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Lorsque Picrochole, roi de Lerné, apprit l’outrage fait à ses fouaciers, il « entra en courroux furieux, et sans plus oultre se interroger quoy ne comment, feist cryer par son pays ban et arrière ban, et que chascun, sur peine de la hart [corde], convint en armes en la grand place devant le chasteau, à heure de midy. » (Gargantua, chap. XXIV.)

Aujourd’hui on ne convie guère que le ban et l’arrière-ban du cousinage à des fêtes familiales, et encore, de plus en plus rarement.

Mettre au ban

Ce sens général de proclamation s’est également appliqué à d’autres cas où l’on devait faire hautement savoir les choses ; ainsi pour une condamnation à l’exil d’un individu déclaré indigne : il est « banni », mis au ban de la société dans laquelle il vivait. S’il revient sans autorisation, gare à lui, il est en rupture de ban !

Mais il est des publications plus douces : lorsque deux personnes ont décidé de se marier ils doivent annoncer publiquement leur intention, au cas où quelqu’un y verrait un gros empêchement — viendrait expliquer qu’ils sont frère et sœur sans le savoir par exemple, ça peut arriver ; ou bien que l’un d’eux est déjà marié, c’est encore plus fréquent ! Bref la loi les oblige à publier les bans.

De toute façon aux époques où les gens ne savaient pas lire les proclamations étaient faites oralement, « clamées » sur la place publique et soulignées d’un roulement de tambour. D’où les ordres donnés au percussionniste : « Ouvrez le ban ! — Fermez le ban ! » Il en est découlé d’une façon moins artificielle mais fort enthousiaste les bans d’applaudissements !

J’ajouterai que la banlieue était à l’origine un territoire d’une lieue de rayon (4 km) autour d’une ville où s’exerçait le ban, la juridiction de la ville. On voit ce qu’elle est devenue !

Un homme sans aveu

On a tendance à croire de nos jours qu’un « homme sans aveu » est un vilain cachottier auquel on n’arrive pas à faire « avouer » ses secrets. En fait l’aveu est également un terme de féodalité ; c’est précisément l’acte d’engagement envers un suzerain auquel le vassal « vouait » ses services en échange du fief dont il jouissait. (Si en plus il lui promettait fidélité absolue en toutes circonstances et sans restrictions, il devenait son « homme lige. »)

Un homme sans aveu est donc un homme qui ne s’est voué à aucun seigneur, qui ne reconnaît aucune autorité et qui n’est en retour reconnu de personne. Dans une société fondée sur les liens de personne à personne il allait de soi qu’un tel individu fût louche, sinon dangereux, voire un brigand caractérisé. « Advint que aulcuns larrons bourguignons sans maistre ne adveu, se mirent sur les champs » dit un chroniqueur du XVe siècle, parlant sans doute de la célèbre bande des coquillards de 1455, alors que le Journal d’un bourgeois de Paris parle en 1425 de « larrons brigans » qui « estoient en tour à 12, 16, à 20 lieues de Paris et faisoient tant de maulx que nul ne le disoit ; et si n’avoient point d’aveu et nul estandart, estoient pouvres gentilz hommes qui ainsi devenoient larrons de jour et de nuyt[135]. »

Ces gens-là étaient, il faut bien le reconnaître, sans foi ni loi !

Sans feu ni lieu

Avec nos numéros d’identité, nos cartes diverses qui nous relient à nos naissances, le moindre procès-verbal longuement rédigé de nos gendarmes qui exigent le nom du père et celui de la mère quand elle était jeune fille, nous ne pouvons guère oublier nos attaches ! Il nous est devenu difficile d’imaginer le vagabondage intégral tel que l’ont connu ceux qui, autrefois, étaient réellement sans feu ni lieu. Le mot lieu dans cette locution porte un de ses sens anciens et étroits de « famille. » « De bon lieu » voulait dire « de bonne famille. »

Quand la fille du comte d’Anjou, pauvre et errante, rencontre un hobereau charitable, celui-ci reconnaît à ses manières qu’elle est de bonne famille et même certainement de noble origine :

Ainz estes, si con je devine, De grent lieu et de france orine[136] : Bien le semble a voste viaire [137] Qui tant est douz et debonnaire, Et vo simple contenement [138] Moustre certain ensaignement Que de haut lieu estes estrecte [139] [140]

Un siècle plus tard une dame des XV Joies de mariage fait remarquer à son époux, après une réception, qu’elle n’était pas assez bien vêtue pour son rang, car, dit-elle : « Dieu mercy, je suis d’auxi bon lieu comme dame, damoiselle, bourgeoise qui y fust, je m’en rapporte a ceulx qui sçavent les lignees. »

Quant au « feu », il désigne évidemment le foyer, la maison, comme dans « un village de trente feux. » Être sans feu ni lieu signifie donc sans domicile, sans parents, sans origine, sans rien. Même apatride, un hippie des temps modernes est bien plus relié à son passé que ne l’étaient jadis les coureurs de grands chemins. Seuls au monde, parfois enfants trouvés, certains oubliaient jusqu’au village qui les avait vus grandir. Véritables « oiseaux sur la branche » ils ne savaient d’eux-mêmes que leur nom. Et encore ! réduit à un prénom, annoncé sous toute réserve : « On m’appelle Martin… »

Ces champions de l’errance inspiraient sans doute peu confiance à leurs contemporains mieux nantis puisque le Livre des métiers précise au XIIIe siècle : « que nul ne puisse prendre apprentis si il ne tient chef d’ostel, c’est à savoir feu et lieu. »

Un pauvre hère

Dans la même série des parias (du « tamoul parayan : homme de la dernière caste des Indiens, qui est un objet de mépris et d’exécration ») « le pauvre hère » a sa place assurée.

Quittez les bois, vous ferez bien, Vos pareils y sont misérables, Cancres, hères et pauvres diables

dit le gros chien de La Fontaine au loup maigre et affamé.

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135

A. L. Stain, Écologie de l’argot ancien, Éd. Nizet, 1974.

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136

Origine.

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137

Visage.

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138

Maintien.

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139

Issue.

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140

Jehan Maillart, Le Roman du comte d’Anjou, 1316.