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Être ravi au ciel, c’est littéralement être arraché au sol, soit par la main divine comme le fut saint Paul, soit dans un immense transport de joie. On pouvait monter plus ou moins haut naturellement, selon l’intensité du plaisir. On a beaucoup parlé d’abord d’être « ravi au troisième ciel », parce que c’est celui de Vénus, la déesse de l’Amour.

Il est ravy trop plus hault qu’aux tiers cieulx Et prend pour soy toujours la chose aux mieulx

dit Alain Chartier au XVe siècle. Depuis il y a eu de l’escalade et la jouissance extrême vous transporte carrément au septième ciel !

Ah ! c’était bien confortable, cette Terre logée au chaud, tranquille, protégée au milieu de ses globes rassurants, comme une matrice, avec Dieu tout autour, noyant le tout dans sa grande pisse, les « eaux d’en haut » !… On peut juger si Copernic le chanoine et après lui Kepler et Galilée firent une fâcheuse impression au XVIe siècle, avec leur théorie nouvelle ! On comprend que ces astronomes qui venaient mettre en morceaux ces jolies sphères de cristal millénaires aient été reçus comme des bœufs dans un magasin de porcelaine.

On n’en voulait pas de leur système d’orbites mathématiques, dans lequel la Terre n’était plus le centre de rien, tournant toute seule sur elle-même comme une vieille folle courant après son soleil perdu dans les immensités galactiques. Ce fut de l’humanité le premier veuvage, ce firmament réduit en miettes, en étoiles froides du diable vauvert. Il faut comprendre les anciens : il ne leur restait que la lune pour pleurer… Alors ils gardèrent dans le langage les deux, tout de même au pluriel, et ce septième ciel des ravissements.

Saisir l’occasion aux cheveux

Les Romains, qui en laissaient rarement passer une, représentaient l’Occasion sous la forme d’une déesse nue, aux pieds ailés, chauve sur le derrière de la tête, tenant un rasoir d’une main et de l’autre un voile tendu au vent. Mais une longue tresse de cheveux lui pendait par-devant, seul endroit par où on pouvait la saisir au passage. Le symbole est évident qui sous-tend le dicton : « L’occasion est chauve. »

En effet les cheveux constituent chez l’homme une prise facile, c’est un peu la poignée du couvercle ou l’anse du panier. De la tignasse des écoliers aux longues nattes des belles martyres des premiers temps de notre ère, on a toujours largement utilisé ce point d’ancrage pour forcer les gens à faire ce qu’ils refusaient de faire.

S’il [l’amour] nel veut reprendre Por ce ne l’irai-je pas prendre Par ses biaus cheveux

dit un texte du XIIIe. On a même vu que pour plus de commodité on attachait les gens à la queue d’un cheval de trait pour les traîner sur le sol jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Quand une chose est tirée par les cheveux c’est qu’elle n’arrive pas de bonne grâce. « On dit qu’un passage, qu’une comparaison sont tirés par les cheveux lorsqu’ils ne viennent pas naturellement au sujet — dit Furetière — qu’ils sont tirez de trop loin, & amenez par force & par machine. » Amyot, parlant au XVIe siècle des interprétations bizarres que d’aucuns veulent à tout prix tirer des œuvres des poètes, disait : « Quelques uns les tordant à force, et les tirant, comme l’on dit, par les cheveux, en expositions allégoriques. »

On rapporte que les musulmans se rasaient le crâne, ne laissant qu’une seule mèche afin qu’après leur mort Mahomet puisse les empoigner par là pour les hisser vers son paradis. On a dit également que c’était le sens de la mèche des Indiens rasés d’Amérique, lesquels, avec un sens de la courtoisie dont nous n’avons plus aucune idée, se laissaient une poignée de cheveux sur le scalp afin que s’ils venaient à être tués au combat leur ennemi ait moins de mal à le leur arracher…

Malheureusement, selon des historiens avertis, l’habitude de scalper son prochain ne serait pas du tout un trait de la culture indienne. Elle aurait au contraire été introduite par les conquérants qui, pour encourager les autochtones à s’entre-tuer, payaient le cadavre d’Indien à la pièce, sur présentation de la peau du crâne, comme on offre une prime par queue de renard abattu !

Comme dit le Coran : « Un cheveu même a son ombre » — les plus petits détails ont leur importance.

Être né coiffé

« La richesse, elle aussi, est héréditaire — disait en février 1977 L’Humanité-Dimanche : Il y a les gens nés coiffés et les autres. » Mais être né coiffé ne se limite pas, en principe, à l’heur d’une riche naissance — ce que les Anglais appellent d’une façon plus explicite « venir au monde avec une cuillère en argent dans la bouche. »

D’abord l’expression a un fondement exact en obstétrique : certains bébés portent à la naissance, enveloppant leur crâne, une coiffe (c’est le terme), constituée par une partie de la membrane fœtale, autrement dit par la poche des eaux. On les appelle des enfants coiffés.

Si mon père m’eust fait coëffé Et qu’il eust moins philosophé, Il eust amassé davantage

dit Scarron impotent et en mal d’argent.

Depuis l’Antiquité et un peu partout dans le monde, les peuples ont vu dans ce détail de l’accouchement un signe de chance infaillible pour le nouveau-né, un principe de réussite et de bonheur dans la vie.

« On dit qu’un homme est né coeffé — dit Furetière — pour dire qu’il est heureux, l’opinion du vulgaire ayant attribué cette vertu à cette coeffe que quelques enfans apportent au monde. Cette superstition est très ancienne. Lampridius en parle dans la vie d’Antonin. Cet Empereur étoit né avec une espece de bandeau sur le front, en forme de diadème : c’est pour cela qu’il se fit appeler Diadumene. Comme il jouit d’une constante prospérité pendant tout le cours de son règne, son bonheur confirma l’opinion de ceux qui s’imaginent que les gens nez coeffez sont heureux. Depuis on s’en servit pour des sortilèges, & pour des maléfices […]. Lampridius témoigne que les sages femmes vendoient bien cher cette coeffe à des Avocatz, qui etoient persuadez qu’en la portant sur eux ils auroient une force de persuader, à laquelle les Juges ne pourraient resister. Les Canons deffendent de s’en servir parceque les sorciers en usoient dans leurs maléfices. »

Avoir la guigne

Les gens ont perdu leur mystère. L’étrangeté des solitaires, des vilaines figures, des regards inquiétants, ne fait plus frissonner personne. On ne passe plus la main dans le dos des bossus. Peut-être on a tort. Les pompons des marins ne font plus chalandise. On se trompe peut-être…

Dans un livre récent, le sociologue Ivon Bourdet raconte les anciennes pratiques de son village : « La croyance au “mauvais œil” était répandue et ne concernait pas seulement les bohémiennes ; telle ou telle personne des alentours était affublée de ce pouvoir maléfique : malheur à vous si elle sortait de sa maison lorsque vous passiez près de chez elle en allant vendre une bête à la foire ; vous risquiez bien de ne pas trouver d’acquéreur ou à vil prix… L’essentiel, d’ailleurs, était de n’accepter aucun cadeau de ces gens-là… Était-on obligé d’accepter, par politesse et par peur, il fallait au premier détour du chemin le jeter au loin en se signant[133]. »

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I. Bourdet, Éloge du patois, Éd. Galilée.