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Tirer à boulets rouges

Une variante intéressante aux époques de tâtonnement consistait à provoquer un bel incendie dans le camp adverse selon la technique du « boulet rouge » : « Un boulet qu’on fait rougir dans une forge, dont on charge le canon pour mettre le feu aux lieux où il tombe, quand il y trouve des matières combustibles. » (Furetière.)

C’est donc l’ancêtre rudimentaire de l’obus explosif, et « tirer à boulets rouges » la première forme des bombardements dont on connaît les merveilleux développements ultérieurs et la prodigieuse réussite. Il semble du reste qu’un grand pas fut franchi en 1678, si l’on en croit cette lettre du 21 janvier que cite Littré : « Le sieur Brossier, qui vous rendra ce billet, prétend avoir inventé deux sortes de boulets creux propres à brûler les vaisseaux, et m’a demandé d’en faire l’épreuve à Toulon en présence des officiers de marine » — signé Seignelay, c’est-à-dire le fils du grand Colbert, secrétaire d’État à la Marine. Il est injuste que cet obscur inventeur n’ait sa statue nulle part.

De but en blanc

Des premières arquebuses aux actuelles fusées à tête chercheuse la balistique a fait des progrès miraculeux, mais les principes fondamentaux demeurent les mêmes depuis le tir à l’arc le plus lointain : on peut tirer soit en pointant l’arme directement vers l’objet visé s’il est à courte distance, soit en compensant l’éloignement au moyen d’une hausse fixée sur le canon, qui fait décrire à la balle une courbe en hauteur avant d’atteindre l’objectif — ou de le rater d’ailleurs ! Cette seconde manière exige un calcul et un réglage de la bouche à feu, la première aucun : c’est le tir tendu, direct, que l’on appelait autrefois de but en blanc, ou encore — c’est le même mot : de butte en blanc.

Avant d’être « ce que l’on vise », le but, ou butte, était l’endroit d’où l’on tire, généralement un monticule surélevé. Le blanc était la cible (le mot cible, venant de Suisse, ne s’est répandu qu’à l’époque napoléonienne). « De but en blanc — explique Furetière — est aussi une façon de parler adverbiale, qui dans le propre se dit en parlant d’armes à feu et de gens qui tirent. Cela signifie, depuis le lieu où l’on est posté pour tirer jusqu’à celui où l’on doit tirer, & où est attaché le blanc auquel on vise. “Le canon des arquebuses buttières peut porter de but en blanc mille pas ou environ” (Gaïa). On le dit aussi au figuré, pour dire, tout droit, sans biaiser, d’une manière ouverte. “En venir de but en blanc à l’union conjugale, il n’est rien de si marchand que ce procédé” (Molière). »

On a dit également à une époque « de pointe en blanc » : « De sorte que du dit bastion on tirait de pointe en blanc dans le passage. » (M. du Bellay, in Littré.)

Le mot butte avait déjà changé de camp, si l’on peut dire, au XVIe siècle, pour passer dans celui où nous le connaissons : l’objet visé. Bien qu’un peu compliqués, les exercices de tir du jeune Gargantua font allusion à la chose : « … visoyt de harquebouse à l’œil, affeustoyt le canon, tyroit à la butte, au papagay [perroquet], du bas en mont, d’amont en val, davant, de costé, et en arrière comme les Parthes. »

Il est résulté de ce changement l’expression être en butte aux attaques, propres et figurées, c’est-à-dire exposé comme une cible peut l’être dans un champ de tir !

À brûle-pourpoint

Naturellement ces histoires d’arquebusades nous ont valu aussi le très brusque « à brûle-pourpoint » ; comprenez « à bout portant », en posant le bout du canon carrément sur le pourpoint — ce qui ne manque pas d’abîmer l’habit en question si l’on appuie sur la gâchette !… « La jalousie pouvait l’avoir excité à lui dire à brûle-pourpoint des vérités fâcheuses à entendre », dit Saint-Simon, et Littré ajoute : « Ce qu’on dit à brûle-pourpoint n’est pas toujours quelque chose de désobligeant ; il y a des éloges, des flatteries à brûle-pourpoint. » Dans ce cas c’est moins brûlant !

Faire mouche

Les cibles s’étant perfectionnées en même temps que les armes augmentaient leur précision, on ajouta au centre du blanc un petit cercle noir semblable aux « mouches galantes » que les dames se collaient sur le visage comme des grains de beauté destinés à faire ressortir davantage la blancheur de leur peau.

Faire mouche c’est placer la balle dans ce rond ; ce n’est pas à la portée du premier venu. « Elle le comprenait sans qu’il s’exprimât, comme un tireur devine que sa balle a fait un trou juste à la place de la mouche noire du carton », dit Maupassant.

Faire long feu

Encore faut-il que la poudre soit sèche ! Ce qui n’était pas toujours le cas du temps où les armes se chargeaient par la gueule, avant l’invention des cartouches à percussion, convenablement étanches. Il y avait souvent un brouillard qui traînait, un crachin qui mouillait le salpêtre. Au lieu de produire une combustion vive et la belle explosion qui éjecte la balle à sa vitesse de croisière, la charge brûlait mollement, et envoyait le projectile sans force à quelques pas, comme un pet foireux. Le coup, techniquement, faisait long feu — et manquait son but !

Cette origine crée une ambiguïté dans l’emploi actuel de la locution. Si l’on dit qu’un projet a fait long feu, cela signifie qu’il a traîné en longueur pour, en définitive, ne jamais se réaliser, comme le coup de feu qui foire. Dans ce cas l’image est exacte. Mais on dit aussi qu’un tel « n’a pas fait long feu dans son nouvel emploi » — pourtant cela ne suggère pas qu’il ait particulièrement réussi son coup, puisqu’il a été mis à la porte, ou qu’il s’est sauvé, en un temps record… À moins qu’on ne veuille dire qu’il a « sauté » comme la poudre, et filé comme un boulet !

Un rhume carabiné

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, un rhume carabiné n’est pas un rhume de tireur d’élite. Les carabins — différents des « carabins de Saint-Côme », l’ancienne École de chirurgie — étaient au XVIe siècle des soldats de cavalerie légère qui avaient troqué la lance traditionnelle contre une sorte de mousqueton court, adapté à l’équitation : la carabine. Ces cavaliers redoutables adoptaient une tactique efficace et meurtrière : ils arrivaient en trombe sur les rangs ennemis, déchargeaient leur arme et faisaient demi-tour avant d’attendre la riposte. Ces attaques soudaines, à bout portant, faisaient des ravages chez les malheureux fantassins et autres hallebardiers qui, si j’ose ce calembour, en prenaient pour leur rhume !… Agrippa d’Aubigné décrit ainsi une de ces charges : « La cavalerie du prince avait quitté les lances, et avaient presque tous des carabines, desquelles, avant de tirer le pistolet, ils avaient abattu la plupart des piquiers de la longueur de leur bois. »

Cette escalade dans la violence armée — un bien timide premier pas ! — frappait les imaginations, un peu comme de nos jours le passage d’une vague de bombardiers lourds. Même combat, si l’on peut dire ! Ces « carabinades » furent donc vite célèbres et passèrent dans le langage :