Le côté spectaculaire de la chasse à courre tient pour une grande part aux sonneries des cors — les veneurs emploient le mot « trompe » — lesquelles ponctuent ou soulignent les différentes phases de la poursuite. Outre les sonneries finales, l’hallali, la curée, et même la retraite, de nombreux airs diversifiés constituent un véritable langage, aussi bien pour les hommes que pour les chiens.
Après que le « lancé » ait prévenu tous les participants du début effectif de la chasse, un piqueur bien posté qui a vu le cerf de ses yeux peut sonner la « vue », laquelle donne au passage des précisions sur l’animal — par exemple l’air varie selon l’âge du cerf. Si la bête s’est réfugiée dans un étang, dans l’espoir naïf d’égarer ses poursuivants, on sonnera le « bat-l’eau », puis la « sortie de l’eau » quand elle sort, le « vol-ce-l’est » quand on a aperçu la trace de son pied, le « trébuchet », etc. Quand tout va bien les veneurs sonnent des « bien-aller. » « Hommes et chiens les comprennent et s’appuient sur ces sonneries. Elles sont le langage sonore et musical de la chasse, en commentent chaque aspect et chaque surprise. »
Tout cela n’empêche pas les appels de voix, les cris et les huées. Vieille tradition, déjà dans le Roman de Renart :
Furetière résume très bien la situation : « On dit proverbialement par une métaphore tirée de la chasse, qu’on a cherché quelqu’un à cor & à cri, pour dire qu’on a fait toute la diligence possible pour le trouver. »
Donner le change
Parmi les ruses dont dispose la bête pour essayer de sauver sa peau, détours, retours sur sa piste, traversées de rivières, etc., l’une des plus subtiles est le « change » : « Change, en terme de vénerie, se dit quand des chiens qui poursuivaient un cerf ou quelque gibier, le quittent pour courir après un autre qui se présente devant eux. Un vieux cerf donne le change, & laisse son écuyer à la place. On le dit aussi du lièvre lorsqu’il se dérobe des chiens & leur donne à courre quelque autre lièvre que lui. » (Furetière.)
Ce n’est pas très héroïque, évidemment ! « Notre cerf, se sentant pressé — explique Paul Vialar — n’a eu de cesse, rencontrant une harde, d’en faire partir, et souvent à coups d’andouillers, un autre cerf, obligeant celui-ci à fuir avec lui afin que les chiens chassent ce dernier plutôt que lui-même. » Oui, c’est gênant de penser que l’instinct de conservation puisse ainsi manquer de panache… Il faut se faire une raison : en ces extrémités les animaux réagissent curieusement comme les humains, toujours prêts à sacrifier un frère à leur place si le besoin se fait vraiment trop pressant. La Fontaine voyait dans cette conduite une preuve de l’intelligence animale :
« On dit figurément qu’un homme a pris le change, qu’on lui a donné le change, quand on lui a fait quitter quelque bonne affaire pour en poursuivre une autre qui lui est moins avantageuse », dit Furetière. Pratique courante, assurément. Mais il faut reconnaître que l’on peut quelquefois « gagner au change » !
Être aux abois
« L’animal est sur ses fins.
« On le sait par les chiens, d’abord, et souvent pour l’avoir aperçu, recru, malmené, au bout de ses forces, tirant la langue, portant la hotte, les membres raidis, ses articulations enflammées ne répondant plus et le faisant trébucher sur quelque obstacle. » Quelques minutes encore et les chiens le rattrapent, s’accrochent à lui. « Parfois il leur tient tête et demeure ainsi, dressé encore, aux abois devant eux, fier et digne et sachant que ses derniers moments sont arrivés, capable encore de découdre quelque attaquant d’un coup d’andouiller. » (P. Vialar.)
L’expression a eu très tôt le sens figuré que l’on connaît : « être réduit à la dernière extrémité faute de ressources. » En 1623 Sorel évoque ainsi les premiers pas de Laurette dans le métier de courtisane tandis qu’un soupirant lui donnait la sérénade : « La nuict que son gentil pucelage estoit aux abbois de la mort, Valderan amena un Musicien de ses amis devant nos fenestres… » L’année précédente l’auteur des Caquets de l’accouchée rapporte les fantaisies fiscales du temps : « [les thrésoriers] font à toute heure croire au roy qu’il n’y a point d’argent dans ses coffres, et l’obligent par ce moyen à trouver de nouvelles inventions pour en avoir, ce qui ne se fait jamais qu’à la foule [oppression] du pauvre peuple, lequel est à présent aux plus grans abbois du monde. »
Ce qui différé avec le peuple, c’est que lorsqu’il est aux abois il risque de mordre !
Aller à la curée
Dernière phase : la bête étant « servie » — c’est-à-dire achevée au couteau — on la dépèce sur place et l’on donne leur récompense aux chiens. « Il faut distinguer deux sortes de curées : la curée chaude et la curée froide. La première est celle qui se fait sur le lieu même où la bête a été prise, aussitôt qu’elle a été mise à mort ; c’est celle que les chiens préfèrent et qui les encourage le mieux. La curée froide est celle que l’on donne en rentrant au logis. »
Curée, anciennement « cuirée », est dérivé de « cuir », car c’est sur la peau étendue un peu à l’écart que l’on offre aux chiens les entrailles de la bête. Voici la manière du XIVe siècle : « L’apprends demande comme on doit faire la cuirée aux chiens. Modus répond : pren le foye du cerf, le poumon, le jagel et le cuer, et soit découpé par morceaux sur le cuir et sur le sang qui est sur le cuir, et fay effondre la panse et vuider et très bien laver, et puis des coupper sur le cuir, avecques les autres choses, et soit la brouaille ou bouelle [boyaux] gardée à part ; et puis pren du pain, et soit descouppé par morceaux, et qu’il y ait plus pain que chair ; puis soit soublevé le cuir hault aux mains d’un chascun costé, et soit meslé ensemble aux mains la chair et le pain dedans le cuir ; et quant il sera bien meslé, si soit estendu le cuir à terre, et soit ce dedans esparty sur le cuir ; et puis doit-on laisser aller les chiens sur le cuir à la cuirée. » (Modus, in Littré.)