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Expression sœur, qui continue d’être à la remorque de la précédente sur laquelle elle s’est formée, apparemment avec la même évolution. Delvau notait déjà en 1867 : « On dit aussi N’être pas piqué des hannetons. »

Lorédan Larchey la présente lui aussi en équivalence en 1872, dans son sens premier : « Aussi frais, aussi sain que la feuille respectée par les hannetons. » Il cite à témoin une phrase de Xavier de Montépin : « Une jeunesse entre quinze et seize, point piquée des hannetons, un vrai bouton de rose. »

J’espère, lecteur, en terminant ce chapitre, que vous l’aurez trouvé de même.

2.

LES INSTITUTIONS

Armée, Guerre

Aussi bien pleure bien battu, comme mal battu.

Vieux proverbe.

La langue française doit beaucoup à l’armée. À toutes les armées, de tous les temps. Si l’on considère que le fond de notre langue vient pour une bonne part, non pas du latin classique des intellectuels romains, mais du « bas latin », sorte d’argot des légionnaires transmis aux peuplades pacifiées, on comprend l’étendue de la reconnaissance que nous devons aux soldats. Le mot tête par exemple, qui en latin testa signifiait « vase de terre cuite », représente au départ une plaisanterie aussi fine que nos « cafetières », « carafes » et autres « calebasses » pour désigner le siège de nos pensées…

Du Moyen Âge jusqu’à nos jours la langue des militaires, langue du plus haut prestige, n’a cessé de fournir des vocables et des locutions d’autant plus imagées que la guerre était fréquente, active, et souvent glorieuse. Car il n’est rien de tel que le soldat pour distribuer à la ronde le vocabulaire de son métier. Parler boutique lui donne du mystère, lui qui revient toujours du seuil de la mort violente ; il en acquiert du charme et de la grandeur.

Sous l’Ancien Régime les armées se débandaient l’hiver ; les troupes prenaient leurs quartiers, tandis que les officiers supérieurs retournaient à la Cour, aux salons et aux dames, où ils véhiculaient naturellement les façons de parler nées de l’excitation du combat et du progrès des techniques guerrières. Ils avaient le verbe haut, mille anecdotes… Ils avaient des muscles, de la hardiesse, des balafres, ils sentaient bon le cheval et le crottin chaud. Les dames émoustillées se suspendaient à leurs lèvres, voulaient savoir, charmantes, comment on tuait. Ces nobles gens racontaient leurs batailles, faisaient des gestes, et employaient les termes techniques pour faire plus vrai, plus comme-si-vous-y-étiez… On les comprend : comme c’était trop tôt dans l’ère quaternaire pour qu’ils puissent rapporter des photos, tout devait passer dans le langage !

LES TEMPS ANCIENS

Monter sur ses grands chevaux

Il en était des chevaux du temps jadis un peu comme des automobiles du nôtre : tous n’avaient pas la même taille et la même fonction. En gros il en existait de trois sortes : les chevaux de parade, ou de voyage, les palefrois « por chevauchier a l’aise du cors », qui étaient aussi les montures des dames ; les roncins, bêtes porteuses d’armes et bagages, aussi appelés somiers (de somme), qui servaient également aux écuyers et gens de moindre importance ; enfin les destriers, étaient ainsi nommés parce que l’écuyer les conduisait de la main droite (la dextre) quand ils allaient « à vide. »

Mes sires Gauvains fu armez, Et si fist a deus escuiers Mener an destre deus destriers.
(Le Chevalier de la charrette, XIIe)

C’étaient les chevaux de combat, de belle race et de haute taille — plus le cheval est grand, mieux on domine son adversaire — les grands chevaux.

Or sachiez que, quant ils montèrent, il i ot ploré maintes lermes. Trois somiers a robes et armes orent, et granz chevax de pris.
(Guillaume de Dole, XIIIe.)

Monter sur ses grands chevaux c’est donc le signe de la bataille : « Atant guerpissent [abandonnent] les palefrois, si sont es destriers montés » (XIIIe). Naturellement ce n’est pas une action que l’on entreprend l’esprit calme et serein, il y faut de la fougue et de l’arrogance. « On dit aussi — dit Furetière — qu’un homme monte sur ses grands chevaux ; pour dire qu’il parle en colère & d’un ton hautain. »

Entrer en lice

Si la guerre venait à manquer, restait toujours le dérivatif magnifique fourni par les tournois. Pendant le Moyen Âge proprement dit — jusqu’au XVe siècle environ — les tournois furent de vraies petites guerres d’un jour, sur un territoire non limité à partir d’un « centre » formé par une estrade où se tenaient les spectateurs et surtout les spectatrices. Les chevaliers s’affrontaient souvent en équipes, aidés par des « gens de pied » armés de piques et de crochets, tout comme à la guerre. Il y avait des captures et des rançons et certains gagnaient leur vie de cette façon, en professionnels aussi exacts que les joueurs de football aujourd’hui. Leur cote — très exactement leur prix — montait à la mesure de leurs prouesses.

Ce n’est que plus tard, et surtout à la Renaissance, que les tournois s’organisèrent de la façon dont on les représente le plus souvent au cinéma, dans des champs clos, avec des concurrents qui joutent entre des barrières, essayant de se désarçonner mutuellement du bout de leur lance. C’est ce « couloir » des derniers tournois que l’on appelle la lice, le mot signifiant « barrière, palissade. » « On l’appelait ainsi — explique Furetière — parce qu’il étoit fermé de pals de barrières ou de pieux, & de toiles. On a inventé en France les lices doubles, afin de faire courir les chevaliers l’un d’un côté, & l’autre de l’autre, & afin qu’ils ne se pussent rencontrer que du bout de leurs lances ; ce qui étoit moins dangereux. On dit tant au propre qu’au figuré qu’un homme fuit la lice, quand il évite le combat, ou la dispute. »

Mettre au pied du mur

Dans l’ancienne guerre la prise des villes et des châteaux fortifiés constituait, mieux que les batailles en rase campagne, le terrain de prédilection des démonstrations d’adresse et de bravoure. La réputation de plus d’un capitaine des Grandes Compagnies du XVe siècle s’est faite sur leur habileté à s’emparer des places fortes et à les tenir à rançon, parfois à l’aide d’une poignée d’hommes judicieusement entraînés à grimper aux murailles et à étouffer le guet. Toujours est-il que l’assaut d’une fortification a été le siège d’exploits personnels longuement commentés. Or le récit des exploits, surtout quand ce sont les siens que l’on raconte, ne va jamais sans quelque hâblerie. Le meilleur moyen de vérifier les dires d’un soudard en taverne sur son habileté à escalader les murailles est encore de le mettre au pied du mur… de l’enceinte, et de voir comment il grimpe !