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Cela dit, je demeure persuadé que l’allure provocante d’un chercheur de noise, souvent un peu pompette, qui n’a plus le chapeau ou la casquette exactement où il faudrait — qui la retourne même, d’un brusque mouvement de colère ! — a beaucoup fait pour aider cette assimilation et propager le mot dans le langage courant. C’est le signe qu’il vaut mieux garder ses distances, de même que la mèche tombante, barrant le front du loulou agressif à l’affût d’un œil à beurrer… Dès qu’il y a bataille, tout va de travers !

Un vieux de la vieille

L’ancienneté dans les armées a toujours été une preuve de belle résistance, un gage d’expérience à tous crins, et donc un titre de gloire. « C’était un vieux routier, il savait plus d’un tour », dit La Fontaine. Dans les armées royales de l’Ancien Régime on appelait « vieux corps » les six régiments les plus anciens et les plus prestigieux : Picardie, Piémont, Champagne, Navarre, Normandie et Maine. Ils avaient des prérogatives, notamment celle de marcher en tête… On connaît le prestige inégalé de la Vieille Garde de Napoléon, celle qui « meurt mais ne se rend pas » ! C’est à elle que l’on faisait allusion plus tard, dans le courant du XIXe siècle, en parlant de ses survivants : les vieux de la Vieille — sous-entendu « Garde. »

L’expression apparaît dans Balzac : « Mme Cibot parla pendant une demi-heure sans que l’agent d’affaires se permît la moindre interruption ; il avait l’air curieux d’un jeune soldat écoutant un vieux de la vieille. » (Le Cousin Pons, 1847.) Le souvenir glorieux n’était nullement effacé à la fin du siècle, où l’on savait encore à qui l’on avait à faire : « On le saluait à cause de la rosette à sa boutonnière, moitié rouge et moitié verte, Légion d’honneur et médaille de Sainte-Hélène ; et comme sa main serrait la mienne ! Comme sa voix tonnait au défilé des Vieux de la Vieille dans leurs uniformes d’Austerlitz ! — Vive la France ! Vive l’Empereur ! » (G. Darien, L’Épaulette, 1900.)

Heureusement il a existé depuis d’autres faits d’armes mémorables pour permettre à l’expression de se perpétuer. Les anciens combattants de 1914–1918 peuvent raisonnablement passer aujourd’hui pour d’authentiques « vieux de la vieille » !

Être de la revue

L’habitude de passer les troupes en revue n’est pas nouvelle. Louis XIV raffolait, paraît-il, de ces inspections, et Saint-Simon fait allusion à « ce goût des revues, qu’il poussa si loin que les ennemis l’appelaient le roi des revues » !

Or si la chose présente un charme indéniable pour le général qui trouve dans ce spectacle imposé une manifestation flatteuse de son pouvoir, elle est beaucoup moins bien accueillie par le troupier qui, pendant des jours, doit fourbir son fourniment, qui voit les permissions supprimées en vue de cette glorieuse occurrence, et qui peste et sacre et envoie les pompes militaires à tous les diables.

La déception de celui qui se trouve coincé par cette corvée dont il se passerait volontiers, surtout si ses camarades y échappent, pourrait expliquer l’origine de cette expression, laquelle n’apparaît qu’à la fin du siècle dernier. Esnault relève « Être de la revue, éprouver une déception, être “attrapé” », en 1894, dans la langue populaire. Cependant on peut penser que cette motivation militaire apparente n’a fait que favoriser un jeu de mots sur le verbe « revoir », ou « être de revue », c’est-à-dire destiné à se revoir, à se retrouver. Si une belle occasion nous est passée sous le nez, eh bien il faudra revenir, il faudra repasser !

La monnaie, le commerce

Petit gain est bel quand il vient souvent.

Vieux proverbe (mis à profit par les grandes surfaces).

De bon aloi

Je sais juments et vaches traire, Faire soufflets, faire lanternes, Harpes, vielles et guitemes, Forger monnaie de bon aloi

proclame sans honte Le Varlet à louer à tout faire dans sa demande d’emploi du XVe siècle.

Aloi est un vieux mot qui signifie alliage, d’un ancien verbe aloier. Ce fut très tôt un terme technique désignant le « titre égal de l’or et de l’argent » dans la fabrication des pièces de monnaie, c’est-à-dire la proportion de métal précieux définie légalement — entre 898 et 902 millièmes pour les pièces françaises. « Tous les mestres et li vallet doivent œuvrer de bonne œuvre et de loial et de bon aloy selon ce qui a été accoutumé en la ville de Paris », précise le Livre des métiers du XIIIe siècle.

De nos jours où il est bon de veiller aux étiquetages, aux minutieux dosages d’ingrédients suspects, Le Bon Aloi pourrait être le titre d’une revue du consommateur.

Les espèces sonnantes et trébuchantes

La première façon de vérifier l’aloi d’une pièce d’or était de la faire sonner sur un coin de table. Il fallait une oreille exercée et musicale, dont le papier-monnaie nous a privés depuis longtemps. Deuxième façon : si cette espèce sonnante (dans ce cas « chose » sonnante) était neuve, elle devait de surcroît être trébuchante, c’est-à-dire faire le poids requis sur le trébuchet : « Petite balance fort juste & fort délicate, que le moindre poids fait trébucher. Les trébuchets sont faits pour peser l’or, l’argent, les perles & les pierreries. Les Affineurs ont des trébuchets si justes, que la 4096e partie d’un grain[101] les fait trébucher. » (Furetière.)

En fait, il était même nécessaire qu’elle fasse un peu plus que le poids réglementaire : « En frappant les monnaies — dit M. Rat — on leur donnait en effet un léger excès de poids qu’on appelait le trébuchant, afin que l’usure ne fasse que les ramener à leur poids exact. Une espèce trébuchante est donc celle qui a encore le trébuchant et qui est donc neuve ou presque neuve. »

Donc, aucun rapport avec la chute du franc.

Marqué au coin du bon sens.

Une réflexion marquée au coin du bon sens n’est pas une gaudriole, une baliverne qui se situe à la limite, à l’extrême bord du raisonnable, mais au contraire une remarque pleine de sagesse. C’est que le « coin » dont il s’agit n’est pas une « encoignure », mais un « morceau de fer trempé et gravé, qui sert à marquer les monnaies et les médailles » (Littré), autrement dit l’instrument qui sert à frapper les pièces.

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101

Le plus petit des anciens poids, représentant 1/24 de scrupule, soit 53 milligrammes.