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Au printemps 1643, Scarron se rendait en chaise à la célèbre foire Saint-Germain, installée avec ses marchands, ses bateleurs, ses jongleurs, ses tire-laine, sur un vaste terrain situé entre la rue du Four et l’église Saint-Sulpice à Paris.

Sangle au dos, baston à la main, Porte-chaise, que l’on s’ajuste : C’est pour la Poire Sainct Germain. Prenez garde à marcher bien juste ; N’oubliez rien, montrez-moy tout : Je la veux voir de bout en bout.

Mais la foule, à pied, à cheval et en carrosse, y est particulièrement dense et la circulation, déjà, difficile :

Ces cochers ont beau se haster, Ils ont beau crier « Gare ! Gare ! », Ils sont contraints de s’arrester : Dans la presse rien ne démare.

Las des embouteillages l’auteur donne ses instructions, essaie de trouver des ruses :

Porteurs, laissez un peu passer Ce carosse, qu’il ne vous roue ; Et puis, pour marcher seurement, Appliquez-vous soudainement A son damasquiné derrière : Moins de monde vous poussera ; Le chemin il vous frayera ; Mais s’il reculoit en arrière, De peur de brizer nostre biere Faites de même qu’il fera.

Il n’est pas étonnant de voir ainsi Scarron conseiller ses porteurs, ils devaient manquer d’expérience. En effet, en 1643 les chaises étaient des nouveautés, au moins les chaises couvertes, dernier cri d’une mode naissante. C’est seulement quatre ans plus tôt en 1639 que le marquis de Montbrun en avait rapporté l’idée d’Angleterre, et que des lettres patentes lui accordaient le privilège d’exploiter cette innovation. « Un petit traité de la vie élégante, Les Lois de la galanterie, publié une première fois en 1644, conseille aux élégants qui ne veulent pas entrer chez les dames en bottes ou souliers crottés et qui ne disposent pas d’un carrosse, “de se faire porter en chaise, dernière nouvelle commodité si utile qu’ayant été enfermé là-dedans, sans se gâter le long des chemins, l’on peut dire que l’on en sort aussi propre que si l’on sortait de la boîte d’un enchanteur”[145]. »

C’est dire si Scarron, « pauvre cul-de-jatte » il est vrai, était à la pointe du progrès. Seize ans plus tard, en 1659, les chaises à porteurs étaient en vogue. Elles étaient numérotées, stationnaient en des lieux fixes, et « leur prix était d’un écu par demi-journée. » Molière en fait arriver une sur la scène dans Les Précieuses ridicules, et, devant le refus de Mascarille de payer sa course, giflant même un des porteurs, l’autre, « plus énergique, saisit un des bâtons de la chaise et sa mimique est assez expressive pour contraindre Mascarille à s’acquitter de son dû et même à y ajouter une indemnité pour le soufflet. »

Ces bâtons de chaise, ôtés, remis, pliant sous la charge et servant à l’occasion d’armes offensives et défensives, avaient en effet une existence tourmentée… Et les porteurs donc !

Une vie de patachon

Ce n’est qu’au XIXe siècle que l’on connut les pataches, sortes de vieilles guimbardes sans ressorts, bâchées, inconfortables, qui servaient de diligences aux pauvres et aux régions peu huppées. Leur conducteur était le patachon, toujours sur les routes, par monts et par vaux, buvant sec à toutes les tavernes pour se donner l’illusion de conduire un carrosse…

Au fond c’était un pilier de cabaret, mais ambulant !

Tenir le haut du pavé

Le pavé a toujours fait parler de lui. Matériau idéal d’un certain nombre de barricades il est aussi à l’origine de nombreuses expressions qui, si j’ose dire, courent les rues : battre le pavé c’est naturellement se promener de long en large en le heurtant de la semelle par désœuvrement : « On appelle un batteur de pavé — dit Furetière — un fénéant, un filou, un vagabond qui n’a ni feu ni lieu, qui n’a autre emploi que de se promener. » Brûler le pavé, c’est aller grande allure, à cause que les roues cerclées de fer des carrosses, comme les sabots des chevaux, faisaient jaillir des étincelles s’ils allaient bon train. Être sur le pavé c’est être sans logement, sans ressources, ruiné, à la rue…

Tenir le haut du pavé par contre est un signe de distinction. On sait que les rues d’autrefois étaient faites en double pente remontant vers les murs des maisons, de sorte à ménager au milieu un ruisseau pour l’écoulement des eaux de pluie, de vaisselle, et de toutes sortes de vidanges. Il était donc préférable lorsqu’on déambulait sur la chaussée de se tenir le plus loin possible de cet égout à ciel ouvert, donc de marcher sur la partie la plus élevée, c’est-à-dire le plus près possible des façades.

Cela évidemment posait un léger problème de protocole dès que l’on croisait un autre piéton : « Dans les rues l’on me frappait, afin de me faire aller du côté du ruisseau — dit Sorel — et m’appeloit on gueux, si je tesmoignais mon ressentiment par quelque parole picquante. » Mais le choix se faisait plus généralement sur la parure ; il est certain qu’un important personnage, reconnaissable à la richesse de son habit, ne déviait jamais de son chemin sec — on s’effaçait devant lui, et il tenait toujours, au sens propre, le haut du pavé. « On dit qu’un homme tient le haut du pavé dans une ville, qu’il n’y a personne qui lui dispute le pavé, pour dire qu’il est dans quelque dignité ou charge qui l’élève au dessus des autres. » (Furetière.)

« La marche des carrosses — remarque Voltaire — et ce qu’on appelle le haut du pavé ont été encore des témoignages de grandeur, des sources de prétentions, de disputes et de combats, pendant un siècle entier. »

Les trottoirs furent inventés plus tard et ne se généralisèrent qu’au siècle dernier. Il est curieux de noter qu’ayant pris la place du « haut du pavé » ils en eurent d’abord le prestige. « Être sur le trottoir : être dans le chemin de la considération, de la fortune », dit curieusement Littré, qui ajoute ce bel exemple : « Cette fille est sur le trottoir, ancienne locution qui signifiait : elle est bonne à marier, elle attend un mari… » Ça alors ! On a raison de dire que l’enfer n’est pavé que de bonnes intentions !

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G. Gougenheim, op. cit.