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C’est là l’origine probable de la locution, plutôt que l’interprétation qu’en donne M. Rat, lequel la rapporte à l’escrime « où celui qui a poussé son adversaire jusqu’au pied du mur lui a ôté tout moyen de reculer, en sorte qu’il se voit obligé de riposter ou de demander merci. » Cette situation correspond en fait à une autre tournure : être le dos au mur.

J’appuie mon hypothèse sur ces vers de Collerye qui, au début du XVIe siècle, emploie déjà l’expression au sens figuré :

Au pied du mur je me voy sans eschelle, Plus je ne scay de quel bois faire fléchés, Faulte d’Argent m’en donne les empeches, Triste j’en suis…

Il me semble par ailleurs que le proverbe, relativement récent : « C’est au pied du mur que l’on voit le maçon », en est une forme « détournée » par plaisanterie de métier, avec un jeu de mots sur le « pied » mesure : c’est à la rapidité avec laquelle il construit un pied de mur solide et bien aligné que l’on juge de la valeur d’un maçon.

Être à la merci

Le mot « merci », qu’il est si difficile d’inculquer aux petits enfants, a une histoire curieuse. « Mercy — dit Furetière — se dit aussi en parlant de ce qui est abandonné au pouvoir, à la discrétion, à la vengeance d’autrui. Une ville prise d’assaut est à la mercy des soldats. »

La merci fut d’abord une faveur, une récompense. Cela lui vient de son origine latine : mercedem, d’abord « salaire » puis « prix. » Celui qui vous « tient à sa merci » est donc celui qui « fixe son prix » pour votre libération. La faveur devient extrême lorsque l’individu qui vous a mis son couteau sur la gorge le retire au lieu de l’enfoncer, vous laissant ainsi la vie sauve, et le soin de vous confondre en gratitude pour sa clémence et sa magnanimité. C’est la grâce accordée, généralement contre une petite ristourne financière. Un combat sans merci, au contraire, est un combat à mort, où le vainqueur ira au bout de ses intentions.

Par le sien Dieu, qu’il ait mercit de moi

dit La Chanson de Roland (XIe), et Grimbert le blaireau, plaidant pour son cousin Renart, s’adresse au lion en ces termes :

Ha ! gentix rois, frans debonaire, car metez pais en cest afaire, si aiez de Renart merci.

C’est la même requête que fait François Villon trois siècles plus tard :

N’ayez les cuers contre nous endurcis, Car, se pitié de nous povres avez, Dieu en aura plus tost de vous mercis.

Dans cette lignée précisément, la vieille expression Dieu merci signifie « par la merci de Dieu », c’est-à-dire « par la grâce miséricordieuse de Notre Seigneur Dieu », ou quelque chose d’approchant. « Il a fait beau temps, Dieu merci », n’est pas un remerciement, mais simplement un commentaire d’inspiration prémétéorologique.

Quant au merci de politesse, il a pris racine dès le XIVe siècle dans des phrases comme : « Sire, vous me faites grant honneur, la vostre merci »… Il s’est installé sous la forme « grand merci » à partir du XVIe, époque où « grand » était encore à la fois masculin et féminin (d’où la grand-mère, la mère-grand, la grand-route, etc.). La grand merci a suivi l’évolution de son adjectif grand pour devenir, avant de se séparer de lui, un grand merci masculin.

En devenant la formule banale, le merci « tout court » semble d’ailleurs s’être raccourci comme à regret : Merci qui ?… Hein ? Merci mon chien ?… Il a l’air de traîner dans la conscience des mères comme un remords étymologique… Merci madame ! — Voilà qui est mieux ! Merci de madame ; on retombe ainsi par-delà les siècles sur « la vostre merci », le point de départ.

Il est intéressant de noter également que le « non merci » du refus a gardé de ses origines un curieux accent de prière. — Voulez-vous une raclée de coups de bâton ? — Non merci ! Non merci !… Un verre de cet excellent vin du quai de Bercy ? — Merci ! Merci ! Grâce ! Épargnez-moi !…

Naturellement les petits enfants ne connaissent pas toutes ces subtilités, mais je crois qu’ils sentent, par un curieux instinct linguistique de débutants, que le mot les oblige chaque fois à réavaler un millénaire d’humiliations et d’implorations piteuses… Ils savent aussi, dans leur grande faiblesse, qu’ils sont « à la merci » d’une lourde baffe maternelle s’ils n’exécutent pas bien net et bien haut leur action de grâces !

LES TEMPS MODERNES

L’invention des armes à feu a beaucoup amusé leurs premiers utilisateurs. En sonorisant les batailles elles ont donné à la guerre sa véritable voix, et doublé sans doute le plaisir des entr’égorgements.

Battre en brèche

Je l’ai dit, la prise des places fortes, comme leur défense, a été un des points cardinaux de l’art militaire. En effet pourquoi faire la guerre si c’est pour conquérir un champ de navets ? Les villes, les châteaux, en dehors de leur intérêt stratégique, ont d’autres séductions : l’or qu’ils contiennent, que l’on pille directement ou que l’on oblige les propriétaires à vous remettre sous forme de rançon — sans compter la joie frivole de pouvoir éventrer et égorger à chaud une population d’autant plus drôle qu’elle est déjà morte de peur !…

De tout temps la meilleure méthode pour franchir des remparts a été de pratiquer dans la muraille un trou suffisamment grand pour y engager les troupes, ce qui s’appelle faire une brèche, du haut allemand brecha, fracture : « … En terme de guerre, se dit de cette ouverture qu’on fait aux murailles d’une ville assiégée, par la mine, sappe, ou coup de canon, pour ensuite monter à l’assaut. On dit qu’une batterie voit en brèche, quand elle la découvre de telle sorte qu’on puisse tirer dessus pour la défendre, ou l’attaquer ; que le canon bat en brèche. » (Furetière.)

Battre en brèche est donc un des tout premiers usages de l’artillerie ; cela constituait à l’époque un progrès décisif par rapport aux vieilles catapultes qui lançaient des pierres.