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Donc les jetons en cuivre ou en argent, utilisés pour ces opérations n’avaient aucune valeur propre. Ils « ne prennent de valeur que par la place qu’ils occupent sur la table. » Montaigne dit d’un homme dont le crédit s’accroît : « Nous jugeons de lui, non selon sa valeur, mais à la mode des jetons, selon la prérogative de son rang. »

Ces jetons avaient « la dimension et l’aspect d’une pièce de monnaie… Le roi, les cours, les divers offices avaient des jetons particuliers portant l’effigie du souverain ou des allégories et ornés de devises latines ou françaises. Les particuliers en trouvaient dans le commerce » (Gougenheim). Naturellement l’aspect réaliste de ces « fausses pièces » incitait les aigrefins à les faire passer auprès des gens simples pour monnaie courante, d’où l’expression faux comme un jeton ! Panurge use déjà du subterfuge lorsqu’il propose à une grande dame de Paris de « frotter son lart » avec elle : « Après disner, Panurge l’alla veoir, portant en sa manche une grande bourse pleine de gettons. » Il offre d’acheter ses faveurs en lui promettant, si elle consent, un riche présent de pierreries : « Et ce disoit, faisant sonner ses gettons comme si ce feussent escus au soleil. » (Pantagruel, XIV, 141.)

Il faut ajouter que le raccourci de la locution, un faux jeton, n’a guère de sens, puisqu’ils l’étaient tous par définition.

Valoir son pesant d’or

Je publiray partout, d’une voix haute et claire, Que Dame Boullangere Vallut, vault et vauldra toujours son pesant d’or Et davantage encore.

Ceci est une déclaration de Paul Scarron, dans une de ses épîtres de 1642. Certains esprits, au moins aussi compliqués que le mien, ont prétendu que le pesant d’or était une faute, la « corruption populaire » de « besant d’or », une ancienne monnaie originaire de Byzance dont elle tire son nom.

Por de besanz plaine mine comblée, Ne vos voudroie avoir depucelée

avoue un personnage du Guillaume d’Orange. (La mine, par parenthèse, était une mesure d’un demi-hectolitre environ, servant à mesurer la farine — les « minotiers » en sortent. Par double parenthèse, « Une mine d’or » est un vieux jeu de mots oublié.)

Or, d’une part le besant, même en or, n’a jamais eu une valeur considérable : moins de 10 livres à son cours le plus haut, c’est-à-dire moins de ce qui sera plus tard un louis ou une pistole. Valoir son besant d’or n’aurait pas pu représenter une dignité bien exceptionnelle, et ce ne peut être flatteur pour personne que d’être évalué à une somme aussi modique !… Par contre l’habitude de comparer un être cher à la valeur de son poids en or est vieille comme le monde. Vers 1228 le jeune chevalier du Guillaume de Dole répond à son ami l’empereur qui lui demande sa sœur en mariage :

[…] por tant d’or com ele poise, ne porroit il, ce sachiez, estre.

Je préfère donc m’en tenir à cette notation de Furetière : « On dit proverbialement d’un homme qu’on veut loüer, qu’il vaut son pesant d’or ; & de celui qu’on veut railler, qu’il vaut son pesant de plomb. »

C’est le même genre d’erreur d’évaluation, mais inverse, qui a fait attribuer l’origine de l’expression valoir que dalle à une pièce flamande, le daaler, devenu effectivement en argot « dalle. » Mais une dalle désignait en 1835 un écu de 5 francs !… Ce n’était pas « rien » que 5 francs à l’époque — au moins l’équivalent de 100 francs actuels, et pour un argotier déjà une coquette somme ! En réalité que dalle vient du romani dail ou dal, qui signifie « rien du tout. »

N’avoir pas un sou vaillant

Un sou vaillant n’est pas un sou plus travailleur qu’un autre. Le vaillant, ancien participe de valoir, désignait autrefois « le fonds de bien d’une personne, son capital. » Mais possède-t-on jamais rien des biens terrestres ? — Non, dit la très socratique Raison dans le Roman de la Rose, toutes nos richesses sont intérieures :

Es autres bien, qui sont forain [103] n’as tu vaillant un viez lorain [104] ne [105] toi, ne [106] nul home qui vive n’y avez vaillant une cive[107], car sachiez que toutes vos choses sont en vos meïsmes encloses.

Sans doute. N’empêche que celui qui n’a pas un sou vaillant a besoin d’être rudement travailleur !…

Avoir du bien au soleil

Les gens riches par contre ont du bien au soleil. Ils ont des terres, des tours, des maisons, des forêts, des ranches en Amérique, plein de choses que le soleil éclaire, quand il fait beau. L’expression se comprend d’elle-même, d’autant qu’il fait souvent beau pour les gens riches.

Pourtant lorsqu’on dit — on l’entend quelquefois — que quelqu’un a de l’argent au soleil, cela devient un petit peu moins logique, à moins de penser que les banques sont des endroits particulièrement bien exposés ! Il paraît y avoir comme une aberration du langage…

En fait, il s’agit là d’une survivance un peu troublée d’une époque où l’on disait, pour désigner de grosses économies : « Ils ont des écus au soleil. » En effet, du règne de Louis XI à celui de Louis XIII, Vécu au soleil était une pièce d’or qui valait 10 livres (au lieu de 3 pour l’écu d’argent ordinaire). « Ils portaient un soleil à huit rayons au-dessus de la couronne royale, d’où leur nom d’“écu au soleil”. C’est à ces pièces que Mascarille fait allusion dans les vers où il proclame que certaines vertus s’évanouissent : “Aux rayons du soleil qu’une bourse fait voir[108].” » Ce sont les mêmes dont parle Rabelais ci-dessus : « … faisant sonner ses gettons comme si ce feussent escus au soleil » (voir p. 277).

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103

Étrangers.

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104

Courroie.

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107

Un oignon.

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108

G. Gougenheim, op. cit.