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C’est cela la guigne. Le mot vient de « guigner », qui fut d’abord faire un signal, un clin d’œil :

Vers lui n’osait del œil guigner, Si [134] l’aimait-elle plus que son corps.
(XIIe.)

Ce fut ensuite simplement « fermer à demi les yeux en regardant du coin de l’œil. » De là naturellement le regard torve, plus que suspect, que l’on suppose aux jeteurs de sorts. On dit aussi le guignon : « Malheur, accident dont on ne peut sçavoir la cause, ni à qui s’en prendre. Tous les joüeurs qui perdent disent toujours qu’il y a quelcun qui leur a porté guignon », dit Furetière, qui ajoute : « Il est du stile bas et familier. »

Avoir la guigne, c’est aussi avoir la poisse bien sûr, un dérivé de la poix, la glu dont on n’arrive pas à se dépêtrer, qui colle aux pattes des oiseaux malchanceux. Au XVIe siècle, un poissard était un voleur, à cause de poisser, dérober — peut-être à l’origine à l’aide de baguettes enduites de poix.

Depuis l’Antiquité, et avant l’invention du signe de croix protecteur, un geste rituel permettait dans les pays méditerranéens de contrecarrer le mauvais sort. Il s’agissait de serrer le poing en laissant étendus l’index et le petit doigt — très ancienne façon de « faire les cornes. »

Rompre le charme

Si par la force de l’usage, le mot charme a pris le sens d’attrait, et de pouvoir de séduction qu’exerce une personne, ce n’est pas du tout son sens d’origine. Sa véritable nature est d’être un sort jeté, celui que produit la célèbre formule magique des sorciers. « Le charme est une puissance magique par laquelle, avec l’aide du démon, les sorciers font des choses merveilleuses, au-dessus des forces, ou contre l’ordre de la nature », dit Furetière qui ne s’y fiait qu’à moitié.

Il prenait généralement la forme d’une « formule en vers ou en prose mesurée », que récitaient les « enchanteurs » pour le meilleur ou pour le pire, pour guérir ou bien, au contraire, pour lier le malheureux « enchanté » à quelque sort atroce — c’est d’ailleurs le sens primitif du charme, de carmen : chant magique qui sert aux incantations.

Ce charme redoutable il fallait le briser, le rompre, à l’aide d’une contre-formule débitée par quelqu’un d’autre, un abracadabra libérateur (voir Nouer l’aiguillette, p. 395). Évidemment comme il a pris de nos jours un aspect éminemment favorable sous lequel on voudrait demeurer toujours, c’est bien dommage quand il est rompu !

3.

LA VIE ET LES JOURS

Les us et coutumes, ce sont les usages et les habitudes. Cet étrange mot us désigne théoriquement le droit coutumier par opposition au droit écrit, comme d’ailleurs la coutume, auquel il est pratiquement toujours associé, sauf lorsqu’on veut faire drôle. Du temps où les poètes rimaient il pouvait servir à la rime, on n’en a jamais trop ; Voltaire écrivait :

Selon les nobles us En ce châstel reçus.

Les us et Coutumes

Selon ton lit étends ton pied.

Vieux proverbe.

Tomber en quenouille

Dans une de ses « Apostrophes » télévisées, Bernard Pivot, interviewant une femme P.-D.G., la félicitait d’avoir brillamment remonté une affaire importante qui, aux mains des hommes qui la dirigeaient avant elle, « était un peu… [il hésitait]… tombée en quenouille. » Manifestement pris de court au tournant de sa phrase, comme il arrive à tout un chacun, le journaliste employait là l’expression comme un euphémisme hâtif pour des mots qui pouvaient difficilement passer à l’antenne mais qui, dans l’impatience du direct, lui venaient sûrement à l’esprit : « barrée en couille »… C’est vrai qu’à cause de la « rime », à cause du verbe « tomber » et de l’image de la laine qui s’effiloche sur une quenouille, il semble s’être créée aujourd’hui une confusion entre ces deux façons de dire, comme si la « quenouille » était une forme polie de l’autre. Ce n’est pas tout à fait l’intention d’origine…

La quenouille a été depuis l’Antiquité le symbole des femmes et de leur humble tâche de fileuses, opposée à l’épée, au glaive qui désigne l’homme dans son sublime rôle d’éventreur. Tomber en quenouille, dit Furetière, « se dit figurément en terme de généalogie pour signifier la ligne féminine. Les Royaumes d’Espagne et d’Angleterre tombent en quenouille, c’est-à-dire que les femmes y accèdent à la couronne. Celui de France ne tombe point en quenouille. On le dit par extension lorsque les femmes sont maîtresses dans un ménage, ou les plus habiles. »

Cette façon de traiter les femmes chez nous est un héritage direct de la loi salique, celle des Francs Saliens, qui date de Clovis et qu’a renforcée Charlemagne. La loi salique, selon Montesquieu, « était une loi purement économique qui donnait la maison et la terre dépendante de la maison aux mâles qui devaient l’habiter » — Voltaire ajoute : « parce que tout seigneur salien était obligé de se trouver en armes aux assemblées de la nation. »

Donc, c’est au contraire en nommant une femme à la tête de son conseil d’administration que la société Waterman est, au sens propre, « tombée en quenouille »… Cela pour remonter en flèche ! Et si, afin de rompre avec ces mœurs de Francs Saliens, les républicains d’aujourd’hui élisaient une Présidente ? Dirait-on que la République est « tombée » ou « montée » en quenouille ?…

Convoquer le ban et l’arrière-ban

On le sait, la société féodale était organisée en forme de pyramide. Le roi, au sommet, avait ses vassaux, ducs et comtes, qui avaient les leurs, ainsi de suite jusqu’au moindre vavasseur ou baron.

En principe chaque vassal devait aide et assistance à son suzerain direct, si celui-ci était attaqué ou s’il lui prenait fantaisie d’aller chatouiller son voisin. Si un de ces seigneurs faisait crier le ban — « proclamation » — cela voulait dire que tous les nobles de sa circonscription devaient prendre les armes et se joindre à lui sous peine d’être pendus s’ils essayaient de se défiler… Dans la pratique ce principe fut assez tôt réservé au roi. Le ban, dit Furetière, se dit « de la publication qui se fait pour convoquer tous les Nobles d’une Province pour servir le Roi dans ses armées, selon la Loi des Fiefs. On a publié le Ban, & l’Arrière-ban. »

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134

Pourtant.