Выбрать главу

Décidément les bonnes choses ont toujours provoqué des excès !… Je me demande d’ailleurs — c’est une parenthèse — quelle sorte de ressentiment peut produire aujourd’hui en Afrique l’habitude de certains aristocrates des ex-colonies anglaises de choisir, faute de gibier convenable, un indigène jeune, résistant et léger, et de le chasser à courre sous le soleil des savanes avec meutes, musique, uniformes, tout le cérémonial féroce que l’on réserve aux renards et aux loups…

Si dans le détail de son déroulement la chasse à courre exige une habileté et une science des animaux et des terrains assez extraordinaire, son principe est simple : il consiste à débusquer un animal choisi, et au lieu de le tuer tout de suite, ce qui rendrait la plaisanterie un peu courte et ne vaudrait guère le dérangement, on le traque avec des chiens et des chevaux jusqu’à ce que la bête haletante et totalement épuisée s’offre sans résistance au couteau de son saigneur qui la « sert » — c’est le terme technique — d’un coup au cœur.

Ce divertissement d’une très grande noblesse, et qui s’apparente du reste un peu à la corrida espagnole, occupe largement une journée entière, de l’aube au crépuscule. Il arrive aussi parfois que la nuit tombe sans que l’animal ait été rejoint, qu’il réussisse à échapper à la vigilance de tout le monde et sauve ainsi sa peau et le reste. Cette éventualité ne rend l’aventure que plus palpitante.

Un fin limier

La première phase de l’entreprise consiste donc à déterminer qui sera le héros de la journée. Pour cela la « quête » est organisée dès la veille au soir afin de repérer les bêtes dignes d’intérêt. Elle est effectuée par les « valets de limiers » qui se livrent à un premier repérage dans les bois. Elle est reprise au petit matin par les piqueurs qui localisent alors avec précision les « enceintes » où se tiennent les bêtes, afin que le « maître d’équipage » puisse faire un choix définitif. (On ne court qu’un seul animal par chasse, et le même du matin au soir, quelles que soient les péripéties.)

Le limier — de « liem », lien — est un chien en laisse. « Il ne doit pas être un chien comme les autres. Sa première qualité est d’être haut de nez, mais il doit également être obéissant et secret, c’est-à-dire ne donner de la voix, et encore de façon discrète, qu’à bon escient[92]. » Mais c’est son maître qui, tel un Sioux, utilisant différents indices (traces au sol, branches froissées, etc.) détermine, sans l’avoir vu, la nature, l’emplacement, et même l’âge de l’animal à traquer. Le limier au bout de sa laisse lui sert pour ainsi dire de pifomètre avancé !

Aller sur les brisées

L’endroit où l’animal a passé est marqué par une branche brisée. Ces repères, disposés d’une façon particulière, font penser aux flèches des jeux de piste. Un piqueur averti suivra ce conseil du XIVe siècle : « Où tu en perdras la vue [du cerf] gette une branche brisée, quand tu t’en yras. »

Les brisées, dit Furetière, sont les « marques que laisse un chasseur dans un chemin où a passé le gibier, qui sont ordinairement des branches d’arbres qu’il brise ou qu’il coupe, et qu’il jette aux chemins dans l’étendue des quêtes. » Il ajoute : « On dit figurément, marcher sur les brisées de quelqu’un pour dire, suivre ses traces, imiter son exemple. On le dit aussi de ceux qui entreprennent le même dessein, qui écrivent sur le même sujet, quoy qu’ils le traitent diversement. »

Le Petit Poucet n’avait sûrement pas eu le temps, vu son jeune âge, de s’initier aux subtilités de la chasse à courre… Les brisées, appliquées à lui-même, lui auraient évité bien des déboires.

Être d’attaque

Une fois les bêtes possibles dûment localisées, les piqueurs reviennent vers la clairière où la compagnie les attend. La casquette à la main, ils font au maître d’équipage leur « rapport. » Le veneur « choisit alors de chasser tel cerf plutôt que tel autre, et donne ses ordres en conséquence […]. On se rend à l’enceinte désignée. Les chiens d’attaque y pénètrent, cherchent le cerf, le mettent debout, le lancent, le forçant à s’enfuir. » (P. Vialar.)

Cela évidemment si tout va bien ; il peut arriver que la bête, avertie par on ne sait quel pressentiment, lève le pied sans attendre.

Faire buisson creux

Au Moyen Âge cette première partie de la chasse s’appelait « buissoner. » Un buisson était alors non seulement n’importe quel arbuste, mais aussi un taillis. En 1228 le jeune et bel empereur du Guillaume de Dole, voulant se débarrasser des maris gêneurs et des fiancés pointilleux pour festoyer avec leurs dames, organise au petit jour une grande chasse où il envoie gaiement tout le monde à l’exception de lui-même et de quelques joyeux compagnons :

Aux jalous et aux envieux faisoit bailler épées et cors… aux uns a prié qu’ils allassent buissoner avec les archers ; et li autres aux liemiers poursuivre, qui sont bons aux cerfs.

Faire buisson creux c’est donc venir à l’enceinte alors que l’animal a déjà déguerpi. « On dit aussi — précise Furetière — qu’on a trouvé buisson creux lors qu’on n’a pas trouvé en une affaire ou en un lieu, ce qu’on esperoit d’y rencontrer. Ce proverbe est figuré, & tiré de la chasse, où on dit qu’on a trouvé buisson creux, quand on n’a rien trouvé, ou qu’un cerf s’en est allé de l’enceinte. »

Mettre sur la voie

C’est tout de même une déconvenue exceptionnelle. Dès que le cerf est lancé, « on arrête les chiens d’attaque et l’on met la meute sur la voie. » Une petite sonnerie de fanfare, puis : « Tous les chiens alors empaument la voie, c’est-à-dire partent sur la piste, en poussant des clameurs magnifiques. Cette voie, sur laquelle le cerf les a précédés, ils en suivent, au nez, tous les détours, où qu’elle les mène, pendant des heures. » (P. Vialar.)

Le problème est que la meute peut s’égarer momentanément, tomber dans une des ruses du gibier ; il faut alors que les veneurs la « remettent sur la voie. » La locution, comme on peut le constater, est plus ancienne que le chemin de fer !

À cor et à cri

вернуться

92

Paul Vialar, La Chasse, Éd. Flammarion, 1973. Ouvrage dont j’ai tiré l’essentiel de la documentation pour ce chapitre.