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Cela dit il faut remarquer qu’en anglais le mot lame a plutôt le sens de « boiteux par accident » ; un autre mot désigne la démarche ordinaire et dandinante du canard : to waddle. A lame duck serait donc plus exactement un canard « blessé, éclopé. » L’image prend vraisemblablement sa source non dans l’animal de basse-cour, mais dans les fameuses chasses au canard sauvage, fort goûtées justement par l’aristocratie britannique du portefeuille. C’est en passant au français que l’expression aura pris, par le hasard d’une traduction littérale, cette redondance à effet cocasse qui a assuré, si j’ose dire, sa fortune. Il est possible aussi qu’un croisement se soit produit avec la notion, semble-t-il traditionnelle, de cheval boiteux. G. Esnault signale pour 1881 « pas de pitié pour les chevaux boiteux. » L’influence de ce dernier a peut-être favorisé l’extension du sens à tous les traînards, les malhabiles et les malchanceux de toutes sortes que la vie, en effet, n’épargne guère.

Parenthèse : un « canard », désignant un journal, vient du sens de « fausse nouvelle » qu’il avait au XVIIIe siècle : « Conte absurde et par lequel on veut se moquer de la crédulité des auditeurs. Cette nouvelle n’est qu’un canard », dit Littré qui rend compte du passage à la presse par l’acception suivante : « Se dit ironiquement de faits, de nouvelles, de bruits plus ou moins suspects qui se mettent dans les journaux. »

Pourquoi cette mauvaise réputation ? Il existait préalablement et depuis le XVIe siècle l’expression « vendre un canard à moitié », pour « mentir, faire accroire », laquelle en se raccourcissant est devenue « vendre un canard. » « Il est clair — précise Littré — que vendre un canard à moitié, ce n’est pas le vendre du tout, de là le sens de attraper, moquer. »

Caner, faire la cane

Pour en finir avec cet oiseau j’ajoute qu’il a fourni également la vieille expression faire la cane : « se dérober à propos, faire le plongeon à l’approche du danger », laquelle a donné plus simplement le verbe caner : « reculer, fuir », que Littré signale comme étant un « mot très familier. » Effectivement dans la prose de Marc Stéphane les gens du trimard causent ainsi : « À l’audience, et pis à l’taule, je fis l’cane, naturlich, car de tels matous ne se prennent pas sans mitaines. » (Ceux du trimard.) Mais c’est encore Furetière qui explique le plus délicatement l’origine de l’expression : « On dit aussi qu’un homme fait la cane ; pour dire qu’il recule par lâcheté dans les entreprises périlleuses, ou qu’il manque à ce qu’il s’étoit vanté de faire, à cause que les canes sont si timides, qu’elles baissent la tête en passant par une porte, quelque haute qu’elle soit. » Pratique internationale sans doute, car les Anglais disent to duck dans le même sens.

Quant à caner, mourir, il semble venir d’un renforcement argotique du précédent par jeu de mots avec canner, s’en aller, quitter les lieux, c’est-à-dire « jouer des cannes » : jouer des jambes.

Bayer aux corneilles, bouche bée

Il y a bâiller et bayer ! Bâiller d’ennui, ou de sommeil, avec ou sans discrétion, et bayer, de l’ancien baer, ou béer, qui est tenir la bouche ouverte, de surprise ou d’innocente attention, lequel a donné la bouche bée, la gueule béante, les badauds (par l’occitan badar), et les bégueules (bée gueule) !

Et Galopin, la gueule bée, Qui a la gorge longue et creuse, Tretout giete en comme en la heuse [99]

dit Le Roman du comte d’Anjou, quand le messager avale une grande « hennappée » de bon vin. Pantagruel naquit au temps d’une telle sécherese, après trente-six mois sans pluie, que « les loups, les regnards, cerfz, sangliers, daims, lièvres, connilz, bellettes, foynes, blereaulx et aultres bestes, lon trouvoit par les champs mortes, la gueulle baye », dit Rabelais.

Bayer aux corneilles est donc une « manière de parler proverbiale, pour exprimer un homme oisif, et qui s’amuse à regarder niaisement toutes choses. » (Furetière.) Pourquoi les corneilles ?… Parce qu’elles sont en l’air probablement, et que ça donne l’air encore moins futé… Rabelais disait aussi « bayer aux mouches », mais il disait n’importe quoi !

Comme c’est chouette !

La chouette n’est pas un oiseau anodin. Peut-être à cause de son air insolite et de ses mœurs nocturnes, sa réputation a beaucoup varié au cours des âges. Naguère oiseau de malheur dont le cri étrange (le chuintement) annonçait la mort de quelqu’un, elle était clouée sur les portes des granges — du temps qu’il y avait encore des granges et des portes de bois. (Elle effraye aussi les rongeurs, ceci étant sans doute la raison pratique de cela.)

Chez les anciens Grecs au contraire elle était le symbole d’Athènes, parce que les chouettes, paraît-il, abondaient dans la ville. En conséquence elle fut dédiée à la déesse Athéna, Minerve, et à ce titre tout à fait respectée.

Je ne pense pas que ce soit cet illustre antécédent qui ait valu à la chouette la réputation d’être très soignée de sa personne, mais elle passe pour un oiseau coquet. Dans l’ancienne langue le verbe choeter signifiait « faire le coquet » et naturellement « la coquette. » On a donc parlé d’une femme chouette, puis sans doute d’une chouette femme ! Panurge disait : « Ma femme sera jolye comme une belle petite chouette » — autre façon de déclarer sur un air connu : « Qu’est-ce que t’es chouette, que t’es chouette, ma poupée !… »

On disait aussi au jeu de paume — on pourrait le dire au tennis ou au ping-pong — « faire la chouette », pour jouer seul contre deux adversaires ; selon Littré parce que la chouette, si elle sort de jour, est assaillie et poursuivie par les autres oiseaux. Seul contre tous, c’est en effet assez chouette !

Quoi qu’il en soit la fortune de ce mot dans le français d’aujourd’hui constitue une belle revanche pour un animal si longtemps et si injustement persécuté.

De la roupie de sansonnet

La roupie de sansonnet c’est rien du tout, une bagatelle, une quantité presque nulle, souvent employée dans une comparaison négative comme le fait Zola dans L’Assommoir : « Le zingueur voulut verser le café lui-même. Il sentait joliment fort, ce n’était pas de la roupie de sansonnet. »

On sait que la roupie, au sens propre si j’ose dire, est « l’humeur qui découle des fosses nasales, et qui pend au nez par gouttes » — autrement dit la « chandelle. » C’est assez écœurant ; « la jeune paysanne crache sur son menton ; elle a au nez une roupie gluante qu’elle essuie avec sa manche », décrit Fénelon qui était allé voir les pauvres de près. Le mot est ancien :

Si bourse eust tant de rübies Comme li nez ad de rupies, Riche sereit…