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Il faut signaler du reste que les chiens ne sont pas tout à fait les premiers servis. Il existe d’abord, avant le dépeçage proprement dit, la cérémonie du pied, soulignée comme il se doit par une sonnerie des cors. « Le veneur sert la bête. Puis, selon la coutume, il lève le pied de l’animal en le coupant proprement à la première jointure, et en ayant soin de laisser un lambeau de peau taillée sur le genou, il le pose sur une cape, revient vers les invités et fait au plus important d’entre eux, à celui qu’il veut particulièrement honorer, les honneurs du pied. » (P. Vialar.)

La chasse à courre est, bien sûr, une longue jouissance, mais c’est bien là l’ultime façon, pour un des participants au moins, de prendre son pied !

Donc la vénerie nous a légué à elle seule un joli bouquet de locutions courantes — en fait toutes les étapes de la poursuite ont passé dans la langue commune, transposées dans la vie par des veneurs hautement aristocrates, voire des princes, lesquels possédèrent longtemps le double privilège de chasser à courre et de parler français. Cela va à l’encontre de l’idée reçue selon laquelle la langue française a toujours refusé les termes de métiers. Tout dépend à quel niveau se place la technique dans l’échelle sociale.

Pour terminer je ne peux résister au plaisir de signaler un autre avantage de la vénerie que Paul Vialar indique dans sa propre conclusion. Selon lui la chasse à courre a l’extraordinaire mérite d’abolir la lutte des classes. Elle est « faite de beauté et de noblesse, au point que les grands comme le peuple, réunis en une même compréhension, en une même passion, parviennent, j’en ai eu le témoignage bien souvent, à se rejoindre à travers elle et ainsi à se mieux comprendre. À travers la nature, à travers ce grand thème de la chasse à courre, ils s’identifient au point qu’il n’est plus d’envie des uns envers les autres, mais bien l’emploi de mêmes mots, la vérification de mêmes sentiments qui les réunissent et font, du plus simple comme du plus titré, des hommes semblables. »

Ça c’est bien. Il faudra y penser, à l’occasion, lors de l’établissement de la société égalitaire que l’on réclame, justement, à cor et à cri !…

LA FAUCONNERIE

La fauconnerie se perd. On le sait, elle consistait à faire capturer le gibier par des oiseaux de proie particulièrement dressés à cet exercice. C’était un loisir princier, pour ne pas dire royal, tant l’entretien des faucons réclame un soin et une vigilance de tous les instants, et suppose un personnel abondant et hautement qualifié : les fauconniers et leurs aides. La fauconnerie a eu ses heures de gloire jusqu’au XVIIIe siècle. Chasse d’hiver, débutant après la Sainte-Croix, elle a connu son apogée dans les cours fastueuses du XVIe.

J’emprunte à nouveau à Paul Vialar la description de ces réjouissances d’antan : « Dames et seigneurs mêlés, galants faisant l’hommage de leur prise à leur maîtresse après avoir suivi l’oiseau lâché au bon moment, l’avoir soutenu de la voix, lui avoir arraché la proie des serres, l’avoir repris en le faisant revenir au leurre et le rapportant alors plein d’orgueil, enchaperonné, pour le remettre sur le poing de leur belle ! Tout le monde chassait et prenait ardent plaisir à la chasse. Les dames portaient sur leur poing petit, ganté de cuir et de velours, un épervier ou un émerillon, et derrière Catherine de Médicis la “petite bande” faisait merveille. »

« C’était aussi une marque de fortune et de naissance et chaque gentilhomme voulait être suivi de fauconniers à cheval portant ses oiseaux, parvenant même parfois à obtenir permission de garder leur préféré sur leur poing à la messe. Un homme suivi d’un chien ou d’un oiseau montrait ainsi qu’il n’était pas du commun et qu’il lui était de cette manière permis, à tout instant de sa promenade ou de son voyage, de se livrer à son sport favori.[93] »

Des pratiques de haut vol

On appelait oiseaux de haut vol — ou de haute volerie — le faucon pèlerin, le gerfaut, qui « montent haut dans le ciel pour dominer leur proie et fondre sur elle. » On chassait ainsi la perdrix, le faisan, le canard, la pie et l’alouette. Cette chasse, la plus spectaculaire mais aussi la plus délicate, fait un peu penser aux combats aériens de nos amusantes époques.

La technique de basse volerie est pratiquée en sous-bois, sur les lièvres et les lapins, par des oiseaux plus petits qui « partent directement du poing du fauconnier et, sans s’élever, filent en droite ligne sur la proie. »

Avoir de l’entregent

Pendant les déplacements et les préparatifs le faucon était donc perché sur le poing ganté de cuir de son maître, et ce n’était pas une mince affaire que de l’habituer à circuler ainsi dans le brouhaha et l’agitation ambiante. Bien sûr il était attaché par des « gets » — lanières de cuir — et sa tête était enveloppée d’une coiffe, un chaperon également de cuir, qui l’empêchait de voir et qu’on ne lui ôtait qu’au moment de la chasse proprement dite, mais cela exigeait un dressage particulièrement constant de l’accoutumer ainsi à la fréquentation des hommes et des chevaux. Un fauconnier du XIVe siècle donne ces conseils précis : « Il vous convient continuer à le tenir souvent sur le poing et entre gent tant et si longuement que vous pourrez, le porter aux plaids et entre les gens aux églises et autres assemblées. »

Autrement dit, le volatile acquérait ainsi de l’« entregent » ; il ne s’effarouchait plus de rien, à l’aise dans les situations les plus animées… Brave bête ! « On appelait autrefois l’autour, cuisinier, parce que son maître le menait à la cuisine pour qu’il s’habitue à rencontrer beaucoup de monde, et du plus bruyant. » (P. Vialar.)

L’expression s’est appliquée aux hommes rompus à tous les usages mondains : « Le comte de Roucy avait, avec toute sa bêtise, un entregent de cour que l’usage du grand monde lui avait donné », rapporte Saint-Simon ! C’est vrai que pour faire son chemin dans les relations publiques il vaut mieux s’attendre à tout et ne s’effaroucher de rien !

Faire des gorges chaudes

Bien entendu dans cette catégorie-là aussi il faut encourager l’animal. Rien de plus efficace que de lui faire goûter quelques morceaux de sa proie immédiatement après la capture — ou encore le détourner de cette proie en la remplaçant pas un « leurre », un pigeon par exemple, que le faucon déchire à sa guise. (Ce qui a peut-être renforcé le sens d’être un pigeon, une dupe, usuel déjà au XVIe avec le verbe pigeonner.)

« Gorge, en terme de fauconnerie, est le sachet supérieur de l’oiseau, qu’ailleurs on nomme poche ; et lorsque l’oiseau s’est repus, on dit qu’il s’est gorgé. On appelle gorge chaude la viande chaude qu’on donne aux oiseaux du gibier qu’ils ont pris », explique Furetière. C’est en somme l’équivalent de la curée pour les chiens. La Fontaine rapproche d’ailleurs les deux mots dans La Grenouille et le Rat :

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Paul Vialar, op. cit.