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Les beaux draps c’est la pagaille, les gros embarras, situations réellement délicates, fâcheuses postures dans lesquelles d’ailleurs on a tendance à se loger soi-même. « Nous nous sommes mis dans de beaux draps ! » Habituellement on explique la chose en disant qu’il s’agit d’une antiphrase. On appelle ainsi une tournure ironique du genre « léger comme un sac de plomb », ou « nous voilà propres », etc. S’ils sont effectivement ressentis ainsi de nos jours, ce n’est pas là l’origine des beaux draps.

Pour remonter aux sources de cette expression curieuse il faut d’abord savoir qu’elle s’est raccourcie en chemin. Autrefois on annonçait en plus la couleur, on disait « de beaux draps blancs. » « Ah coquines que vous êtes ; vous nous mettez dans de beaux draps blancs à ce que je vois ! » dit Molière.

La blancheur on le sait a toujours été symbole de pureté, de chasteté, d’innocence, de la candeur de l’âme. Les druides et les prêtres étaient vêtus de blanc ; le deuil même parfois était en blanc, comme il l’est encore en Asie, signe d’espoir et de résurrection… À l’origine de ces draps blancs on trouve une ancienne forme de pénitence, en fait une « amende honorable » pour le péché d’incontinence : le péché de la chair. Afin de se purifier de sa luxure, celui ou celle qui avait à se repentir d’un fatal abandon devait entre autres choses assister à la messe, devant tous les fidèles, enveloppé d’un drap blanc — ou plus vraisemblablement « vêtu » de blanc. Les « draps », en effet, ont longtemps désigné les habits :

Et uns autres de Chaalons qui eut vestu uns biaus dras vers rechante d’autre part cest vers.
(Guillaume de Dole.)

Cela explique le pluriel de la locution, habituel lorsqu’il s’agit des vêtements, et aussi l’insistance sur le « blanc » — les draps de lit que l’on appelait au début « draps linges » ne pouvaient guère être tissés d’une autre couleur.

La notion d’habits se raréfiant vers le XVe siècle, la locution d’un usage oublié demeura figée, avec un glissement de sens vers les draps de lit. Il reste comme un souvenir mal compris de son utilisation première, relative à la pénitence, dans cette phrase de la Satyre Ménippée de 1594 :

« Et y eussiez esté couché en blancs draps, pour une marque ineffaçable de votre déloyauté. »

L’expression a conservé longtemps son sens de « jugement » avant de prendre l’allure ironique que nous lui connaissons — jusqu’à la fin du XVIIe, si on en juge par la définition de Furetière : « On dit, Mettre un homme en beaux draps blancs, c’est-à-dire, en faire bien des médisances, en découvrir tous les défauts. » C’est dans ce contexte d’être en butte aux critiques et aux railleries qu’il faut comprendre cette apostrophe de Scarron à Mazarin vers 1650 :

Te souviens tu bien, Seigneur Jule, Du raisonnement ridicule Que tu fis un jour sur les glans ? Cela te mit en beaux draps blancs.

Par les samedis de printemps les mariées s’en vont en longues traînes. Aux porches des églises il arrive que les badauds désabusés murmurent : « Encore une qui s’est mise dans de beaux draps !… » C’est curieux la vie des mots.

Porter le chapeau

Dans le passé lointain et récent la coiffure a toujours joué un rôle éminent, servant mieux que l’habit à distinguer les individus dans la sacro-sainte hiérarchie sociale. Le chapeau de l’homme riche et du noble s’est longtemps opposé au bonnet du manant, comme à une époque récente la casquette de l’ouvrier au chapeau melon du notable. Le couvre-chef c’est l’emblème ! De nos jours encore le symbole d’un état ou d’une profession se porte souvent sur la tête. Sans parler du bicorne ou de la cornette, la mitre désigne toujours un évêque, la toque blanche un maître queux, le képi à feuilles de chêne n’a d’autres fonctions que de représenter un général, ceux des facteurs, des gendarmes et des contrôleurs ont encore une valeur active de repères et de passeports.

L’écrivain Françoise d’Eaubonne, parlant d’un détenu, écrivait en 1976 dans Libération : « On lui avait fait porter le chapeau dans une histoire de meurtre, bien que ses accusateurs et coïnculpés se fussent rétractés. »

Le mot « chapeau » désignait au Moyen Âge aussi bien la coiffure à rebords qu’une couronne de fleurs. (Voir Conter fleurette, p. 49.)

« Chapeau de sauge veux porter », se lamente un poète du XIVe siècle, en signe de tristesse amoureuse, par déconfort, à cause de l’infidélité de sa mie…

Or l’aimable habitude, dans certains jeux, de faire porter le chapeau (de fleurs) à celui que l’on voulait distinguer semble s’être conjuguée avec celle, moins drôle, de l’Inquisition qui envoyait les gens au bûcher coiffés d’une sorte de chapeau conique d’hérétique qui les destinait à l’enfer. « On dit proverbialement d’une personne à qui il est arrivé quelque sujet de honte, ou de qui on a fait quelque médisance, Voilà un beau chapeau que vous lui mettez sur la tête », dit Furetière. Ce triste couronnement faisait souvent payer pour d’autres, délateurs zélés, qui passaient ainsi à côté des flammes. De là le sens de bouc émissaire. Le capuchon ne fait pas toujours le moine !

Mettre sur la sellette

Avant que la selle ne soit réservée au cheval et à la bicyclette le mot désignait toutes sortes de sièges, depuis « un petit siège de bois à trois ou quatre pieds sans dossier », autrement dit un tabouret — d’où la vieille expression, familière à Mme de Sévigné et à La Fontaine : « être le cul entre deux selles » — jusqu’à la chaise percée, ou selle nécessaire, commune depuis le Moyen Âge, ancêtre châtelain et confortable de nos W.-C. comme en témoigne cette facture du XIVe siècle : « A maistre Girart d’Orléans, peintre du roy, pour six selles nécessaires, feutrées et couvertes de cuir. » Ce siège-là nous a valu l’euphémisme aller à la selle, que nous ont gentiment conservé les médecins au travers des siècles. D’où bien sûr les selles elles-mêmes, ou autrement « fèces », qui n’ont pas toujours eu la connotation médicale actuelle, témoin ce gros cochon de Saint-Simon : « Je suis monté dans la chambre où vous avez couché, et j’y ai poussé une grosse selle tout au beau milieu sur le plancher », fait-il dire à un grand seigneur.

La sellette est donc naturellement une petite selle, mais dans son sens premier, celui de tabouret ! Il s’agit en effet du petit siège bas d’un tribunal sur lequel on faisait asseoir l’accusé, généralement enchaîné, dans une position d’infériorité pour être livré à la curiosité de ses juges. « On le dit particulièrement d’un petit siège de bois — précise Furetière — sur lequel on fait asseoir les criminels en prêtant leur dernier interrogatoire devant les Juges : ce qui ne se fait que quand il y a contre eux des conclusions des Procureurs du Roi à peine afflictive ; car hors de cela ils répondent debout derrière le Barreau. L’interrogatoire sur la sellette est la pièce la plus essentielle de l’instruction d’un procès criminel.