Deux hypothèses sont en présence pour ce hère unique. Traditionnellement on le fait venir de l’allemand Herr, « seigneur », employé par dérision, mais pour Bloch & Wartburg « il n’est pas impossible qu’il se rattache plutôt à haire », et ce serait alors un pèlerin, un moine mendiant ou autre pénitent de choc portant la « haire. »
Un usage bien oublié que cette chemise en crin ou poil de chèvre, appelée aussi cilice, mise à même la peau pour se faire mal, pour se torturer, s’écorcher l’épiderme en marchant, dans la plus pure tradition masochiste appelée gaiement « esprit de mortification »… Certains y ajoutaient même des clous pour être bien sûrs de leur effet ! Saint Louis, monarque passablement réactionnaire et confit en dévotion, était friand de ces plaisirs — d’où son grade posthume : « En l’abeïe du Lis sont les heres que St Loys portait, une faite à la manière de gardecors longue jusque desouz la ceinture, et l’autre faite à la manière de ceinture… »
Pourtant la haire était un objet décrié depuis longtemps et le symbole de l’hypocrisie religieuse de celui qui « en fait trop. » Molière a repris cette notion-là dans Tartuffe : « Laurent serrez ma haire avec ma discipline », mais la plaisanterie comme le personnage étaient traditionnels depuis des siècles. En 1225, alors que saint Louis était encore un gamin, le Roman de la Rose présente Papelardie, l’hypocrite, la bigote, la fausse marmiteuse toujours occupée :
En tout cas c’est bien dans le sens de pèlerin, de moine errant, et faux dévot, que Rabelais emploie le mot. Il défend l’entrée de son abbaye de Thélème à beaucoup de gens, mais en tout premier lieu il est écrit sur la porte : Cy n’entrez pas, hypocrites, bigots
Il est vrai qu’il emploie aussi ailleurs « pauvre haire » pour désigner un pénis ! Panurge ayant manqué d’être rôti à la broche par les Turcs raconte : « Une jeune Tudesque […] regardoit mon pauvre haire esmouché, comment il s’estoit retiré au feu ; car il ne me alloit que jusques sur les genoulx. » (Pantagruel, chap. II.) À moins que justement, son zizi, avec son capuchon, ne lui fasse penser à un moine !…
Enfin le pauvre hère est un minable. À la même époque Bonaventure Des Périers parle d’un « renard qu’il avait fait nourrir petit ; et lui avait-on fait couper la queue, et pour cela l’appelait-on le hère. »
Remarque pratique, qui peut rendre service à certains : « Here, est aussi un jeu de cartes, où l’on ne donne qu’une carte à chaque personne. On la peut changer contre son voisin, & celui à qui la plus basse carte demeure perd le coup. Le here est le jeu des pères de famille, parcequ’ils y font joüer jusqu’aux plus petits enfans. » (Furetière.)
Un nom à coucher dehors
« Pour boire de l’eau et coucher dehors il ne faut demander congé à personne », dit un ancien proverbe. Encore que de nos jours ce ne soit pas si sûr ; on peut toujours s’attirer des tracas policiers. En tout cas, pour demander l’hospitalité, un soir, en frappant à une porte il vaut mieux pouvoir décliner une identité convenable. « Je suis le marquis Bernard de Nicourt, braves gens, et je me suis égaré… » Dans ces conditions on peut vous ouvrir et vous offrir le gîte. Mais si vous vous appeliez Strastvanberkof ou même simplement Demerdjibachian, vous risquiez fort de faire dresser l’oreille, autrefois, dans une campagne obscure, à des hôtes peu hardis et vous voir refuser l’accès. Des noms à coucher dehors, sûrement, quelque temps qu’il fasse, pour n’être pas parfaitement chrétiens. Encore aujourd’hui dans certaines auberges il vaut mieux ne pas trop s’appeler Mohamed ben Mustapha, à moins, bien sûr, d’avoir aussi une très belle voiture…
On a rajouté pendant un temps « coucher dehors avec un billet de logement. » Cela fait allusion aux troupes en campagne qui logeaient « chez l’habitant » avec un billet de réquisition du régiment. Il s’agit d’une plaisanterie qui renforce la chose : même avec une autorité officielle, le nom est trop étrange pour pouvoir être accepté. « Dans l’intérieur de la boîte à prières — relate Le Père Peinard (1897) — le ratichon Lemius, perché dans l’égrugeoir à paroles, prêchait. — Qui ça Lemius ? allez-vous dire. C’est un nom à coucher dehors avec un billet de logement ! »
Être un mauvais coucheur
Quoi qu’il en soit, les us et coutumes des anciennes auberges étaient telles que, de même que les voyageurs soupaient ensemble à la même table, de même ils couchaient aussi à plusieurs dans le même lit. La place était souvent réduite, les chambres peu nombreuses et il fallait bien loger tout le monde. D’ailleurs il y avait le plus souvent plusieurs lits par chambre, chacun protégé par une alcôve. Ce sont là des habitudes très anciennes. Dans les châteaux forts médiévaux une même salle contenait aussi plusieurs lits où les gens dormaient, nus, à trois ou quatre ! Les familles nombreuses modernes logées à l’étroit ne font que suivre une fort vieille et noble tradition !
Cela dit, le compagnon de lit était un peu dû au hasard, et il valait mieux ne pas tomber sur un agité qui tirait la couverture à lui, ou sur un ronfleur totalement catastrophique. Dans le Roman comique (1651) de Scarron, une troupe de comédiens couche au Mans chez l’habitant, et la Rancune partage le lit d’un « vallet » : « Je vous ay dit, ce me semble, qu’il coucha avec le valet de la Rappinière, qui s’appeloit Doguin. Soit que le lict où il coucha ne fust pas bon ou que Daguin ne fust pas bon coucheur, il ne pût dormir de toute la nuit. »
« Un mauvais coucheur — dit Furetière — est un homme qui fait du bruit dans la nuit, qui découvre son camarade, qui l’empêche de dormir. »
Ce bâton qui mène une vie si agitée n’est pas comme on le dit aujourd’hui un « barreau de chaise. » En effet, il faut comprendre « chaise », non pas comme le meuble familier, mais comme l’ancêtre du taxi, la chaise à porteurs. Les bâtons étaient les deux barres de bois qui servaient, en plus des sangles, à transporter la chaise ambulante.