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Dans nos contrées les loups arboraient un pelage noirâtre, au mieux gris foncé ; cependant, comme pour les autres espèces d’animaux et pour les mêmes raisons d’ordre génétique, il arrivait que l’un d’eux naquît albinos. Ces loups blancs occasionnels frappaient doublement l’imagination populaire qui leur octroyait la puissance redoutable des prodiges ; c’est presque comme un animal mythique que les gens du Moyen Âge voyaient le « loup blanc », et en tant que tel que l’évoque Rutebeuf à la fin du XIIIe siècle :

Car ce siècle est si changé Que un leu blanc a tous mangé Li chevaliers loyaux et preux.

La forme connu comme le loup blanc paraît donc un renforcement naturel de l’expression du XVIIe ; elle était en usage normal dès le début du siècle dernier : « Je vous attendais, me dit-il ensuite. Quand je dis je vous attendais, nous vous attendions, car vous êtes ici connu comme le loup blanc, et nous avons lu votre affaire dans les journaux. » (E. Debraux, Voyage à Sainte-Pélagie, 1823.)

Peut-être à cause d’une incompréhension due à la forme populaire « leu », peut-être par un jeu de mots tentant, au lieu de « connu comme le loup blanc » on dit souvent dans le nord de la France « connu comme le houblon » — variante assez naturelle chez des buveurs de bière !

Entre chien et loup

La distinction entre les deux bêtes est essentielle pour le voyageur, encore faut-il y voir assez clair… Entre chien et loup, dit Littré, est « à petit jour, le soir ou le matin, c’est-à-dire quand le jour est si sombre qu’on ne saurait distinguer un chien d’avec un loup. »

Peut-être aussi le chien est-il le temps du jour, de la lumière, de l’activité ; le loup le temps de la nuit, de l’ombre, de la peur, où l’on se réfugie chez soi, dans le sommeil et aussi dans les cauchemars. Le jour guide et protège, la nuit égare et menace… Entre les deux c’est l’hésitation, le crépuscule, le passage, lui aussi inquiétant, d’un état à l’autre. « Je crains l’entre chien et loup quand on ne cause pas », avoue Mme de Sévigné.

L’expression remonte… à la nuit des temps ! On lit au XIIIe :

En un carrefour fist un feu Lez un cerne [95] entre chien et leu.

Ce fut toujours l’heure propice aux mauvaises rencontres, et aussi, heureusement, aux rendez-vous galants : « Ils se donnèrent un autre rendez-vous, où la Grifaude se trouva en personne, afin de se faire réparer son honneur à forfait : ce fut sur la brune d’un autre soir, entre chien et loup, derrière les sacs à blé. » (Caylus, Les Écosseuses, 1739.)

Autre temps, autres manières : « Moi je regardais ses jambes, ses mains sur le volant. » Et ma montre. À huit heures je lui ai dit d’allumer les phares : « Le petit bouton, là sur votre gauche… » On roulait entre chien et loup… « Faut trouver un hôtel, elle dit… » (B. Blier, Les Valseuses, 1972.)

Dès potron-minet

Dès potron-minet, de grand matin, est une façon de parler qui se fait rare, mais elle intrigue encore ses derniers utilisateurs. Savoir que l’on dit aussi patron-minet n’éclaircit guère la locution, qui désigne le point du jour — comprenez « dès que le jour point » (du verbe poindre). Son ancienne forme est d’ailleurs potron-jacquet ; en normand un « jacquet » est un écureuil. Quant au potron, il est une altération de poitron — on disait au XVIIe siècle : « il s’est levé dès le poitron-jacquet » — lequel vient de « poistron », du latin posterio, postérieur, révérence gardée : le cul. « … et la boele [les boyaux] vous saudra fors [sortira] par le poistron », menace quelqu’un dans le Roman de Renart.

Selon la grammaire de l’ancienne langue (voir Queue leu leu), potron-jacquet signifie donc « le derrière de l’écureuil », partie fort visible de cet animal tout en queue et de surcroît extrêmement matinal ; l’expression veut dire : « quand l’écureuil montre son derrière, se lève, dans la fraîcheur de l’aube naissante »…

« Je vais me coucher. Le lendemain, m’étant éveillé dès le potron-jacquet, comme mon père ronflait encore, parce que le vin l’avait surpris au bal, je vais à l’écurie ; je prends sa jument et le chemin de Niort. » (Caylus, Les Étrennes de la Saint-Jean, 1742.)

Naturellement, il s’agit là d’un langage très agreste ; dès que les peuples commencent à s’urbaniser ils se coupent de certaines préoccupations, et en particulier du mode de vie des écureuils ! C’est sans doute pourquoi le mot a glissé vers le chat, plus familier et tout aussi matinal — on disait dans le même sens « dès que les chats seront chaussés. » Il a fourni le bizarre « potron-minet. »

Quant au reste, j’ignore si c’est avec ou sans malice que le postérieur est devenu le « patron » dans l’altération populaire de la locution « patron-minet » ; une variante déjà en usage au début du XIXe : « Dès le patron minet, il te fallait empoigner l’arrosoir, et te morfondre à jeter du ratafia de grenouilles sur tes tulipes. » (Vidocq, Mémoires, 1828.)

Donner sa langue au chat

Cette formule qui marque la fin des devinettes se noie dans le brouillard des temps et des jeux enfantins. Cependant le chat, comme dévoreur de langue, qui rend les petits enfants muets, semble avoir pris à une époque relativement récente la place du chien, ordinairement plus vorace. « Ne sauriez-vous deviner ? — demandait Mme de Sévigné. Jetez-vous votre langue aux chiens ?… » Il semble bien que ce soit là l’ancienne formule : jeter quelque chose aux chiens c’est en faire très peu de cas, voire un acte infamant, et ne pas être « bon à jeter aux chiens » le comble de l’indignité.

C’est probablement parce que « langue au chat » est plus joli, moins brutal que « langue aux chiens », que s’est effectué ce changement d’animal domestique. L’expression consacrée s’éloigne ainsi de la réalité féroce dans laquelle elle a certainement vu le jour, à des époques où les mutilations humaines n’étaient pas de simples façons de parler. Couper les mains en guise de châtiment, couper les oreilles, le nez, la langue, à des ennemis vaincus, à des captifs, par représailles ou pour le simple plaisir, ont été — sont encore parfois ! — des pratiques odieuses mais bien réelles. Les jeux d’enfants qui miment — innocemment ? — la plus grande bestialité des peuples (on joue à la guerre, n’est-ce pas ?) sont souvent comme l’écho de ces coutumes barbares, et c’est sans doute dans un châtiment cruel qu’il faut voir la véritable origine du gentil renoncement de nos devinettes. Car donner sa langue à manger aux chiens, ou aux chats, c’est, par une automutilation symbolique, devenir irrémédiablement muet, et donc le plus sûr moyen de ne jamais pouvoir répondre à la question posée.

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Près d’un « chêne » ?