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« On dit aussi figurément de celui à qui on a fait plusieurs questions en quelque compagnie qui l’ont fatigué, qu’on l’a tenu long temps sur la sellette. »

L’usage qui durait depuis le XIIIe siècle fut aboli par la révolution de 1789, au profit du box et de la célèbre formule tout à fait inverse : « Accusé levez-vous. »

Vider son sac

Lorsque les gens en ont assez de se supporter sans rien dire, ils déballent soudain tout ce qu’ils ont sur le cœur : ils vident leur sac. Contrairement à l’apparence, ce sac n’est ni le cœur ni l’estomac, c’est un vrai sac, du moins à l’origine de l’expression chicanière, car il s’agit précisément d’un terme de tribunal. En effet, nous avons aujourd’hui des dossiers, des registres, des chemises et des classeurs où nous mettons nos documents en conserve, sous étiquettes dûment alphabétiques et répertoriées. Autrefois les documents étaient écrits sur du fort papier ou sur du parchemin (plus les actes étaient officiels, plus le support était épais) dont chacun était non pas plié ou mis en liasses, mais roulé, noué par un ruban et quelquefois scellé (voir ci-dessous).

Comment ranger et transporter ces rouleaux ? Eh bien dans un sac ! « Sac, en terme de Palais, se dit de celui où l’on met les pièces d’un procès. » (Furetière.) Chaque plaideur, ou plutôt chaque avocat, arrivait à l’audience avec le sien dont il sortait un à un les actes notariés, assignations, mémoires et justificatifs de tous ordres, selon l’importance et la complexité de la cause. Devant les juges il « vidait son sac » entièrement, avec toute la hargne sans doute qui est de mise dans ces cas-là, et dont l’expression voguant seule loin des salles de justice a gardé jusqu’à ce jour la coloration agressive.

Être au bout du rouleau

« Les Anciens donnaient à leurs livres la figure de petites colonnes ou rouleaux. Vossius dit qu’on collait plusieurs feuilles les unes au bout des autres ; quand elles étaient remplies d’un côté seulement on les roulait toutes ensemble, en commençant par la dernière, qu’on appeloit umbilius, & à laquelle on attachait un bâton d’ivoir, ou de bouïs, afin de tenir tout le rouleau en état. On collait à l’autre extrémité un morceau de parchemin pour couvrir le rouleau et pour le conserver. » Ces rouleaux des Anciens, décrits par Furetière, ont donné ces choses bizarres que tiennent quelquefois dans les squares les statues d’écrivains célèbres…

Ils se sont conservés aussi, en descendant tout le Moyen Âge, sous la forme de « feuille roulée portant un écrit » et sous le nom de rôle ou roole, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, notamment pour les registres administratifs, les pièces des procès et aussi les listes de personnes. Ces roles-listes (avec lesquels on peut faire l’appel des noms) ont donné à tour de rôle : selon l’ordre porté sur la liste ; on est payé, interrogé, etc., « à tour de rôle. »

Ils ont donné aussi les listes en double pour les vérifications, les contre-rooles, qui s’appliquaient d’abord aux listes de soldats d’une compagnie — les capitaines ayant tendance à se faire livrer la solde pour des troupiers morts depuis longtemps, ou totalement imaginaires. Ces contre-rooles ont donné les contre-rooleurs, puis les contrôleurs, car on finit toujours par mettre son nez partout !…

Très tôt aussi le rôle a été « ce que doit réciter un acteur dans une pièce de théâtre » — sens qu’il a conservé après qu’on eut inventé les souffleurs, les trous de mémoire, etc.

Ch. Sorel, décrivant la rapacité d’un avocat, joue sur les deux sens de « rôle », expliquant que lorsque cet homme de loi avait une dépense à faire, « il songeoit auparavant combien il estoit nécessaire qu’il fist de roolles, et falloit qu’il les emplist après, quand c’eust esté d’une chanson. »

Lorsque la feuille était de petite taille on l’appelait un rollet. Le mot se trouve pour la première fois dans les vers de Jean de Meung qui apparemment aimait beaucoup les olives — (l’olivier a toujours été un arbre d’une haute charge symbolique, de paix, de pureté, de force, etc.) :

Si pandent a l’olive [130] escrites en un rolet letres petites, qui dient [131] a ceus qui les lisent, qui sonz l’olive en l’ombre gisent : « Ci queurt [132] la fonteine de vie par desouz l’olive feuillie qui porte le fruit de salu. »
(Roman de la Rose, 1280.)

Le mot prit également par la suite le sens de « petit rôle de théâtre » — bien avant l’invention de la « panne » — donnant naissance au XVIIe siècle à l’expression « être au bout de son rollet » : au bout de ses arguments dans une discussion. « Voilà comme il faut dire quand on est au bout de rollet ! », rétorquait Tabarin à son maître Mondor sur son tréteau de 1618. Cette façon de parler prit de l’extension au siècle classique, passant des arguments à tout le domaine de l’ingéniosité : à bout d’invention. En 1690 Furetière signale : « On dit qu’un homme est au bout de son rollet, quand il ne sait plus que dire, ni que faire en quelque discours qu’il a commencé, en quelque affaire qu’il a entreprise. » La locution, entièrement détachée du théâtre de ses origines, était devenue autonome, car le lexicographe note par ailleurs : « “Rollet”, ne se dit plus qu’en cette phrase proverbiale : il est au bout de son rollet, il ne sait plus que répondre, il ne sait plus où trouver de quoi vivre. »

Toutefois, durant le XVIIIe siècle, cette dernière acception « à bout de ressources » se remotiva, glissant peu à peu vers les pièces de monnaie pliées en « rouleau » (autre diminutif du roole de papier) : « un rouleau de doubles, de cinq sous, de dix sous » — une manière de transporter et de ranger l’argent qui est toujours en usage dans nos banques. On commença à dire au bout de son rouleau, transportant sur cette expression nouvelle les valeurs du « rollet » qui commençait à être oublié. Ainsi l’expression vécut dans la langue familière et bourgeoise de bon ton ; elle apparaît dans le Dictionnaire de Napoléon Landais en 1834 : « Être au bout de son rouleau, avoir tout épuisé, moyens ou argent. » À la fin du XIXe elle avait conservé toutes ses vertus traditionnelles, et le Larousse de 1898 l’enregistre encore en ces termes : « Locution familière, Être au bout de son rouleau, avoir épuisé tous ses arguments, tous ses moyens. »

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130

À l’olivier.

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131

Disent.

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132

Court.