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Jeu de mots mis à part c’est du côté des petites filles qu’il faut chercher l’origine de cette expression. Vers le XVe siècle les fillettes jouaient à placer des épingles dans un rond au pied d’un mur et à les faire sortir à l’aide d’une balle qui devait d’abord frapper le mur avant de ricocher dans le cercle. Une joueuse habile parvenait au moins à récupérer sa mise, c’est-à-dire à retirer son épingle du jeu. Le sens figuré en découle très tôt, comme en témoigne d’Aubigné au XVIe : « Mais, ne pouvant rien contre vents et marée, il tira son épingle du jeu. »

Cela dit, les épingles ont eu autrefois dans la vie des femmes une importance dont on ne se doute guère. C’était apparemment un objet d’un certain luxe, dont la fabrication était strictement réglementée. Au XIIIe siècle le Livre des métiers précise : « Que nul maître ni maîtresse ne puisse acheter fil cher pour faire espingles, si ce n’est à ceux du dit métier [les espingliers], sous peine de l’amende. » On offrait des épingles aux dames et les testaments du XIVe et du XVe siècle disposaient parfois de legs particuliers destinés à leur achat, en particulier pour les « longues espingles à la façon d’Angleterre. » Du reste le pécule que les maris accordaient à leur épouse pour leurs menues emplettes personnelles ou bien les sommes qu’elles pouvaient amasser d’elles-mêmes par un truchement quelconque s’appelaient tout bonnement les « épingles. »

« Mme d’Étampes prend de pension, pour ses épingles, cinq cents livres. »

Il s’agit là, semble-t-il, d’un trait de civilisation occidentale car l’anglais connaît aussi l’expression pin-money qui désigne l’argent de poche des femmes et des jeunes filles. Témoin ce dialogue d’une comédie classique de Vanbrugh où une jeune fiancée se réjouit ingénument de la munificence de son futur époux ; « Dis-moi, nourrice, s’il me donne deux cents livres par an pour m’acheter des épingles, qu’est-ce que tu crois qu’il me donnera pour acheter des beaux jupons ? — Ah ma chérie, il te trompe vilainement ! Ce que ces Londoniens appellent l’argent des épingles c’est pour acheter à leurs femmes tout ce que peut offrir le vaste monde, et jusqu’aux lacets de leurs chaussures ! »

La pratique des « épingles » a duré longtemps, et s’il faut en croire Littré, jusqu’à l’époque de nos arrière-grand-mères, où le mot désignait une sorte de pourboire particulier à l’intention des femmes : « C’est pour les épingles des filles, se dit de ce que l’on ajoute en payant une marchandise ou un ouvrage au prix convenu… Ce sont les épingles de madame. »

Monter en épingle

On comprend dès lors que l’on puisse être tiré à quatre épingles — ajusté sans aucun faux pli ! Et aussi naturellement qu’il vaille parfois la peine de monter une chose en épingle, afin de la mettre en valeur. Tout est dans la tête, si j’ose dire, et dépend de la grosseur et du prix de celle-ci. On peut monter une émeraude en épingle par exemple, et faire d’une simple épingle de cravate ou d’une épingle à chapeau un véritable bijou.

Que l’on en juge par cette description somptueuse, extraite d’un traité des émaux du XVIe siècle : « Un saphir enchâssé à jour, sur un espingle d’or, garni de douze petites perles. » Pas du tout le genre que vous iriez chercher dans une meule de foin !

Dormir comme un sabot

À première vue, le sabot, qui aux pieds s’agite et claque, et fait un bruit d’enfer sur le pavé, ne fournit pas une image du sommeil particulièrement évidente. Il est vrai que, par contraste, dès qu’il est laissé dans un coin il a l’air de dormir comme une bûche…

Cette seconde image a certainement aidé l’expression dormir comme un sabot à se perpétuer jusqu’à nous. C’est pourtant une image fausse. Le « sabot » dont il s’agit est en réalité une « toupie de forme conique en bas et cylindrique en haut, que font pirouetter les enfants en la frappant avec un fouet ou une lanière. » (Littré.) C’est un sens connu dès le Moyen Âge : « [Un enfant] respondit que, einsi com il se jooit à son çabot, il chei [tomba] el celier » (XIIIe). « Fouetter un sabot » a été une expression courante : « La Furie qui agitait Amate, et qui la fouettait comme un sabot », dit Voltaire ; et par ailleurs un certain Picard : « Nous tournons au gré de nos passions comme un sabot sous le fouet de l’écolier. »

Le mot est d’une étymologie incertaine. Selon un auteur cité par Littré ce sabot serait appelé ainsi « parce que ces toupies sont faites la plupart d’un morceau de vieux sabot. » Il me semble pour ma part que l’occitan cibót, « toupie, pomme de pin », fournit une origine plus vraisemblable, du latin caepa ottu. C’est ce mot que chante une célèbre comptine des enfants bordelais :

— Jean Couillon, veux-tu faire à la paume ?

— Non maman je veux faire au cibot !

En tout cas on sait qu’une toupie bien lancée demeure immobile ; elle « dort » sur place, et même elle ronfle doucement — précisément : dormir comme un sabot c’est dormir en ronflant. Villon le savait : « Tous deux yvres dormans comme un ung sabot. »

La chasse

L’aboi du vieux chien doit-on croire.

Vieux proverbe.

La chasse a toujours été la distraction favorite des hommes de guerre en temps de paix — c’est-à-dire dans les périodes plus ou moins brèves où la chasse à l’homme n’est pas ouverte. En fait, s’il reste quelques cerfs, daims, chevreuils, sangliers, et même des lièvres sur la planète, c’est que le gibier a toujours fait l’objet d’une protection toute particulière et d’une surveillance pointilleuse. Par exemple il a presque toujours été interdit au commun des mortels de chasser. La chasse, comme le port de l’épée, était autrefois l’apanage de la noblesse qui en faisait son principal loisir de plein air. Louis XI, chasseur passionné du XVe siècle, avait établi, déjà, des réserves de chasse, et se souciait beaucoup de la reproduction et de la protection des espèces. Il adorait les animaux cet homme, au point qu’il fut le premier à se constituer une ménagerie privée.

LA VÉNERIE

La vénerie — autrefois « venaison » — est l’art de chasser le gibier à poil, généralement le gros gibier, à l’aide de chiens courants, et de chevaux pour courir après les chiens. Un veneur est un chasseur en cet équipage. La chasse à courre — « courre » est ni plus ni moins l’ancienne forme du verbe courir — est la chasse par excellence, la « mère de la chasse », la « chevauchée fantastique », selon les auteurs. C’est un sport d’origine et d’usage hautement aristocratiques, une survivance dans les temps modernes des mœurs de la chevalerie. On n’y emploie que des termes d’ancien français, sorte d’argot huppé qui exprime des codes, des lois, des traditions presque immuables depuis quatre ou cinq siècles.

Sous l’Ancien Régime ces gens qui chassaient en grande pompe tout en interdisant aux autres de le faire avaient suscité une telle haine, et probablement une telle frustration, que ce fut — jointe à quelques autres vexations, bien sûr ! — une des causes les plus épidermiques de la fureur populaire lors de la révolution de 1789. La rage était si intense que les paysans profitèrent de l’occasion pour massacrer méthodiquement les chiens de chasse — les pauvres bêtes, elles, n’avaient pas pu émigrer ! Ils exterminèrent ainsi toutes les meutes de France, au point que la race des lévriers venue du Moyen Âge se trouva éteinte. C’est un fait peu connu, mais le génocide fut si complet que lorsque, par la suite, certains s’avisèrent de reconstituer des meutes, il leur fallut importer des chiens de l’étranger, principalement d’Angleterre.