Le béton est ici une image — construite à l’origine sur la technique du « mur » au football. Les joueurs « font le mur » lorsqu’ils se placent en un rang serré devant leurs buts, pour parer un coup franc tiré par l’équipe adverse. De là l’idée qui s’est développée chez les joueurs de rugby d’une défense si compacte, si infranchissable, qu’elle paraît une barrière de « béton armé. » Faire du béton, pour les rugbymen, c’est s’incruster, s’accrocher au sol (souvent boueux, du reste !), soit dans une mêlée, soit dans une tactique de défense destinée à résister à un adversaire plus mobile. L’expression était déjà en usage dans les années 1950 parmi le monde agité et loquace des supporters de rugby.
De là s’est développé au cours des années 60 un second degré de la métaphore, pour désigner un système de défense sans faille dans toutes sortes d’autres domaines. Ce peut être une documentation riche et complète : « Son dossier, c’est du béton ! » Ce sont aussi des arguments solides, étayés par des preuves indiscutables, dans la défense d’une cause controversée : « Ses arguments, tu peux y aller, c’est du béton !. ».
Enfin, la locution s’étant dématérialisée tout à fait durant les années 70–80, elle sert aujourd’hui de superlatif à « solide », « inébranlable », « indestructible » appliqués à divers contrats et liens — fussent-ils entièrement affectifs : « Babette est à côté de lui. (…) Elle fait la bise à Cécelle. Babette elle est pas maquée officiel. Elle baise un peu avec la bande. Pas avec moi of course. Cécelle et moi c’est du sérieux. Du béton. » (F. Lessaygues, La vache noire… 1985.)
Le billard est un mail de table ; un peu ce que le ping-pong est au tennis. Il faut savoir qu’avant d’être le vaste tapis vert que l’on connaît, le billard a été simplement la queue elle-même, la canne qui sert à pousser les boules. Le mot est dérivé de « bille », dans le sens bille de bois, tronc d’arbre. En 1399 un billard était un « bâton recourbé pour pousser des boules. » Le jeu lui doit son nom.
Au XVe siècle le jeu se développe et au XVIe il apparut à peu près sous sa forme actuelle. Sauf que la table, portative et placée sur tréteaux, comportait des trous et aussi des arceaux — dont a hérité le croquet. Ces trous, « en forme de poche », s’appelaient des « belouses », contracté en « blouses » — ils s’appellent toujours ainsi. Ce mot, d’origine inconnue, avait d’ailleurs été emprunté au jeu de paume où il désignait le « creux qui est au bout de la galerie pour recevoir les balles. »
Être blousé
Dès qu’il y a des trous quelque part les hommes ont tendance à y voir paillardise. Ces belouses où entraient les boules devinrent aussi « sexe de la femme. » A. Doillon donne une première attestation de ce sens en 1585. Il donne également en 1610 : « Mettre Maitre cas dans la belouse : faire l’amour. » Il s’établit ainsi un double sens égrillard sur belouse, blouse, et blouser (faire entrer la boule, et autre chose) qui a cheminé en sous-langue, et dont il reste des traces inconsciences encore aujourd’hui dans des phrases comme « il lui en a mis plein sa blouse. » On pense qu’il s’agit du tablier… Ce sous-entendu éclaire par exemple ces alexandrins curieux de La Fontaine « à Mme de La Fayette en lui envoyant un petit billard » :
Qui croirait que notre anodin « être blousé » — être abusé — a une origine aussi résolument gaillarde ? Qu’il n’est que la forme affaiblie par le temps de l’actuel et brutal « être baisé » ?…
Dévisser son billard
En tout cas, au XVIIe siècle, le billard se développa et prit son véritable essor. Il fut frénétiquement à la mode à la cour de Louis XIV — où décidément on se ruait sur tout ce qui passait ! On se demande où il a pu trouver le temps de faire tant de guerres celui-là !… C’est vrai qu’il les faisait faire. Il restait chez lui. Il attendait les nouvelles. Il lui fallait bien tuer le temps. Ou bien il les déclenchait sur des paris ?… On apprendra peut-être un jour qu’il avait joué l’édit de Nantes au brelan, ou au piquet, ou à la bruscambille… Quel dommage qu’il n’ait pas connu le poker ! C’est ça qui fait les bons gouvernements !
Toujours est-il que le vif engouement pour le billard dans l’entourage affectueux du monarque provoqua même une première régression du jeu de paume dans la noblesse. Le billard se répandit partout.
Or les queues — les « billards » donc — étaient des cannes légèrement recourbées et évasées vers le bout portant sur la boule : ce bout qui est précisément la « queue » du billard. Formées de plusieurs parties, elles se vissaient et se… dévissaient ! Les queues droites modernes à bout mince garni de cuir ne datent que du siècle dernier. Elles ont permis par l’étroitesse de leur pointe d’affiner le jeu en inventant les différents effets, à droite, à gauche et rétrogrades — mais elles se vissent et se dévissent toujours !
La métaphore mortelle apparaît vers le milieu du XIXe siècle : « Dévisser son billard, mourir, — dans l’argot des faubouriens. » (Delvau, 1866.) Ce n’est pas une phrase saugrenue du rituel des pompes funèbres, c’est simplement démonter sa queue, la ranger, et quitter la partie. Une image à la Beckett, si j’ose dire, qui évoque les arrière-salles de cabaret, l’animation, le bruit des voix, des boules qui s’entrechoquent, le claquement du cuir sur l’ivoire : c’est quitter la fête, en somme… « Ces jours derniers Exposito rencontra le mouchard dans la prison et, profitant de l’inattention des gardes-chiourme, il lui colla un poignard dans le ventre. Emporté mourant à l’infirmerie, l’infect salaud n’a pas radé à dévisser son billard. » (Le Père Peinard, 9 octobre 1898.)
dit Charles d’Orléans au XVe siècle. Le jeu de barres qui a passionné mon enfance, et des millions d’autres, est vieux comme le monde. Tué par le foot chez les écoliers il commence à être oublié. Il a pourtant été un jeu pour tous les âges et on le retrouve cité à toutes les époques, pratiqué par les manants comme par les chevaliers. Ce n’est pas à des galopins que font allusion ces vers du XIIe siècle :