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En tout cas le frusquin se trouve déjà canonisé dans la première moitié du XVIIIe siècle, avec cette phrase du comte de Caylus : « Mam’selle Javotte et sa mère furent un bout de temps sur mes crochets, que mon saint-frusquin s’en allait petit à petit. »

Faire la sainte nitouche

Dans la même dévotieuse série, sainte nitouche se comprend d’elle-même : « N’y touche. » À quoi ne touche-t-elle pas ?… Disons, essentiellement aux choses qui sont dans la braguette des messieurs, ce qui en effet s’accorde assez bien avec l’idée que l’on se fait d’une sainte. C’est par ce raccourci qu’au XVe siècle Coquillart présente dans le Monologue du Puys :

… la plus mignonne femme, Par Dieu, qui soit à Paris ; […] Quant elle marche sur espinettes Elle faict ung tas de minettes ; On dit : celle femme n’y touche.

Une de ses premières apparitions en public se trouve dans Rabelais ; au cours de la célèbre hécatombe où frère Jan écrabouillé les envahisseurs de son clos :

Les uns cryoient : Saincte Barbe ! les autres : Sainct Georges ! les autres : Saincte Nytouche ! (Etc.)

Elle n’a guère changé de vocation depuis 1623 où Charles Sorel l’évoque : « [Un vieux régent amoureux] montre à la Bourgeoise tout ce qu’il a de plus secret. Pour faire la Saincte Nitouche, en s’escriant, elle couvre soudain ses yeux avec sa main, dont elle entr’ouvre neant-moins les doigts, finement hypocrite qu’elle est, pour voir sans que l’on s’en apperçoive, s’il est aussi bien fourny de ses membres qu’il s’en est vanté » (Francion).

Mettre à l’index

Mettre quelqu’un à l’index ce n’est pas exactement le montrer du doigt ; c’est l’exclure, le rejeter. L’Index, celui qui a donné naissance à la locution, est un « catalogue des livres suspects dont le Saint-Siège interdit la lecture » (Littré). L’institution de cette liste d’ouvrages à odeur de soufre date d’un décret du concile de Trente de 1563. Il visait aussi bien les livres de sorcellerie que les publications hérétiques, lascives ou obscènes, dont les auteurs comme les lecteurs éventuels étaient également à fuir par quiconque voulait assurer le salut de son âme.

Le monde évolua. Au XIXe siècle les ouvriers organisés en sociétés qui préfiguraient les organisations syndicales reprirent l’expression à leur compte. Ils pratiquaient la mise à l’index des patrons qui n’appliquaient pas les conventions de salaires d’une profession donnée, en refusant de travailler pour eux. Voici la description qu’en fait E. Boutmy, racontant les luttes des adhérents de la Société typographique en 1868 :

« Un petit nombre de maisons à l’index, c’est-à-dire dans lesquelles aucun sociétaire ne pouvait accepter de travail sous peine de déchéance, employèrent les typographes qui n’étaient pas entrés dans l’association ou qui, pour un motif ou pour un autre, en étaient sortis ; d’autres, en petit nombre aussi, occupèrent des femmes[118]. »

Bientôt un mot venu d’Angleterre allait prendre le relais de l’expression d’Église. Dans son numéro du 3 octobre 1897 Le Père Peinard, citant un rapport du congrès de la Sociale à Toulouse, donne l’évolution du mot boycottage, lequel ne doit plus rien au Vatican :

« Le boycottage n’est autre chose que la systématisation de ce que nous appelons en France la mise à l’index […]. Ses origines sont connues. En Irlande, le régisseur des énormes domaines de lord Erne, dans le comté de Mayo, le capitaine Boycott, s’était tellement rendu antipathique par des mesures de rigueur envers les paysans que ceux-ci le mirent à l’index : lors de la moisson de 1879, Boycott ne put trouver un seul ouvrier pour enlever et rentrer ses récoltes ; partout, en outre, on lui refusa les moindres services, tous s’éloignèrent de lui comme d’un pestiféré.

« Le gouvernement, émotionné, intervint, envoya des ouvriers protégés par la troupe, mais il était trop tard : les récoltes avaient pourri sur pied.

« Boycott, vaincu, ruiné, se réfugia en Amérique. »

Les mots sont des actes : le verbe boycotter connut un succès fulgurant. Dès l’année suivante, 1880, il passait en français !

Rire jaune

Le jaune est une couleur contradictoire. Quand il est vif et éclatant il représente la couleur du soleil et de l’or ; il est à ce titre attribué aux dieux, « à la puissance des princes, des rois, des empereurs, pour proclamer l’origine divine de leur pouvoir. » Au contraire quand il est mat, il représente la couleur du soufre, de l’enfer, et devient le symbole de la trahison, de la déception. Il est alors « associé à l’adultère quand se rompent les liens sacrés du mariage à l’image des liens sacrés de l’amour divin, rompus par Lucifer » (Dictionnaire des symboles).

C’est ainsi que dans l’imagerie du Moyen Âge le jaune devint la couleur traditionnelle de Judas, le traître par excellence, celui qui avait vendu le Christ lui-même ! « Jaune, paisle jaune doré, couleur de Judas, de vérollé, d’aurore, de serein », dit quelque part A. d’Aubigné. De cet apôtre mal famé le symbole passa aux Juifs en général, que dans certains pays la loi obligeait à s’habiller en jaune — tradition resurgie à point sous le nazisme avec l’étoile jaune de sinistre mémoire… En Espagne, les victimes des autodafés étaient vêtues de jaune en signe d’hérésie et de trahison ; en France, on badigeonnait en jaune la porte des félons. C’est véritablement une couleur qui n’a pas bonne réputation !

« Il rit jaune comme farine », note Oudin en 1640 : « Il fait mauvaise mine. » Cette façon de rire jaune, ou « du bout des dents comme saint Médard », pour faire bonne contenance, n’a guère évolué depuis. Saint-Simon emploie la tournure appliquée à un personnage peu sympathique : « (Chamillart était) très entêté, très opiniâtre, riant jaune avec une douce compassion à qui opposait des raisons aux siennes. » (Mémoires, v. 1743.) Quant au Père Peinard, il y voit encore moins de franchise dans son numéro du 3 novembre 1889 où il prévoit une belle révolte pour l’hiver : « Ah, mille tonnerres, l’hiver s’annonce bougrement mal pour les richards ; tout ça va leur foutre une frousse du diable ! Ils pourraient bien piquer un de ces chahuts, très hurf, quelque chose dans les grands prix, qui les ferait rire jaune. Et nom de dieu, m’est avis que ça ne serait pas trop tôt. »

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Eugène Boutmy, Dictionnaire de l’argot des typographes, Paris, 1883.