De là l’expression qui est restée : « On dit en ce sens qu’il faut avoir la croix & la bannière, la croix & l’eau bénite, pour avoir quelcun ; pour dire qu’on a de la peine à en joüir », explique Furetière, sans arrière-pensée d’ailleurs. C’est que les anciens étaient tatillons sur le protocole ! « Lorsque le cardinal de Richelieu traita du mariage d’Henriette de France et de Charles Ier avec les ambassadeurs d’Angleterre, l’affaire fut sur le point d’être rompue, pour deux ou trois pas de plus que les ambassadeurs exigeaient auprès d’une porte, et le cardinal se mit au lit pour trancher toute difficulté », raconte aussi Voltaire. Il ajoute : « À mesure que les pays sont barbares, ou que les cours sont faibles, le cérémonial est plus en vogue. »
Des personnes compliquées le sens s’est étendu aux choses qu’il est extrêmement difficile d’obtenir, gardant jusqu’à nos jours l’idée de démarches harassantes et réclamations sans fin. « Tonton Nicolas, bonne pâte, cherchait ailleurs, mais lui, M. Hermès, il ne se faisait plus la moindre illusion. Non, il n’était pas possible de trouver une place à Paris, sans relations. La croix et la bannière. Il en savait quelque chose. » (R. Guérin, L’Apprenti, 1946.)
Être réduit à la portion congrue
Après quelques décennies de relative abondance, du moins dans ce coin de planète que nous disons occidental, la vieille notion de portion congrue semble çà et là vouloir refaire surface. Elle n’a jamais cessé de présider à la répartition des richesses à l’échelle du globe.
« Dans le langage ecclésiastique — explique Littré — portion congrue, pension annuelle que le gros décimateur payait au curé pour sa subsistance. » Qui diable était donc ce « gros décimateur » ? Eh bien le patron du curé d’autrefois, l’ecclésiastique à qui revenait le bénéfice de la cure. On sait que sous l’Ancien Régime le titulaire d’une paroisse ne s’occupait pas nécessairement de ses ouailles. S’il était quelque peu dignitaire, ou bien en vue dans le monde, il employait un prêtre subalterne et impécunieux sur lequel il se déchargeait des affaires courantes de la foi, offices et menus sacrements, pendant que lui-même vaquait à des besognes moins pieuses en des lieux infiniment plus réjouissants. Toutefois cet absent récoltait scrupuleusement la dîme (dixième des récoltes des paysans), dont il reversait une part sous forme de pension alimentaire à son modeste travailleur du goupillon. « Les portions congrues se taxent aux Curez au Grand Conseil à 200 livres, & au Parlement à 300 livres, suivant deux diverses déclarations qui y ont été vérifiées. Au-delà de a Loire on n’adjuge que 200 livres, en deçà jusqu’à 300 livres. » Si on en croit Furetière il semble bien que les salaires aient toujours été un peu plus bas « au-delà de la Loire », sans doute à cause du soleil…
En tout cas cette portion congrue, calculée au plus « juste », faisait des desservants de nombreuses paroisses de malheureux smicards en soutanes râpées. Cela explique peut-être qu’à la Révolution tant de petits prêtres se soient désolidarisés de leurs prélats, et aient embrassé la cause des sans-culottes et des partageux ! Au fait, « congru », du latin congruus, veut dire « convenable »… Comme qui dirait suffisant !
L’expression figurée à partir du XVIIIe au sens de pénurie, de ressources réduites à leur extrême petitesse, demeura assez longtemps attachée à son contexte ecclésiastique d’origine : « (L’ancien curé) avait toujours à ses trousses un tas de pauvres, de fénéants, de rien qui vaille ; pour leurs beaux yeux, il nous mettait à la portion congrue. Il nous aurait mis sur la paille. » (Vidocq, Mémoires, 1828.) Elle s’élargit au cours du XIXe à toutes sortes de revenus mesquins : « Mon père, réduit soudainement à la portion congrue, c’est-à-dire sa solde, se mit aussitôt à traiter Raubvogel en bon parent, c’est-à-dire en caissier. » (G. Darien, L’Épaulette, 1900.)
Jeter son dévolu
Jeter son dévolu est devenu synonyme de « faire un choix définitif », après une plus ou moins longue hésitation. Le dévolu est un terme du droit canon qui désignait un « bénéfice dont la nomination était dévolue au Pape, par suite de l’incapacité, de l’indignité du possesseur. » Jeter son dévolu, c’est « former une prétention sur un bénéfice en le proposant comme vacant » — autrement dit, en termes clairs, c’est réclamer la part du gâteau d’un collègue en dénonçant ledit collègue au Pape et en le faisant destituer pour faute professionnelle… « On peut jeter un dévolut dans les 30 ans pour cause de simonie [trafic de choses saintes, pots-de-vin en échange de sacrements, etc.]. Les dévoluts ne s’obtiennent qu’en Cour de Rome. » (Furetière.)
Il n’est pas étonnant que ce terme très spécial soit passé dans le langage commun : il devait y avoir des amateurs ! On comprend aussi qu’une certaine idée de manœuvre et d’intrigue soit restée attachée à l’expression : quand un monsieur jette son dévolu sur une dame, ou une dame sur un monsieur, cela suppose la mise en œuvre de tout un manège, et parfois aussi la spoliation d’un bénéficiaire en titre.
« Cette femme, qui était la plus passionnée des brunes, mais dont les grands yeux noirs ne compensaient pas la laideur, crut que j’étais amoureux parce que j’étais poli ; elle prit au pied de la lettre quelques compliments que je lui fis, et dès la première entrevue elle se méprit sur mes sentiments au point de jeter son dévolu sur moi. » (Vidocq, Mémoires, 1828.)
Battre sa coulpe
La coulpe, du latin culpa, est précisément la « culpabilité », et en terme religieux « la souillure du péché qui fait perdre la grâce. » Battre sa coulpe c’est se frapper la poitrine à petits coups réguliers, en répétant d’un air contrit : mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa — « c’est ma faute, c’est ma très grande faute. »
C’est ce que l’on appelle un acte de contrition. Mais l’argot, qui ne respecte rien, a donné à ce mouvement de la main le sens d’avoir la « maladie de Parkinson » !
Lorsqu’on reconnaît son erreur il est souvent trop tard. Il arrive aussi, d’une façon plus prosaïque, qu’on s’en morde les doigts !
Faire ses ablutions
Les ablutions sont faites pour se purifier, pas pour se rafraîchir vulgairement les idées en se passant de l’eau sur le bout du nez. Elles font partie du rituel de la messe ; le prêtre fait une ablution (ablutio, de abluere, laver) lorsque, après la communion, il se rince les doigts avec du vin et de l’eau. Il les essuie ensuite avec un petit linge, et du temps où la messe se disait en latin il récitait au même moment le Psaume XXVI, verset 6, qui commence ainsi : Lavabo inter innocentes manus meas — « Je laverai mes mains parmi les innocents. »