Выбрать главу

Cela dit on n’avance guère : pourquoi un coq et pourquoi un âne ? Il y a peut-être une allusion à une histoire ou à une réalité oubliées… Faut-il penser par exemple à des pratiques obscures de ce qui était au Moyen Âge la Fête des fous, pendant laquelle l’âne, symbole d’ignorance et de perversion, était tout à coup mis en vedette avec des honneurs parodiques qui allaient jusqu’à le placer momentanément dans le chœur de l’église ? Alors que le coq était le symbole de Jésus-Christ, de la lumière et de la résurrection ?… Cela ne conduit à aucune conclusion possible.

J’ai longtemps caressé une hypothèse qui pour n’être pas plus fondée qu’une autre me paraît du domaine du possible, et que je livre ici à titre d’élucubration personnelle parce qu’elle me fait plaisir. L’ane est aussi, jusqu’à la fin du XIIIe siècle au moins, le mot propre désignant la cane, femelle du canard. Le mot survit dans le « bédane », ce burin de forme évasée, en réalité « bec-d’ane » : bec de cane. Le terme s’est peu à peu confondu avec « asne », le baudet, à mesure que l’« s » de celui-ci n’était plus prononcé. Dans le Jeu de Robin et Marion, vers 1285, il s’installe un quiproquo volontaire lorsqu’un chasseur cherchant une ane (cane), Marion fait mine de comprendre âne :

Li chevaliers Si m’aït Dieu, bele au cors gent, Ce n’est pas ce que je demant. Mais veïs tu par ci-devant, Vers ceste riviere, nule ane ?
Marion C’est une beste qui recane ? J’en vis hier trois sur ce chemin Tous chargés aler au moulin. Est ce ce que vous demandez ?

L’origine de l’expression pourrait-elle se situer de façon plus « logique » du côté de ce volatile ?… Il s’agirait alors du rapport incongru d’un coq à une cane.

Si l’on considère que le sens premier du verbe « saillir », sauter, du latin salire, est « couvrir une femelle » — sens qu’il a conservé jusqu’à nos jours — on peut se demander s’il n’y aurait pas là une clef possible. Il arrive en effet, dans n’importe quelle basse-cour ordinaire, qu’un coq à l’esprit mal tourné offre soudain ses assiduités, à une femelle parente, telle une dinde ou une cane alanguie par le mal d’amour. Cette saute d’humeur passagère, et que la morale des oiseaux réprouve probablement, est toujours amusante à observer. Le coq juché sur la femelle, ne sait plus comment s’y prendre et repart souvent sans arriver à ses fins. On peut penser qu’une « saillie du coq en l’ane » ait constitué cette incongruité divertissante au départ, et soit devenue pour nos lointains aïeux le symbole du manque de cohérence et de suite dans les idées !…

J’en étais là de mes réflexions, que je livrai au public en 1978 dans la première édition de cet ouvrage, quand je reçus, quelques mois plus tard, la lettre suivante d’un de mes lecteurs qui apportait, sinon une confirmation, du moins beaucoup d’eau au moulin de mes hypothèses. M. J. Rosier est curé à Régny dans la Loire : « Un ouvrier de Régny, d’origine rurale, entretient le jardin à la cure à ses moments perdus. Il me dit un jour en mettant je ne sais quel engrais : “Ça y fera peut-être autant que le coq au derrière de la cane.” Je lui dis : “Est-ce que c’est ça la vraie formule ? — Non, c’est au cul de la cane, si vous voulez tout savoir.” Il n’aurait pas osé dire “le cul” devant un curé ; mais le sens était bien : ce que je fais sera peut-être aussi peu efficace que l’accouplement du coq et de la cane.

« Il y a un mois, je vais voir ma voisine fleuriste qui était malade. Me parlant du traitement qu’elle suivait, elle me dit : “Ça y fera peut-être autant que le cocu à la cane” ; je l’ai fait reprendre pour être sûr de son “cocu”.

Elle me dit : “C’est ma mère qui disait ça.” Je lui ai expliqué ce que sa mère voulait probablement dire : le coq au cul de la cane… La fleuriste employait bien l’expression dans le même sens que le jardinier, mais sans la comprendre aussi bien. L’un et l’autre sont de la région de Roanne, mais de villages éloignés au moins de 50 kilomètres l’un de l’autre. C’est peut-être un signe que ce proverbe existe dans toute cette région, bien qu’il soit peu employé. » (Lettre du 27 juillet 1980.)

Vérification faite par mes soins, il existe bien dans toute la région du Roannais un dicton ancien : « le cocu la cane », ou « le coq au cul de la cane »… Un autre lecteur, M. Marc Chambry, habitant Le Vésinet, m’a fait part depuis d’un dicton allemand, « Irren ist menschlich, sagt der Hahn, und stieg von der Ente », ce qui signifie : « L’erreur est humaine, dit le coq, et il descendit de la cane. »

Une telle permanence dans le fonds culturel occidental m’incite à penser que mon hypothèse doit être mieux fondée que je ne croyais tout d’abord ; il me paraît tout à fait vraisemblable que la « saillie du coq en l’ane (oiseau) » soit à l’origine de l’absurde « saillie du coq en l’âne (quadrupède), par confusion d’animal. Cet accouplement stérile des basses-cours aura au moins eu un fruit inattendu : une illogique couvée de coq-à-l’âne !

Un canard boiteux

Comme tous les canards sont plus ou moins boiteux de par leur démarche naturelle, on se demande pourquoi une quelconque vindicte s’attacherait à l’un d’eux en particulier. L’expression est curieusement absente de tous les dictionnaires. Si Littré l’ignore c’est probablement que le canard boiteux s’est répandu après lui, c’est-à-dire vers la fin du siècle dernier ou le début de celui-ci.

À mon avis le mot est venu de l’anglais a lame duck dont il représente la traduction littérale. A lame duck est une expression qui a son origine dans la finance britannique, plus précisément dans le monde de la Bourse où elle désigne un marchand de titres incapable de payer ses dettes, et par extension tout spéculateur insolvable. Cela, paraît-il, et sous toute réserve, à cause de la démarche vacillante d’un tel individu obligé de quitter le Stock Exchange honteusement dépouillé, sous les regards de glace de ses impitoyables collègues.

La locution est commune outre-Manche et le romancier Thackeray l’emploie déjà en 1847 dans La Foire aux vanités : « Les affaires de M. Sadley ont une allure qui ne me plaît guère, et tant que je n’aurai pas vu de mes yeux les dix millions d’Amélia, tu ne l’épouseras pas », signale à son fils un père soupçonneux qui ajoute : « Je ne veux pas d’une fille de canard boiteux dans ma famille. » C’est sans doute dans ce contexte implacable de la finance qu’il faut comprendre le célèbre adage : « Pas de pitié pour les canards boiteux ! »