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Le « lapin » a eu, depuis le XVIIe au moins, le sens d’histoire fausse, de hâblerie : « Celui-là est de garenne », fut selon Furetière une tournure qui se moquait d’un récit incroyable. De la vantardise on a pu passer à la déconvenue ; c’est apparemment au sens de mauvaise blague que le mot est parfois employé dans la population ouvrière de Paris, dans le premier tiers du XIXe siècle — au cours des journées de juillet 1830 un menuisier commente ainsi les nouvelles d’un journal royaliste : « Il y avait hier un article qui m’a fait bien rire ; il finissait à peu près comme ça : que les coups de fusils viennent, et l’on verra de quel côté est la majorité. Eh bien qu’il juge maintenant. » (En effet, l’insurrection vient de chasser le roi Charles X.) Son compère, un ébéniste, lui répond en riant : « Il est bon là, le lapin. » (E. Debraux, Les Barricades, 1830.)

On pourrait voir dans cette acception, qui exprime le retournement imprévu d’une situation, la racine du lapin connu quelque trente ans plus tard dans le monde de la prostitution comme un « paiement éludé » : « Guerre aux lapins », relève Esnault vers 1868. Coller un lapin (ou poser) était dès avant 1880 « ne pas rétribuer les faveurs d’une fille. »

Poser un lapin, ne pas venir à un rendez-vous, apparaît chez les étudiants vers 1890 selon Esnault. À mon avis cette déconvenue particulière à celui qui attend pour rien, a dû subir dans une certaine mesure l’influence d’une autre locution de l’époque : « faire poser » ou « laisser poser » quelqu’un, pour le faire attendre. « Depuis trois mois elle le faisait poser, jouant à la femme comme il faut, afin de l’allumer davantage », écrit Zola dans Nana. En 1897 un personnage du Voleur, de G. Darien, qui n’a pu se rendre à un rendez-vous, dit : « Je t’ai laissé poser hier soir ; excuse-moi car je n’ai pas pu faire autrement. »

La même année Jehan Rictus écrivait de son côté :

Pis… mal fringue… fauché… sans treffe, J’os’rais seul’ment pas y causer : Donc un béguin, c’est comm’ des nèfes.

Quant au lapin… c’est tout posé !

Avaler des couleuvres

Avaler des couleuvres c’est subir un affront, une vexation sans être en mesure de protester. Accepter bouche cousue est le lot de tous ceux qui sont en position d’infériorité et qui jugent plus utile, ou plus prudent, de se taire, soit par esprit courtisan, soit pour leur sécurité. L’accession à tous les pouvoirs suppose naturellement une forte consommation de ces reptiles : « Il faut savoir regarder d’un œil sec tout événement, avaler des couleuvres comme de la malvoisie », dit Chateaubriand qui s’y connaissait.

Mais pourquoi ces serpents particuliers ?… L’expression semble dater du XVIIe siècle où Furetière la définit ainsi : « On dit qu’un homme a bien avalé des couleuvres, lorsqu’on a dit ou fait devant lui plusieurs choses fâcheuses qu’il se peut appliquer, ayant été cependant obligé de cacher le déplaisir qu’il en avait. » Mme de Sévigné fait un grand usage de la tournure : « Il faut que le goût qu’il a pris pour elle soit bien extrême, puisque ce goût lui fait avaler, et l’été et l’hiver, toutes sortes de couleuvres. »

Je pense pour ma part qu’il y a là quelque part « anguille sous roche. » L’anguille, poisson d’eau douce à forme de serpent, constituait, du temps qu’elle foisonnait dans nos pures rivières, un mets courant et particulièrement apprécié. Il est probable que c’est par opposition à elle que la couleuvre, considérée comme répugnante et même dangereuse, intervient. Des hôtes mauvais plaisants auraient-ils servi des couleuvres en lieu d’anguilles pour éprouver la docilité de leurs convives ?… Le coup du chat à la sauce lapin ? Après tout la couleuvre est comestible, et de chair fine au dire de certains. On l’appelle aussi anguille de haie.

Sotte Ignorance et jugement léger Vous ont jadis, on le voit par vos œuvres, Fait avaler anguilles et couleuvres

dit J.-B. Rousseau.

Évidemment à force d’avaler de tels plats l’estomac le plus solide finit par s’aigrir. En d’autres termes : qui avale trop de couleuvres finit toujours par cracher du venin !

Fier comme un pou

Être fier comme un pou est une expression incompréhensible au premier abord, et qui comme beaucoup d’autres doit son succès à son absurdité. Les poux sont des petites bêtes pleines de pattes qui se promènent parfois sur les mèches de cheveux, assez gravement sans doute, mais sans aucune fierté. Ils se sauvent dès que l’on approche le doigt, ils s’enfuient lâchement dans l’épaisseur de la chevelure comme un cafard sous un balai. Que l’on dise « moche comme un pou », cela se comprend, mais fier ?…

En réalité le « pou » en question — ou poul, ou pol — est l’ancienne dénomination du coq, le mâle de la « poule » précisément, et le papa du « poulet » ! En fait, fier comme un pou veut dire « fier comme un coq. » Un petit coq même, un coquelet fringant, tout en plumes et en crête arrogante. Cela à une époque où le coq adulte s’appelait aussi jal, ou gai, du latin gallus, alors que la vermine des coiffures étaient encore un pouil, ce qui explique les « pouilleux. » L’expression se rattache donc légitimement à la panoplie du cocorico national — le mot « coq » vient d’ailleurs de « cocorico », imitation de son cri.

Quant au coq gaulois, l’emblème, il résulte d’un jeu de mots en latin entre gallus, coq, et Gallus, Gaulois, sans que nos ancêtres bien connus aient marqué une préférence particulière pour cet oiseau de basse-cour !

Sauter du coq à l’âne

Francion dit d’un jeune Écossais qui voulait être son soupirant : « Il n’entendoit pas encore bien le français, aussi ne faisois je pas son langage corrompu : de manière que nostre entretien fut un coq a l’asne perpetuel. » (Sorel.)

L’origine de cette locution pose un autre de ces problèmes de parenté quasiment insolubles. « Coq a l’asne — dit Furetière — est un propos rompu, dont la suite n’a aucun rapport au commencement : comme si quelqu’un, au lieu de suivre un discours qu’il aurait commencé de son coq, parloit soudain de son asne, dont il n’étoit point question. Ménage dit que Marot a été le parrein de cette façon de parler, et qu’il fit une épître qu’il nomma du coq a l’asne en suite de laquelle plusieurs Poètes ont fait des Satires qu’ils ont intitulées de ce nom, où ils disoient plusieurs véritez qui n’avoient ni ordre ni suite. »

Or Ménage se trompait, car si Marot a bien instauré le coq-à-l’âne comme genre littéraire, créant ainsi une mode qui eut un vif succès au XVIe siècle, il n’a pas inventé l’expression. On disait déjà au XVe siècle « sauter du coq a l’asne », et Wartburg signale au siècle précédent « saillir du coq en l’asne », qui paraît être la forme la plus ancienne de l’expression.