dit Scarron, sur un ton flatteur. Il en résulta le verbe « carabiner », se battre en carabins : « Se dit figurément — explique Furetière — en parlant de ceux qui entrent en quelque compagnie, & qui s’en retirent aussitôt : ce qui se dit sur tout des joüeurs de dez de bassette, de lansquenet, qui viennent jouer deux ou trois coups, & qui s’en vont aussitôt sans vouloir tenir jeu aux autres. »
Cette idée d’alternance fut appliquée à d’autres manifestations soudaines, et d’abord à un vent qui souffle en fortes rafales : un vent carabiné. Cette violence brusque passa ensuite, par analogie, aux accès de la fièvre, et de là à toutes sortes de saletés — dont le rhume, qui précisément vous saisit lui aussi sans crier gare, en toute saison !
Coincer la bulle
L’étrangeté de cette expression contemporaine qui s’est répandue comme une traînée de poudre durant les années 50, surtout parmi la jeunesse et la population lycéenne, a fait son succès. Sa forme énigmatique l’a fait interpréter intuitivement comme étant la bulle d’un pet coincé entre les fesses par la position assise, ou bien comme la bulle produite par un chouine-gomme et coincée au bord des lèvres — toutes interprétations aussi fantaisistes que la tournure elle-même. En réalité coincer la bulle, ne rien faire, a une origine militaire : c’est le « peigner la girafe » de l’armée française. Il s’agit de la bulle d’un niveau d’eau incorporé à certains instruments de balistique, tels qu’un mortier, que l’on immobilise pour fixer l’horizontalité de la plaque. Cette opération étant faite, il n’y a plus qu’à attendre.
Lors d’une émission de radio en direct, le 28 avril 1982, un auditeur de Paris, M. Paillon, âgé de soixante-huit ans, m’a affirmé que l’expression coincer la bulle, ne rien faire, se reposer, commençait à être employée en 1940 parmi ses camarades de captivité. Les anciens de la célèbre ligne Maginot, qui se sont croisé les bras, toutes pièces fourbies, en attendant l’ennemi, seraient-ils responsables de cette trouvaille pendant leur oisiveté forcée ?… Une autre indication d’origine est cependant à considérer ; l’expression était également employée par les élèves de l’école de géodésie Baille, appliquée à des instruments similaires à ceux de l’armée. L’ont-ils réellement inventée ? auquel cas elle serait passée de chez eux au domaine militaire par la voie naturelle des recrues sous-officiers ayant été formés à l’école Baille ?… Ou bien ces jeunes gens ont-ils eux-mêmes récupéré une tournure particulièrement adaptée à leur genre d’activité ? — Il m’est difficile, dans l’état actuel de mes informations, de trancher d’une manière décisive. Voici les indications fournies par E. Coindreau, dans son dictionnaire de L’Argot-Baille, paru en 1957 :
« Cet intéressant néologisme de l’argot-Baille moderne est principalement employé dans l’expression coincer la bulle, pour dire ne rien faire. Cette bulle, c’est la bulle d’air du niveau des instruments astronomiques ou géodésiques (théodolite, astrolabe). Quand l’appareil est bien réglé et les vis de calage serrées à fond pour “coincer la bulle”, il n’y a plus rien d’autre à faire qu’à “observer” ! Ainsi s’explique cette locution, en apparence étrange. Bulle, par extension, est devenue synonyme de “farniente”. On peut l’entendre à Lanvéoc dans des phrases telles que : “je vais la coincer” “je vais faire un partiel bulle”. — Ce terme tient une place de choix dans le langage des Bordache d’aujourd’hui. » (E. Coindreau, L’Argot-Baille, 1957.)
Quoi qu’il en soit, l’expression a poussé comme une fleur dans le champ sémantique de la paresse contemporaine ; elle y prend les teintes du désœuvrement le plus doux, des douillets prélassements, voire des siestes profondes. « Alors une main fine sur les épaules du vieil homme. La femme secoue, du bout des doigts, un peu dégoûtée par la soie crasseuse du gilet. Rien à faire : le veilleur pionce d’importance. Il coince une super-bulle. Le légendaire clapet vaudois. » (B. Blier, Les Valseuses, 1972.)
Battre la chamade
Certes, je l’ai dit, la drague n’est plus ce qu’elle était. On entend pourtant au récit d’approches émouvantes, d’espoirs entrevus, d’attentes, baisers volés, des choses comme : « Mon cœur battait la chamade. » Ça se dit encore… Plus beaucoup. Ça se murmure. Françoise Sagan en a fait le titre d’un roman. Il est vrai qu’on l’emploie aussi à propos d’un simple escalier !
La chamade est un roulement de tambour militaire, et aussi une sonnerie de trompette. « C’est un ancien son du tambour ou de la trompette, que donne un ennemi pour signal qu’il a quelque proposition à faire au commandant, soit pour capituler, soit pour avoir permission de retirer des morts, faire une trêve. » (Furetière.) Un cœur qui bat la chamade est un cœur près de succomber au charme de l’adversaire, qui n’en peut plus… Un cœur qui se rend.
Remarquez que selon la définition optimiste de Furetière c’est toujours l’ennemi qui veut capituler !
Battre la breloque
C’est le cœur aussi qui souvent bat la breloque, médicalement parlant cette fois, ce qui n’est pas du meilleur augure pour son propriétaire.
Le mot est un peu incertain. À l’origine il paraît désigner des « curiosités de peu de prix, petits bijoux qu’on attache aux chaînes de montre » (Littré). Dans ce sens, qui est celui du XVIIe, le Bloch & Wartburg lui donne l’enchaînement suivant, oberlique, brelique, breluque, puis breloque par « croisement avec loque, qui désigne aussi un objet qui flotte au vent. »
De ces mouvements désordonnés viendrait une batterie de tambour sur laquelle les lexicographes ne semblent pas tout à fait d’accord. Littré en fait un mot différent des breloques de montre et l’appelle berloque : « Batterie de tambour pour les repas, les distributions. » Robert conserve breloque et l’explique ainsi : « Sonnerie militaire pour faire rompre les rangs. » Selon M. Rat : « Battre la breloque, c’est, proprement, battre sur le tambour des coups rompus et saccadés, et, au figuré, parler sans suite, d’une façon incohérente et saccadée. » Il ajoute, dans un effort de conciliation louable : « On disait autrefois, plus communément, berloque, comme dans la langue militaire et dans celle des pompiers, qui donnaient, pendant la Première Guerre mondiale, à Paris, le signal de fin d’alerte en sonnant la berloque. »
Passer l’arme à gauche
Parlant des « briffetons », des jeunes recrues poussées au désespoir par la bêtise et l’humiliation de la vie de caserne, Le Père Peinard remarque en 1889 : « Pendant les manœuvres [ils] glisseront dans leur flingot une cartouche pleine et ajusteront un des galonnés ; ou bien dégoûtés tout à fait de la cochonne d’existence qu’ils mènent, ils passeront leur arme à gauche. » Ils se suicideront.