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[la Grenouille] S’efforce de tirer son hôte au fond de l’eau, Contre le droit des gens, contre la foi jurée ; Prétend qu’elle en fera gorge chaude et curée : C’était, à son avis, un excellent morceau.

Cependant il existait dans l’ancienne langue un mot « gorge », ou « gorgie », qui signifiait « insulte, raillerie piquante » (ne li fist ire ni gorge). Il en a résulté une superposition de sens, et l’expression vorace s’est trouvée vouée à la moquerie. « On dit aussi par une double figure, quand quelcun a fait une sottise, ou imprudence, qu’on en a fait une gorge chaude dans les compagnies ; c’est-à-dire, qu’on s’en est raillé. » (Furetière.) Saint-Simon emploie déjà ce sens figuré : « Le duc de Saint-Aignant trouva l’aventure si plaisante qu’il en fit une gorge chaude au lever du roi. »

Quelle que soit la transposition, les motifs de nos hilarités ne sont pas innocents ; faire des gorges chaudes de son prochain revient souvent à le déchirer à belles dents !

LES PIÈGES

Les pièges, que l’on appelait autrefois « engins », ont toujours été les auxiliaires discrets et efficaces du chasseur sans gloire… Ils le sont encore pour les braconniers, et aussi d’ailleurs pour les ornithologues qui prennent au filet les oiseaux qu’ils veulent baguer.

Tomber dans le panneau

L’expression tomber dans le panneau est elle-même traîtresse si l’on ne comprend pas que le panneau est un filet tendu sur le passage des bêtes :

Au trou où le lapin se glisse Ma bourse et mon pannel tendrai (XVe).

« Le panneau n’est qu’une petite pantière, dans laquelle bondissent les lièvres ou les lapins pour s’y prendre. Il en existe de merveilleusement pratiques, en fil de soie, contenues dans un sac dorsal et accompagnées des piquets et des ficelles nécessaires à les installer sur le sol », dit P. Vialar qui définit la pantière comme « un filet très long qui barre tout un espace — en général repéré et où passeront les oiseaux — vertical d’abord et qu’on fait, à l’aide d’une commande de ficelle placée loin, s’abattre sur le gibier. »

Dès lors le sens figuré s’entend de lui-même. Il est amusant de noter à cet égard que les « panneaux publicitaires » font un jeu de mots involontaire mais charmant… Pour ne rien dire, bien sûr, de certains panneaux électoraux.

Tomber dans le lacs

Il y a longtemps que le sens premier de cette locution n’est plus compris, car elle est confondue avec le dérivé qu’elle a créé : tomber à l’eau. En réalité le lac — c’est-à-dire le lacs — était un « nœud coulant qui sert à prendre des oiseaux, des lièvres et autre gibier », autrement dit un collet — le lacet (de chaussure) est le diminutif du mot. « A tart crie la corneille quand le lacs la tient par le col », dit un vieux proverbe. Tomber dans le lacs, c’est donc tomber dans le piège :

li morsiau qui fu en l’enging fu de fromage de gaain et li laz estoit estendu par dessus deus paissons fendus.
(Roman de Renart.)

On a peu à peu confondu « lacs », collet, avec « lac », étendue d’eau, à cause d’une similitude de prononciation, et la deuxième notion a prévalu. C’est aussi de cette équivoque « eau-piège » que nous vient l’expression d’origine voyoute être mouillé. Dans l’argot du célèbre Vidocq, au XIXe siècle, « être mouillé » voulait dire « être remarqué par la police », sens toujours actuel, et qui reste près de son origine : lacs-piège. Il est vrai que les policiers traquent en principe le « gibier de potence »…

Les dés sont pipés

Autre vieille technique de chasse : imiter le cris des animaux pour les attirer vers soi. « Le braconnier — dit P. Vialar — se sert aussi des appeaux, des chanterelles. Il faut s’y connaître bien pour faire venir à soi en les appelant certains gibiers afin de les tuer ensuite au fusil, et imiter à la perfection la caille comme la perdrix, ou mieux, la chevrette afin qu’accoure le mâle. »

Autrefois on attirait les oiseaux sur des branches d’arbres que l’on avait préalablement enduites de glu. On prenait ainsi les oiseaux « à la pipée » — le mot étant de la famille de pipeau. « La saison de piper au bois as oyseaulx si commence après la Saint-Michel archange et dure tant comme les feuilles sont as arbres », dit un texte du XIVe siècle. Furetière explique plus tard comment la méthode est passée à d’autres domaines : « Au figuré il s’employe communément pour dire tromper, & particulièrement au jeu. Les filous font métier de piper les dez, de les charger de mercure ou de plomb, d’y marquer de faux points. Ils pipent les cartes en y faisant quelques marques pour les connaître ou en les escamotant. » Scarron, visitant la foire de Saint-Germain, commente à ce propos :

Icy le bel art de piper Très-impunément sa pratique ; Icy tel se laisse attrapper Qui croit faire aux pipeurs la nique.

Un pipeur est un filou. Ils abondent. « On peut dire au féminin pipeuse — dit Littré qui ne doute de rien — et, dans le style un peu élevé ou poétique, piperesse. »

Si l’on considère tous les pièges où l’on peut tomber, les embûches de la vie courante, les traquenards qui nous attendent, si l’on songe à tous les appeaux vers lesquels on court, les leurres, miroirs aux alouettes, attrape-nigauds de tous bords — sans parler des peaux de banane et des planches pourries — on se dit qu’un homme averti en vaut une bonne demi-douzaine !

Le bestiaire

Dieu garde la lune des loups.

Vieux proverbe — valable depuis la création du monde jusqu’au 20 juillet 1969.
LE CHEVAL

La plus noble conquête de l’homme a été mise un peu sur la touche par les temps modernes. À part le prodigieux intérêt pour les courses télévisées, et dans une moindre mesure les randonnées forestières des dimanches d’été, le rôle et le prestige du cheval se sont réduits comme peau de chagrin au cours de ce siècle.