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« Il faut attendre le XIXe siècle pour que les adultes cessent de jouer aux barres — dit Charles Béart[87] — ce jeu qui avait eu son origine dans l’ostrakinda, l’ensemble de formalités qui accompagnaient à Athènes le bannissement par ostracisme. Au XVe siècle elles avaient provoqué une rixe à La Haye : les ambassadeurs frisons, qui logeaient au-dessus des seigneurs bourguignons, jouant aux barres la nuit en sabots, empêchaient ceux-ci de dormir. Ce fut le divertissement préféré des hommes de guerre. Bonaparte y fut fait prisonnier par Joséphine. Les élèves de l’école de Saumur y jouaient à cheval ; on y jouait encore, à ânes, à Montmorency et à Robinson en 1900 ! » Saint-Simon dit quelque part : « Je n’ai jamais été connu du roi d’Espagne que pour avoir joué aux barres avec lui. »

Avoir barre sur quelqu’un

Aux barres le jeu est « divisé en deux camps, dans lesquels les joueurs de chaque camp s’engagent successivement à la poursuite les uns des autres. » Le dernier sorti d’un des camps « a barre » sur tous les joueurs du camp adverse qui sont sortis avant lui : il lui suffit de les toucher pour les prendre et les ramener captifs à son camp. Réciproquement il doit éviter n’importe quel adversaire sorti après, qui a barre sur lui. « On dit, Avoir barre sur quelcun ; pour dire, Avoir avantage sur lui. » (Furetière.) C’est en somme la haute main, le monopole dans la galopée…

Faire la pige

Le camp vainqueur est celui qui a réussi à faire prisonniers tous les adversaires. Il a donc intérêt à avoir les coureurs les plus rapides et les esquiveurs les plus habiles. Au début du jeu deux capitaines sont désignés qui se partagent les joueurs en les choisissant un par un et tour à tour, peu importe le nombre pourvu qu’il soit égal dans les deux camps. Il y a avantage à choisir le premier pour améliorer ses chances de former la meilleure équipe.

Il faut donc déterminer lequel des deux capitaines aura l’initiative. On peut faire ça à pile ou face. Généralement on utilise le vieux système qui consiste à avancer un pied devant l’autre, « porter barres » (mais qui n’est pas exclusivement lié à ce jeu), que certaines régions appellent « faire la pige. » « Faire la pige, “surpasser quelqu’un dans une compétition” — dit P. Guiraud[88] — est une forme dialectale de “piétiner, mettre le pied sur”, et une allusion aux enfants qui tirent au sort l’initiative du jeu en avançant un pied devant l’autre, le vainqueur étant celui qui au bout de la rencontre met son pied sur celui de son adversaire. »

LES QUILLES

Le jeu de quilles est un autre de ces jeux traditionnels depuis le XIVe siècle. Au bâton ou à la boule il semble avoir été pour la France du Nord ce que la pétanque est demeurée pour le Midi, un jeu essentiellement populaire. « De tous temps les pouvoirs publics se sont intéressés aux quilles, soit pour les interdire, soit pour les limiter. Ils leur reprochaient de troubler l’ordre public, d’inciter les hommes à la brutalité et au blasphème, de les détourner de la religion et du travail, de leur faire dilapider l’argent qu’ils gagnaient. » (Hélène Tremaud[89].) Ce ne sont pas là des tracas que cause la noblesse !

Faire chou blanc

J’emprunte à Maurice Rat, qui se réfère au Dictionnaire du comte Jaubert, l’explication de cette expression bizarre qui signifie que l’on a manqué son coup dans une entreprise quelconque : « Il semble bien que cette vieille locution n’ait rien à voir avec la plante nommée chou, mais qu’elle soit empruntée au jeu de quilles, où l’on disait d’un joueur qui n’avait rien abattu qu’il avait fait “coup blanc”, coup se prononçant “choup” en dialecte berrichon[90]. »

Comme dit Littré se référant à la même source : « Si on n’admet pas cette explication, la locution reste tout à fait obscure. »

LES MÂTS DE COCAGNE

Il faut parler du pays de cocagne, fabuleuse contrée qui, depuis le Moyen Âge, a alimenté les rêves de générations entières de ventres creux, de pauvres hères, hanté les siècles de famine. Cocagne, archétype de toutes les terres promises où il n’est qu’à tendre la main pour se gorger des friandises les plus douces au palais — où la fortune vient en dormant :

Li païs a nom coquaigne Qui plus i dort, plus i gaigne [91]

dit un fabliau du XIIIe siècle, lequel présente à l’envie des maisons dont les murs sont faits de sucreries, des rivières charriant de l’excellent vin, ainsi que des pluies bienfaisantes de galettes chaudes plusieurs fois la semaine !

Décrocher la timbale

Il faut parler des mâts de cocagne, ces anciens jeux des villages en fête. On dressait sur les places publiques un mât haut et lisse, enduit de suif ou de savon noir pour le rendre plus glissant. Un cerceau fixé au sommet offrait des victuailles : jambons, pâtés, bouteilles de champagne se balançaient en guirlande, aguichant les grimpeurs qui devaient aller les cueillir à la force des bras et des jambes pour la plus grande joie des spectateurs. Dans certains cas, vers le milieu du siècle dernier, on plaçait à la cime du mât une timbale, sans doute en argent, que le plus valeureux champion allait « décrocher » sous les applaudissements de la foule.

C’est curieusement au Journal officiel du 25 mars 1877 que l’expression apparaît pour la première fois dans son sens figuré : « Je trouve qu’il est dangereux de suspendre tous les impôts à supprimer au sommet d’une espèce de mât de cocagne pour que ce soit le plus agile qui aille décrocher la timbale. » (In Littré, Suppl.) Elle eut rapidement de la vogue, à la mesure du jeu forain qui l’avait engendrée : « Mais j’en reviens à ce cochon de Ferry. C’est lui qui triomphe dans l’affaire contre Boulanger. Il croit avoir à nouveau décroché la timbale, et se prépare à nous foutre en coupe réglée. » (Le Père Peinard, 21 avril 1889.)

LES ÉPINGLES

Une histoire moralisante remportait naguère un franc succès sur les bancs des écoles : celle des débuts édifiants du célèbre banquier Laffitte, pauvre jeune homme engagé dans son premier emploi après avoir essuyé un refus poli, parce qu’il avait pris la peine en sortant, tête basse, de ramasser dans la cour une épingle et de l’accrocher au revers de son veston. L’employeur qui le suivait machinalement du regard avait été séduit par ce geste d’épargne d’excellent augure et l’avait rappelé sur-le-champ : « Jeune homme, je vous engage ! »

Évidemment les temps ont bien changé ! On se demande ce que la jeunesse actuelle pourrait bien ramasser par terre pour éviter le chômage et tirer aussi brillamment son épingle du jeu !

Tirer son épingle du jeu

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87

R. Caillois, op. cit.

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88

P. Guiraud, Les Locutions françaises, op. cit.

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89

R. Caillois, op. cit.

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90

M. Rat, Dictionnaire des locutions françaises, Éd. Larousse. 1957.