dit particulièrement dans les jeux de paume, pour marquer le saut que fait la balle en s’élevant en l’air de dessus le carreau. C’est un coup perdu quand on prend la balle au second bond. On dit aussi qu’un homme a fait faux bond lorsqu’il a fait banqueroute, ou qu’il a manqué à quelque devoir d’amitié, à quelque chose qu’il avait promise. Cette fille a fait faux bond à son honneur. »

Il est vrai que l’on peut aussi saisir la balle au bond !

Un enfant de la balle

Un enfant d’la balle Ça fait ses malles Et ça s’trimballe Partout, n’importe où…

Avec cette chanson de René Rouzeaud, Eddy Constantine a beaucoup fait, dans les années 50, pour cristalliser le sens de l’expression sur le cirque et les gens du voyage… L’explication traditionnelle veut que ces enfants de la balle soient à l’origine ceux des tenanciers des jeux de paume — appelés « paumiers », et quand c’était une femme, cela arrivait, une « paumière. »

Ces enfants, nourris dans le sérail et joueurs depuis la petite enfance, devenaient en grandissant de redoutables virtuoses de la raquette à qui il était imprudent de se mesurer. Dès la fin du XVIIe l’expression s’était étendue à tous ceux qui sont élevés dans le métier de leurs parents : « On appelle enfans de la balle, les enfans qui suivent la profession de leur père, & entre autres les enfans d’un maître de tripot avec qui il est dangereux de faire partie. » (Furetière, 1690.)

Donc, si les gens du cirque sont bien pour la plupart d’authentiques enfants de la balle, nombre de médecins, de magistrats et de notables peuvent en dire autant — même si tous ne fredonnent pas :

Il m’a dit : pour gagner ta pitance, La danse, y a qu’ça !

M. Albert Doillon dans son remarquable Dictionnaire permanent du français en liberté[85], très érudit en matière de langage populaire, signale qu’à son avis cette interprétation classique de la citation de Furetière est erronée. Il remarque que « chez Furetière l’exemple du tripot n’est qu’un cas particulier de la définition générale et qu’il a pu naître d’un jeu de mots sur balle. » S’appuyant sur l’opinion de Jean Baudez il voit dans « enfant de la balle » : « un fils de ces marchands forains qui, mêlés aux saltimbanques, ont sillonné les routes de France à partir du Moyen Âge ; la balle serait donc le ballot ou la caisse du colporteur et non la pelote du joueur de paume. Cette lointaine tradition expliquerait la survivance de l’appellation chez les “gens du voyage”. »

Ils ont peut-être raison. Pourtant ces colporteurs, merciers et besaciers d’autrefois ne se promenaient pas, que je sache, avec une famille au grand complet et des marmots à leurs basques. C’était même, si je ne m’abuse, une profession plutôt solitaire… Quant au métier de portefaix — que l’on appelait aussi porte-balle — c’est bien un de ceux qui se prêtent le moins à la descendance. On a beau dire « tel père tel fils », beaucoup de costauds ont des rejetons tout à fait gringalets !

J’ai peut-être tort, mais je croirais plutôt que la citation de Furetière indique qu’à son époque la locution s’était déjà étendue de vieille date et avait perdu le contact direct avec son origine chez les paumiers. En 1690 le jeu de paume avait tout de même trois cents ans de glorieuse existence derrière lui !

Se renvoyer la balle

Jusqu’à cette expression banale du langage quotidien qui doit son existence aux échanges sportifs des « tripots » ! On connaît la célèbre citation de Pascal : « Qu’on ne dise pas que je n’ai rien de nouveau ; la disposition des matières est nouvelle ; quand on joue à la paume, c’est une même balle dont on joue l’un et l’autre ; mais l’un la place mieux. »

C’est du béton

Ça ne craint rien, c’est du solide ! — d’une résistance à toute épreuve.

Il est sans doute surprenant de voir cette locution robuste classée en fin d’une section futile, où il n’est que des balles au bond. C’est que malgré l’apparence elle ne vient pas des chantiers de construction, mais du monde du sport — un domaine si fertile qu’il demanderait un livre à lui seul. Il y a là d’ailleurs une parfaite illustration du fonctionnement des métaphores : on ne dit pas « c’est du béton » dans le bâtiment, pour dire « c’est solide », puisque, précisément… ça en est !

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Parution périodique, 81 bis, rue Lauriston, Paris.