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Ces pièces étant peu à peu sorties du souvenir on continua à citer des écus « au soleil » en signe de richesse, et le changement de motivation a probablement aidé à fixer la notion de « biens au soleil » dans le sens le plus général.

Mettre à gauche

Le tout, pour avoir de l’argent en réserve, est d’en mettre à gauche. On se demande au premier abord ce qu’il peut y avoir « à gauche » qui préserve les économies !… C’est que le côté gauche est non seulement celui du cœur, mais aussi le « côté de l’épée » — celui où l’on portait cette arme quand elle était au fourreau (la raison étant que c’est le seul côté où l’on puisse dégainer facilement de la main droite).

On disait donc, du XVIIe au XIXe siècle, mettre ou passer du côté de l’épée pour « mettre à couvert quelque somme, de quelque façon qu’on l’ait gagnée, bien ou mal. Il abandonne ses biens à ses créanciers, mais il a mis quelque chose du côté de l’épée. » (Littré.) La Fontaine, toujours imagé, emploie la locution dans une de ses lettres :

Mais prompt, habile et diligent A saisir un certain argent, Somme aux inspecteurs échappée, Il a du côté de l’épée Mis, ce dit-on, quelques deniers.

La question demeure : pourquoi le côté de l’épée est-il une cachette plus sûre ?… Sans doute y a-t-il en fond l’aspect agressif de l’image évoquée, celle d’une certaine rapine, qui paraît être le sens premier. Également l’évocation d’un bien défendu les armes à la main…

Je crois cependant qu’on peut raisonnablement rapprocher l’expression de l’ancien usage du gousset, lequel, dès le début du XVIIe siècle, était une « petite bourse que l’on portait d’abord sous l’aisselle et que l’on attacha ensuite en dedans de la ceinture de la culotte. » (Littré.) « [Il] mit de l’argent sous son gousset je veux dire sous son aisselle », précise Scarron. Autrement dit en un endroit plutôt intime, à l’abri de toute curiosité, qui, pour les mêmes raisons de commodité chez les droitiers, était situé à gauche : précisément du même côté que l’épée !

Je donne pour le plaisir l’amusante évolution du mot gousset : d’abord une pièce de métal en forme de croissant ou de gousse, qui dans les armures protégeait le dessous des bras ; de là, pendant très longtemps, le « creux de l’aisselle », ainsi que l’odeur y afférente : « Mme la princesse était un peu bossue, et avec cela un gousset fin qui se faisait suivre à la piste », raconte Saint-Simon. Enfin, puisque l’argent n’a pas d’odeur, il a désigné la « petite bourse. »

LE COMMERCE

Faire du marché noir — travailler au noir

Si vos robinets fuient ou votre lampadaire se déglingue vous hésitez à déplacer un réparateur officiel dont l’auscultation vaut déjà une fortune, et qui, s’il change le joint du robinet ou le cordon de la lampe, vous entraîne généralement dans des frais sérieux. Les gens finissent souvent par utiliser les services d’artisans parallèles et hors la loi, qui « passent » chez vous et remettent de l’ordre dans vos fuites le samedi ou le dimanche matin.

Ces ouvriers qui travaillent au noir, enfreignant toutes les conventions collectives, semblent calquer l’appellation de leurs services sur le célèbre marché noir, celui qui fleurit dans l’ombre clandestine des années 40, et dont les échanges avaient parfois lieu dans des caves effectivement obscures. L’aspect illicite et plein de dangers de ces activités évoque en fond ténébreux la « magie noire » et les messes du même tonneau.

Or, si ces motivations souterraines ont sûrement participe au succès de ces expressions parentes, elles n’ont pas été suffisantes pour les créer. Contrairement à l’idée que j’avais émise — croyant que le terme avait été inventé sous l’Occupation — le marché noir, aussi bien que le travail au noir existaient en France avant la guerre de 1939 ; il semble même, selon mes informateurs, que l’un ne dérive pas de l’autre, mais qu’ils aient tous deux été empruntés à l’allemand dans les années qui suivirent la guerre précédente, années pendant lesquelles c’était le Français qui était « l’occupant. »

Le professeur J. Fourquet, en retraite à Fresnes, m’a communiqué avec son témoignage les précisions suivantes : « En allemand, dit-il, le terme de composition scbwarz (noir) entre dans des composés tels que : Schwarzarbeit, travail au noir.

Schwarzbrenner, bouilleur de cru clandestin

Schwarzfahren, voyager sans billet (brûler le dur)

Schwargeschäft, trafic clandestin

Schwarzmarkpreis, prix de marché noir

Schwarzschlachten, abattage clandestin

Schwarzhoren, écouter la radio sans payer la taxe.

Ce sens de schwarz — continue M. Fourquet — a connu une diffusion particulière à l’époque des restrictions dues à la guerre de 1914–1918 ; je l’ai appris jeune soldat en occupation en 1918–1919, où l’on m’utilisait comme interprète (parce qu’étudiant d’allemand). Le Schwarzschlachten, abattage clandestin, ou « au noir », de 1914–1918 avait amené la sérieuse administration prussienne à réagir : il y avait pour chaque cochon un bulletin de naissance, un passeport pour les déplacements, et un acte de décès ! J’en avais obtenu quelques exemplaires d’un maire, comme « souvenirs. » Il est donc très vraisemblable que le marché noir nous est venu de l’Allemagne de 1914–1918.

Ces suggestions sont corroborées par un autre correspondant, M. Léon Martineau, de La Roche-sur-Yon : « L’expression marché noir était certainement connue dans des pays qui subissaient dès avant la guerre des restrictions alimentaires et de matières premières (l’Allemagne, par exemple), car il me souvient d’avoir entendu dès les débuts de l’occupation des Allemands employer l’expression Schwartzmarkt. Or, le “marché noir” français ne devait apparaître que plusieurs mois après. » Sur le travail au noir M. Martineau me fournit également des renseignements très clairs : « Issu d’une famille d’artisans, j’ai soixante-cinq ans ; il me souvient d’avoir entendu déjà dans les années 30, les parents pester contre le “travail noir” ou le “travail au noir” L’expression était d’ailleurs, dès cette époque, employée dans des documents officiels et dans les revues des chambres de commerce et de métiers. » (Lettre du 5 février 1981.)

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